dimanche 18 juillet 2010

LE SECRÉTAIRE DE DUMAS FILS



Nous ignorons sur quelle table travaillait Alexandre Dumas fils (1824-1895), lorsqu’il composait ses romans ; il a laissé une quarantaine de titres, même si l’on ne s’en souvient que d’un seul, la fameuse Dame aux camélias. Toujours est-il qu’un secrétaire qui lui a appartenu, a été récemment vendu aux enchères à Paris. Ce meuble d’époque Louis XV estampillé de Pierre Roussel, trônait dans la chambre à coucher de l’écrivain, rue Alphonse de Neuville, à Paris. Il est recouvert de laque de Coromandel, avec un placage de bois de rose, satiné et amarante, ornementation de bronze ciselé et doré ; il est orné de paons parmi des rochers et de branchages de fleurs de pivoines. La laque de Coromandel, par son relief, par la multitude et la vivacité de ses couleurs, offre de grandes qualités décoratives. Elle est, toutefois, difficile à travailler et les pièces de mobilier garnies de ce décor sont rares. Pierre Roussel (1723-1782), ébéniste parisien, connut une longue et brillante carrière. Il travailla pour le Prince de Condé et livra du mobilier pour le Palais Bourbon et le château de Chantilly.
Suivant les traces de son père Alexandre Dumas fils avait donc prit également la plume et se fit remarquer dès la parution de son premier roman : la Dame aux camélias (Paris, Alexandre Cadot, 1848. 2 vol. in-8). Cette édition originale est considérée comme presque introuvable et selon Clouzot*, peut-être le plus rare de tous les romantiques. Le dernier exemplaire que nous ayons vu passer, relié en demi-veau fauve, dos ornés de filets dorés, pièces de titre noires, tranches jaspées a été adjugé 6.000 €, à Drouot, le 28 juin 2004 par Piasa. Dumas fils adapta lui-même son roman, pour le théâtre. La pièce jouée en 1852 fut l’un des grands triomphes théâtraux du XIXe siècle. Giuseppe Verdi était présent dans la salle lors de la Première. Il s’en inspira pour composer son opéra La Traviata que l’on ne cesse de donner sur toutes les scènes du monde.
Marie Duplessis qui portait si bien la fleur de camélias a bel et bien existé. Edouard Vienot (1804- ?) a réalisé le seul portrait que l’on connaisse d’elle qui nous montre une jolie jeune femme très brune. Arrivée à Paris en 1840, Alphonsine Plessis se choisit le nouveau prénom de Marie et devint l'une des plus jolies courtisanes de la ville. Elle rivalisait en élégance avec Alice Ozy, Lola Montés, Atala Beauchêne. On voyait chez elle tous les « lions » du Jockey club, et des écrivains qui, comme Alfred de Musset et Eugène Sue, la jugeaient fort supérieure au métier qu'elle exerçait. Elle rencontra Dumas fils en 1844 et pour lui abandonna ses riches protecteurs. Cependant Dumas, après onze mois de liaison, décida de rompre et lui écrivit la lettre restée célèbre : « ... Ma chère Marie, je ne suis ni assez riche pour vous aimer comme je le voudrais, ni assez pauvre pour être aimé comme vous le voudriez... ».
Franz Liszt lui voua alors une passion très vive, qu'elle partagea, mais qui n'eut qu'un temps. Atteinte de « phtisie galopante », la santé de la belle Marie déclina, ses soupirant la délaissèrent fut peu à peu, et avec eux les subsides, ses dettes s'amplifièrent. Elle mourut âgée de 23 ans, le 3 février 1847. La vente de ses biens fit courir le Tout Paris qui s'arracha meubles, bibelots, vêtements et souvenirs. Mais « la dame aux camélias » était entrée dans la légende. Outre le roman, et l’opéra, son histoire a été portée au cinéma. Parmi les nombreuses reprises et adaptations, les cinéphiles considèrent que l'une des plus belles est Le Roman de Marguerite Gautier, film réalisé en 1937 par Georges Cukor, avec Greta Garbo et Robert Taylor.
On l’ignore souvent Alexandre Dumas, pas le père, le fils, a été membre de l’Académie française. On rapporte que c’est Victor Hugo qui fit campagne pour lui. Il fut élu le 29 janvier 1874 au deuxième fauteuil en remplacement de Pierre-Antoine Lebrun, par 22 voix contre 11 voix données à divers autres candidats. Pour l’occasion Victor Hugo, qui avait été absent de l'Académie depuis 1851, y fit sa rentrée pour voter pour son « poulain ». Celui-ci fut reçu sous la coupole, le 11 février 1875 par le comte d'Haussonville dont la réponse fut, dit-on empreinte d'une courtoise ironie.


* Guide du bibliophile français, XIX° siècle, par Marcel Clouzot, Librairie Giraud-Badin, 1996.

vendredi 2 juillet 2010

Bibliophilie/ LE PLUS RARE VOLCELEST



Les veneurs le savent ; il n’y a que cinq animaux - certains disent improprement bêtes - de vènerie : le cerf, le chevreuil, le sanglier, le lièvre et le loup. « - Vous vous trompez, monsieur. Il en existe une sixième. – Comment ! – Je l’ai chassée. – Pas en Europe du moins. – Dans ma patrie même. – Mais encore dites-nous… - Je ne puis rien vous dire… » affirme a contrario lord Bansborough, l’un des personnages de la nouvelle de Marcel Boulenger (1873-1932), Le plus rare volcelest du monde. Que signifie donc ce mot que l’on prononce vôcelet ? C’est l’empreinte des cervidés sur le sol. « C’est également le cri des veneurs quand ils revoient d’un cerf ou d’un brocard », précise le Dictionnaire cynégétique (1). Une fanfare est encore sonnée à l’occasion du volcelest qui est, en fait, l’abréviation de vois-le, ce l’est autrement dit « il fuit ».
Donc, au cours d’une soirée comptant quelques chasseurs, les convives abordèrent ce cas étrange d’un rare volcelest que, seul, l’un d’entre eux, ce lord à l’élégance complète, au geste hautain, à la dignité accusée, exerçant les fonctions de capitaine de chasse du roi George V, avait vu. « Je vivrais mille ans que j’apercevrais sans cesse devant mes yeux l’empreinte de ce pied-là ». Nous n’en dirons pas plus afin de laisser découvrir ce mystère à ceux qui n’auraient pas encore lu cette histoire. Celle-là parut pour la première fois dans un recueil de nouvelles intitulé Au Pays de Sylvie (Paris, Ollendorf, 1904). Neuf ans plus tard, en 1914, Le plus rare volcelest du monde sortait à Paris chez Devambez (in-4°) illustré par 10 illustrations hors- texte de Pierre Brissaud gravées à l'eau-forte et coloriées au pochoir par Mortier, et des têtes de page gravés en bistre sur bois par E.P. Deloche. L’ouvrage a été imprimé à 10 exemplaires (1 à 10) sur Japon des Manufactures impériales, avec une suite en noir des hors-texte sur japon à la forme, une suite des fumés sur japon et une des aquarelles de Pierre Brissaud ; et à 90 ex. (11 à 100) sur papier d’Arches. Nous n’avons vu passer récemment que deux exemplaires sur Arches dans les ventes publiques. Le premier a été adjugé 396 €, à Drouot, le 11 juin 2001 par la svv Coutau-Bégarie ; le second 480 €, à Nancy, le 5 juin 2004 par la svv Teitgen assistée par Christian Rebert. Lors de la dernière Foire internationale du livre au Grand Palais, la librairie Villa Browna en proposait un, toujours sur Arches, un des rares comportant des dessins originaux, relié en plein maroquin bleu, couvertures et dos conservés.
Une nouvelle édition vient de voir le jour à l’initiative de Didier Dantal qui l’a fait imprimer à 100 exemplaires (H.C) sur papier bouffant, à Chantilly (1) justement chanté par Boulenger dans Le pays de Sylvie, discret hommage à Gérard de Nerval. Dans sa préface l’éditeur rappelle que l’auteur pratiquait la chasse à courre à Chantilly où il vivait entre les champs de courses, le château et la forêt. Dans ce rare volcelest, on « retrouve également le goût de son temps pour le fantastique, les histoires extraordinaires ou «incertaines ». Car, nous pouvons le révéler pour finir, « il s’agit bien d’une chasse d’un type inédit – d’une chasse au centaure – et par conséquent de l’«invention» d’une nouvelle bête de vénerie ». D’Annunzio s’intéressait lui aussi aux centaures. Témoin son ouvrage La Resurrezione del Centauro (Rome, 1907) qu’il dédicacera à Boulenger, « qui sait la trace du sabot non ferré sur le sable noir » (janvier 1909) ;
Marcel Boulenger, par ailleurs auteur de près de cinquante ouvrages sont Nos Élégances (1908) « fut un admirable causeur, féru de beau langage et de querelle orthographique, qui écrivait comme il parlait ». Dans son Histoire de la littérature française, du symbolisme à nos jours Henri Clouard parue en 1949, disait de ses livres : «Qu’ils ne sont guère que chroniques à dialogues et à personnages : originaux qu’il a fait parler comme il parlait et agir comme il aurait voulu agir (…) Mais peut aideront-ils à sauver le souvenir de ce que fut la conversation en France. » La nouvelle Le plus rare volcelest du monde n’est-elle pas finalement, la transcription d’une conversation cynégétique qui demeure malgré tout mystérieuse ?


(1) par Lucien-Jean Bord et Jean-Pierre Mugg, Ed. Gerfaut, 2004 ;
(2) Ed. Horatius & Cie Chantilly.