jeudi 20 octobre 2011

L’APPARITION DES CORPORATIONS



Durant la période médiévale, les métiers se réunirent en confréries qui s’organisèrent en corporations. Ce terme qui ne sera généralisé qu’au début du XVIe siècle vient du latin médiéval corporari, former un corps. L’association produite par la réunion des ouvriers exerçant le même métier s’appelait en effet le métier, le corps de métier ou le commun du métier. Ce mouvement apparut dès le XIe siècle pour se généraliser au XIIIe siècle. On trouve, néanmoins la trace d’un regroupement des boulangers, dès le début du VIIe siècle. Une charte de 1134 évoque les « antiques étaux » des bouchers de Paris. Les statuts des chandeliers de Paris datent de 1061. Toutes les corporations « étaient moins occupées de se développer que de prévenir la concurrence », explique un auteur ancien. Etienne Boileau, prévôt des marchands en 1254, obtint des corporations que chacune établît ses droits en les faisant enregistrer. Cela prit quatre années et il en sortit une Livre des métiers. Seuls les bouchers refusèrent de s’y inscrire. Ce registre n’est plus connu que par des copies. Les cent un métiers mentionnés comprennent ceux de l’alimentation, de l’habillement, de la sellerie, de l’armement ; du bâtiment et du bois, des ustensiles domestiques, des chirurgiens, des étuveurs et des métiers d’art et de luxe : orfèvres, patenôtriers, cristalliers ou pierriers batteurs, imagiers (sculpteurs et peintres)…
Parmi eux, figurait naturellement la corporation des gantiers qui, elle, est datée de 1190. La période des croisades apporta le goût des fragrances en Europe, on importa, notamment depuis Venise, des peaux odoriférantes destinées à la confection de vêtement et surtout de gants.
Ce fut un engouement sans nom, les eaux parfumées furent déposées partout sur tous les objets de la vie quotidienne. Mais qui donc vendait les parfums ? Les gantiers bien sûr, mais également les merciers. Ces deux corps de métiers de disputèrent le privilège de la vente des parfums. Aussi, en 1594, un édit défendit aux deux antagonistes de s’intituler parfumeurs, tout en les autorisant toutefois de parfumer leur marchandise. Finalement, en 1614, des lettres patentes octroyèrent aux gantiers seuls, le nom de parfumeur d’où la dénomination de « parfumeurs-gantiers ». ce qui fut confirmé en 1656 ; à condition que les membres de cette nouvelle corporation ne vendent dans leur échoppe que les produits qu’ils fabriquaient eux-mêmes.
L’apprentissage d’un métier était une des principales préoccupations du Livre des métiers, véritable recueil de statut des métiers. Le régime corporatif étant rigoureux, l’ouvrier libre et indépendant n’existait pas. De son patron, l’homme de travail allait hiérarchiquement aux jurés de la corporation, puis au prévôt de Paris et aux grands officiers de la couronne, maîtres et protecteurs de certains métiers.
Toute cette organisation devait voler en éclat sous le coup de la Révolution. Voulant supprimer toutes les anciennes entraves, les Constituants, dont la théorie du libéralisme économique ne reconnaissait que l'individu, décidèrent de supprimer les corporations de maîtres et les coalitions de compagnons pour donner la libre accession au patronat pour tous. Naturellement, la loi Allarde du 2 mars 1791 conçue maladroitement sous le coup d’une idéologie, créait en même temps un vide juridique dans lequel s’engouffrèrent les compagnons et apprentis pour s'organiser face à la crise économique qui commençait à faire rage. La multiplication des assignats entraînait, notamment une forte hausse des prix. Les grèves se firent de plus en plus nombreuses à Paris durant ce printemps. Libérés de la tutelle des corporations de maîtres, les compagnons et apprentis créèrent des coalitions ouvrières, dont quelques-unes comme celle des compagnons charpentiers qui tentèrent d'imposer un tarif aux patrons. La bourgeoisie constituante réagit aussitôt. L'avocat rennais, député du tiers état, Isaac Le Chapelier, fit voter, le 14 juin 1791, une loi qui portera son nom. L'homme qui présida l'assemblée la nuit du 4 août, interdit toute association entre personnes d'un même métier et toute coalition ouvrière. Maîtres et compagnons ne pouvaient nommer de présidents, secrétaires ou syndics et "prendre des arrêtés sur leurs prétendus intérêts communs". En clair, grèves et syndicats étaient prohibés; la liberté du travail l'emportait sur la liberté d'association.


Cela me fait songer que bon nombre de "job" sont à portée de main, même à l'étranger. Il suffit de se rendre sur www.jooble.org et de voir le monde s'ouvrir clef en main.

lundi 17 octobre 2011

LES CHASSES DE M. DE BONNEFONS



Monsieur de Bonnefons, Nicolas de son prénom, était issu d’une famille du Languedoc les Dupin de Bonnefons, à ne pas confondre avec les Sarrazin de Bonnefons qui eux, venait d’Auvergne. De bonne noblesse, il avait acquis la charge de valet de chambre du roi Louis XIV ; mais propriétaire rural, il faisait davantage commerce d'arbres et de graines. On le connaissait, à son époque, surtout, grâce à un ouvrage intitulé Le jardinier françois, qui enseigne à cultiver les Arbres, et Herbes Potagères ; Avec la manière de conserver les Fruicts, et faire toutes sortes de Confitures, Conserves, et Massepans, paru pour la première fois en 1651. Il avait pris le soin de dédier son ouvrage aux dames, car il songeait que c’était davantage celles-ci qui, dans les maisons, menaient le train de la cuisine. Il avait raison ; son traité, considéré comme le plus populaire des manuels de jardinage du dix-septième siècle, fut réédité avec, à chaque fois un certain nombre de modifications.
La cinquième édition, celle d’Amsterdam, chez Jean Blaeu, (1654, (petit in-12), est la plus connue et la plus recherchée avec la première. Un exemplaire relié à l’époque en veau marbré, le dos orné, a été adjugé 400 €, à Drouot, le 16 juin 2010 par la svv Alde. A la fois livre de jardinage et livre de cuisine, cet ouvrage évoque d’abord les arbres fruitiers et leur culture, puis les fruits et légumes, et enfin des recettes pour la conservation des fruits, les confitures sèches et liquides, etc. Cette édition est illustrée de 4 figures gravées sur cuivre à pleine page, dont un titre-frontispice. Elles sont non signées, mais reprennent les gravures de François Chauveau qui ornent l'édition originale de 1651.
On trouve une suite au « Jardinier français » de Bonnefons, sous le titre Les Délices de la Campagne, suite du Jardinier françois, où est enseigné à préparer l’usage de la vie, tout ce qui croist sur la terre et dans les eaux. Dédié aux dames menageres. (Cinquiesme édition augmentée par Paris, Théodore Girard [Guillaume de Luynes, Loyson, ou Jean Cochart] 1673, in-12). C’est dans cette édition que parut pour la première fois Le Traité des chasses de Nicolas de Bonnefons qui y a été ajouté. Il n’existe qu’une seule édition parue séparément, sans nom d’auteur, avec une pagination particulière sur 59 pages, et pour titre spécial complet. Traité des chasses, de la vénerie et fauconnerie. Où est exactement enseignée la méthode de connoître les bons chiens, la chasse du cerf, du sanglier, du lièvre, du daim, du chevreuil, du connil, du loup, etc. (Paris, Charles de Sercy, 1681.petit in-8°). Ce petit volume ornée de 4 gravures sur bois, l'une à pleine page montrant une ramure de cerf et 3 autres dans le texte, montrant les différentes fumées des cerfs, est considéré comme fort rare. Un exemplaire sous cartonnage moucheté, exécuté au dix-huitième siècle, a été vendu 1.181 €, à Drouot, le 30 juin 2011 par la svv Aguttes, assistée par Edgard Laval.
Bonnefons a repris Les Délices de la Campagne dans une nouvelle édition augmentée en 1679 (P. Ch. De Sercy, in-12). Cinq ans plus tard paraissait encore le même ouvrage, mais cette fois en trois volumes, le dernier étant consacré à la Manière de cultiver les arbres fruitiers, les instructions pour les arbres fruitiers et suivi par le Traité des chasses. L’auteur de cette dernière partie était en fait un certain Legendre, curé d’Hénouville. Selon J Thiébaud, auteur de la Bibliographie des ouvrages français sur la chasse (le Vexin français, 1974), Legendre serait le pseudonyme de Robert Arnaud d’Andilly (1589-1674) conseiller d’Etat, littérateur de talent et l’un des « Solitaires de Port-Royal », également connu pour sa passion pour l’arboriculture.
Nous n’en avons pas fini avec les publications du traité de la chasse de Bonnefons. Louis Ligier (1658-1717) s’en empara à son tour pour le placer à la suite des compilations qu’il fit du Jardinier français et des Délices de la campagne (P. Michel David, 1710) suivi par trois éditions à peu près semblables jusqu’en 1745.

vendredi 7 octobre 2011

DES LIAISONS TRÈS CONVOITÉES




Pierre-Antoine-François Choderlos de Laclos (1741-1803) était quasiment inconnu du monde des lettres. Il avait bien commis quelques vers publiés anonymement dans l’Almanach des muses et fait jouer des pièces qui ne connurent aucun succès. On lui doit aussi, L’Epître à Margot, un poème sur une femme de petite vertu qui progresse dans la société grâce à ses charmes. Ce texte écrit en 1774 circula à l’état de manuscrit et fit grand bruit à Paris. Alors capitaine de bombardiers, et en congé à Paris, Laclos voulait « faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit, et qui retentît encore sur la terre quand j’y aurai passé ». Il y réussit. Lorsqu’il parut, le premier tirage de deux mille exemplaires se vendit en moins d’un mois. Le plus récent de l’édition originale et du premier tirage signé des seules initiales de l’auteur, dont le titre complet est Les Liaisons dangereuses, ou Lettres recueillies dans une société, & publiées pour l'instruction de quelques autres. (A Amsterdam ; et se trouve à Paris, chez Durand neveu, 1782. 4 tomes in-12), passé en vente, a été adjugé 31.000 €, à Paris le 25 juin 2009, par Christie’s. Il était relié en veau marbré d’époque. A Drouot, le 12 novembre 2007, la svv Alde, assistée par Dominique Courvoisier, en avait adjugé 7.000 €, un autre relié en maroquin citron orné par René Kieffer dans l’esprit de Thouvenin. Les bibliophiles se souviennent de celui très grand de marge (167 mm), relié en veau marbré orné, aux armes de la princesse de Ligne, adjugé l’équivalent de 64.000 €, à Drouot, le 7 juin 1990 par Me Tajan, lors de la dispersion de la bibliothèque de Jacques Guérin.
La bibliographie des « Liaisons » datées de 1782, est complexe. Max Brun l’a établie dans une étude publiée dans le n° 33 du Livre et l'estampe. Il a en effet recensé 16 éditions et contrefaçons pour l’année. Pour lui, la « B », c’est dire la deuxième est très rare. Les fautes mentionnées dans l'errata de la première impression y furent corrigées, mais l'imprimeur, dans la précipitation mêla parfois des cahiers de cette première impression à ceux de la nouvelle. Un exemplaire de cette « EO B » relié en 3 volumes in-12 en demi-basane moucheté (usagée) a été vendu 600 €, à Drouot, le 13 mai 2005 par la svv Beaussant Lefèvre. Nous avons vu passer chez la svv Binoche et Giquello, une contrefaçon parue également en 1782, mais à Neuchâtel, De l'imprimerie de la Société Typographique, en deux volumes, dans une reliure en basane marbrée. Ella a obtenu 700 €.
Il arrive que l’on rencontre des exemplaires composés avec des tomes provenant des différentes impressions. Ce fut le cas pour celui adjugé 600 €, à Drouot le 17 juin 2010 par la svv Audap-Mirabaud. Le tome premier était une édition originale « A », les trois autres postérieurs à la date de l'édition originale (mars 1782), le tout relié en deux volumes en veau marbré d’époque. Peu importait finalement pour les lecteurs, ces différences de publications. Comme le souligne dans sa passionnante préface à la réédition des Liaisons dans la collection de la Pléiade, Catriona Seth, « une réaction immédiate témoigne de la reconnaissance du public qui y voit un écrit exceptionnel, alors même que la plupart des journalistes reste silencieux. Tout le monde - ou presque – lit l’ouvrage, même si certains feignent pat décence de n’avoir fait que le parcourir ». La reine Marie-Antoinette eut entre les mains ce roman « dangereux, satanique, mauvais, noir, atroce, méchant, immoral, scandaleux, condamnable, terrible, infime, corrosif, pernicieux, mais aussi admirable, moral, intelligent, original, chaînant, spirituel, étonnant, plein d’intérêt, bien écrit, utile », comme on le décrivit en 1782. La BNF conserve son exemplaire à ses armes, certes, dans une reliure muette, ni nom d’auteur, ni titre n’y figurent. Il ne fut curieusement pas interdit à l’époque, ce fut le dix-neuvième siècle, en 1823, qui s’en chargea.

UN CURIEUX MANUEL DE GALANTARIS

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Si les chroniques, les blogs et parfois les catalogues évoquent des ouvrages « introuvables », nul, à ma connaissance, n’a réalisé une bibliographie d’albae merulae. Plus séduisants encore sont les ouvrages qui n’existent pas, mais qui laissent croire qu’ils existeraient tout de même ou qu’ils devraient forcément exister. Où donc est passé, par exemple, l’édition originale des Fleurs du mal (Alençon, Poulet-Malassis, 1857, in-12) avec un envoi de la main de Charles Baudelaire à Jeanne Duval et d’un portrait de la jeune femme nue, également dessiné à l’encre par l’auteur sur l’une des pages de garde ? Songeant à ces ouvrages inconnus quelques lettrés ont réalisé des catalogues de livres imaginaires. Le premier du genre fut la bibliothèque de Saint-Victor dans Pantagruel. Plus près de nous furent les catalogues de ventes non moins imaginaires, de véritables facéties bibliophiles. Apollinaire cite dans Le Flâneur des deux rives (la Sirène, 1918), le « Catalogue des livres de la bibliothèque de M. ED. C., qui seront vendus le 1er avril prochain à la Salle des Bons-Enfants. » On y lisait par exemple : « ABEILARD. Incomplet, coupé./ ALEXIS (P.). Celles qu’on n’épouse pas. Nombr. taches./ ARISTOPHANE. Les Grenouilles. Papier du Marais./ AURIAC. Théâtre de la foire. Papier pot./ BALZAC (H. DE). La Peau de chagrin. Rel. id./ BEAUMONT (A.). Le Beau Colonel. Parf. état de conservation./ BOREL (PETRUS). Madame Putiphar. Se vend sous le manteau. » Ce « poulet » était sorti, vers 1910, de l’imagination savoureuse d’Edmond Cuénoud, « qui était gérant d’immeubles à Montparnasse, et consacrait ses loisirs à la bibliophilie. » Sa plaquette illustrée par Carlègle est devenue totalement introuvable (1). Plus fort encore fut le « Catalogue d’une très-riche mais peu nombreuse collection de livres provenant de la bibliothèque de feu Mr. le Comte J.-N.-A. de Fortsas, dont la vente se fera à Binche, le 10 août 1840, à onze heures du matin, en l’étude et par le ministère de Me. Mourlon, Notaire, rue de l’Eglise, no.9. Mons ». La parution de ce catalogue mit en émoi tout le monde de la bibliophilie de l’époque. « Tout alla bien jusqu’au jour indiqué pour la vente. Alors seulement on reconnut que M. de Fortsas, pas plus que sa bibliothèque n’avait jamais existé que dans l’imagination de M. René Chalon, bibliophile érudit autant que mystificateur ingénieux. » Vincent Puente a rapporté l’histoire de cette bibliothèque fantôme dans un savoureux petit livre complété par le fac-simile dudit catalogue (2).
Le même Vincent Puente à qui on doit également « le catalogue d’une bibliothèque d’occasion, Dix ans de chine (3) vient de sortir une Anatomie du faux (4) titre éponyme de l’un des chapitres qui ne peut qu’intéresser les bibliophiles. L’auteur, avec un sérieux imperturbable, rapporte avoir découvert à Naples, un exemplaire du fameux Manuel de bibliophilie de Christian Galantaris qu’il possède et consulte souvent (5). « C’est l’aspect inattendu de l’exemplaire proposé qui m’a poussé à le consulter puis à l’acheter. En lieu et place des deux tomes sous coffret rouge foncé de l’édition originale, cette édition se compose d’un seul et massif volume sous couverture toilée grise… ». L’auteur rapporte ce volume à Paris et le compare à son édition originale. Il constate « de flagrantes différences » et « les plus extravagantes variantes ». Avec un grand souci professionnel Vincent Puente poursuit l’examen de cette curieuse édition du « Manuel de Galantaris » et livre les récits de ces dissemblances et nouveautés. Nous ne songeons pas un instant au roman ou à la fable. Si nous ne connaissions pas Vincent Puente nous serions prêts à croire la véracité de ses propos. Est-il vraiment dans le faux ? Selon Christian Galantaris lui-même, le « Faux » [est une] Imitation plus ou moins réussie d’un original, délibérément exécutée pour tromper. Le faux est assez peu répandu dans le domaine du livre… » Voire, on ne se méfie jamais assez des bibliophiles.

Légende : « Une curieuse couverture pour un manuel très connu » © Vincent Puente


(1) La librairie Giraud-Badin en a tiré un fac-simile, à quelques exemplaires, il y a quelques années.
(2) Ed. des Cendres, 2005.
(3) Orbis pictos club, 2008.
(4) Les Billets de La Bibliothèque, 112 p.12 €.
(5) Ed. des Cendres, 1997.