lundi 21 novembre 2011

LE TRÉSOR DES LIVRES DE MER



Rien de tel qu’un récit de navigation, un traité de fabrication des navires, un glossaire maritime et même des ordonnances pour les juristes pour rêver. Ces ouvrages sont encore relativement rares aux XVIe et XVIIe siècles. Il n'en reste pas moins que les plus beaux cités par les bibliophiles marins datent de la fin du XVIIIe siècle. La Bibliographie maritime française depuis les temps reculés jusqu'en 1914, composée par Jean Polak comporte néanmoins 12 000 titres et nous imaginons qu’il convient de tripler ce chiffre un siècle plus tard. Comment choisir parmi tous ceux-là. Les voyageurs anciens se complurent à décrire des « amazones, géants patagons et cyclopes » et firent ainsi découvrir à leurs contemporains, les nouveaux mondes et suivre les expéditions scientifiques, les travaux des naturalistes, des anthropologues ? Michèle Polak dont la librairie de la rue de l’Echaudée, à Paris est le port à partir duquel tous les marins et les voyageurs partent vers d’autres mers, nous aide à distinguer parmi ces merveilles.
« J’ai trouvé dommage que ces livres soient ignorés, dit-elle. Ils n’ont pas été écrits seulement pour les marins, on peut les lire. Ils racontent notre passé, l’histoire d’autres peuples, d’autres mondes, tout ce qui nous a fait. Ce sont des textes vivants, de la véritable littérature », explique l’auteur du Trésor des livres de mer (1). Mais comment choisir entre toutes ces merveilles ; elle a été limitée à quatre-vingts titres. Elle ne pouvait pas passer à côté du De Insulis in mari Indico, la « lettre de Colomb », l’un des imprimés les plus précieux de la bibliophilie dite americana, ni du Voyage autour du monde de Bougainville, ni de celui de Krusenster, ni celui de Louis de Freycinet, ni de celui de Laplace. Michèle Polak a d’abord sélectionné les ouvrages qui lui plaisait, certains qu’elle possède, qu’elle a eu entre ses mains, et d’autres qu’elle a envie d’acquérir. Ce qui est après tout logique. Même « s’il a fallu choisir à grand-peine, retrancher, opérer des coupes claires dans l’immense inventaire des curiosités, l’inventivité des navigateurs des capitaines voyageurs, des équipages et des hommes de bord, rassembler le dit d’un monde énigmatique, balbutiant alors », confirme dans l’introduction, Alain Dugrand. « Ce livre des mers et des voyages est une proposition pour juger du monde tel qu’il demeure, il résonne de l’écho des vacarmes du passé, de rumeurs lointaines, de désirs, d’aventures humaines irrépressibles, des impératifs d’aller toujours plus avant ».
Chaque ouvrage est présenté sur une double page accompagné d’un récit racontant l’auteur et le livre et de plusieurs illustrations extraites des planches. L’iconographie de ces livres de voyages et marine ou les deux ensemble car ils sont indissociables, car on ne se déplaçait pas, autrefois, sans la mer, est particulièrement riche. Elle est celle que les navigateurs ont vue et rapportée. Sans oublier les histoires. Quelques une sont savoureuses, comme celle de cette jeune fille qui croisa la route d’un ours. L’animal tomba amoureux de la belle et dit-on, ils eurent un bel enfant. Ou cette autre rapportée par René Constantin de Renneville qui explique qu’en Inde, ce sont les prêtres Bramaines ou Bramains qui sont chargés d’ôter la virginité des filles avant leur mariage. On découvre encore un repas cannibale des histoires rats chassés par les chiens car les chats sont chassés par les habitants qui les mangent. « J’aimerais que cette littérature revive, dit encore Michèle Polak, elle est riche et parfois drôle. » Joseph Kabris, un Bordelais, connut des aventures jusqu’à ce qu’il fasse naufrage de l’île Nuka Hiva aux Marquises. Les indigènes organisèrent une fête pour l’accueillir lui et ses compagnons d’infortune. D’infortune en effet, car la fête prévoyait un repas dont ils devaient être les plats principaux. Mais la fille du roi s’éprit du beau matelot et il fut sauvé. Marié, prince, père de famille, tatoué comme ses nouveaux congénères, l’homme serait peut-être devenu roi si le commandant d’un bâtiment russe ne l’eut pas soustrait, à son corps défendant à son paradis. Et Kerguelen se taille lui aussi une belle part parmi les aventuriers. Au fait, il ne débarqua jamais sur l’île qui porte son nom. Ce « trésor » réussit à en être un en réunissant tous ces ouvrages que l’on voit passer dans les bibliographies et que l’on ouvrira désormais.

(1)– Trésors des livres de mers de Christophe Colomb à Marin-Marie par Michèle Polak et Alain Dugrand, Ed. Hoëbeke, 280 p. 59 €.