dimanche 30 septembre 2012



Á TRAÎNE QUI VOUDRA TENIR

                        Le père Claude-François Ménestrier (1631-1705) était un personnage respectable d’autant plus qu’il était lyonnais et appartenait à la compagnie de Jésus. Sa bibliographie comporte plus de 144 titres, essentiellement inspirés par l’héraldique. Le plus célèbre est La méthode du blason, éditée la première fois, à Lyon et à Paris par Michallet, en  1688 et qui bénéficia de huit réimpressions jusqu’en 1780. Nous avons relevé huit exemplaires de ces différentes éditions passées en vente au cours des dix dernières années, adjugés entre 90 € et 220 €.
                        Le moins connu des titres de ce religieux érudit est une Dissertation sur l’usage de se faire porter la queue… Un tiré à part des deux exemplaires justifiés, mais celui-ci non numéroté,  extrait du tome VIII de la « Collection des meilleurs (sic) dissertations, notices et traités particuliers de Constant Leber, qui parut en 1838 chez Dentu » (s.l.n.d. [vers 1838] in-8, broché à l’époque sous couverture d’attente, non rogné, a été adjugé 320 €, à Drouot, le 13 décembre 2011 par la svv Alde, assistée par Dominique Courvoisier. Selon cet expert, Paul Allut, auteur des Recherches sur la vie et sur les oeuvres du P. Claude-François Menestrier,.... (Lyon, N. Scheuring, 1856) mentionne la « Collection de Leber », mais pas de tiré à part.
                        Toujours est-il qu’à la lecture de ce titre, on se demande ce qu’était donc allé faire ce grand blasonneur dans cette étude qui laisse, à première vue, songeur ? Il devait « répondre aux demandes qu’un chanoine, docteur de Paris, avoit faite sur cet usage » ( sic). Les longues queues, tous les hommes d’église et les robins, le savent ce sont des habits et des manteaux de cérémonie. Selon le P. Ménestrier, cet usage est fort ancien puisqu’il cite des « habits trainans » (sic) chez les Grecs ; puis « la queue traînante des habits des tragédies » chez les Romains et enfin des « porteurs de queues aux cérémonies funèbres », essentiellement celles des princes chrétiens. Il vint la coutume de les porter dans d’autres cérémonies chez les personnes de qualité, souverains, princes et princesses, grands officiers, dignitaires des compagnies ecclésiastiques et séculières. « C’est ce qui fit donner le nom de queue à la suite des courtisans, officiers et domestiques qui accompagnaient ces personnes ». Il y eut, naturellement, des abus. Le concile de Tolède condamna, en 1324, ces « superfluités ». Les cardinaux passèrent outre et en firent une distinction. Ils ne sortirent plus qu’avec des porte-queue, les « caudataires ». Quant aux souverains, ne revêtent-ils pas un manteau à longue traîne, le jour de leur sacre ?
                        Une première édition de cette intéressante Dissertation, fut donnée à Paris, chez Jean Boudot, en 1704, sur 51 pages. Son texte – « avec quelques retranchemens » (sic) - fut repris dans le Journal ecclésiastique de l’abbé Dinouart, en mai 1764 ; puis dans la Collection de pièces relatives à l’histoire de France, publiée en 1826, notamment par Constant Leber. L’éditeur d’une édition, imprimée par J.M. Barret, à Lyon, en 1829, explique avec précaution que ce C. Leber  « a accompagné cette dissertation d’un petit nombre de notes, la plupart intéressantes, que nous croyons devoir lui emprunter, et auxquelles nous en avons ajouté quelques-unes, sans prétendre (non plus que lui) au mérite d’épuiser la matière, et encore moins de mettre la dernière main à l’œuvre du savant auteur ». Dans ses descriptions, le P. Ménestrier a, en effet, omis la queue des robes des magistrats et des avocats. Elles existent toujours, mais elles sont « retroussées à l’intérieur ».
                        Cette robe-là, celle des avocats se dessina à partir du XVIIe siècle et peu à peu devint semblable à celle que portent les membres du barreau de nos jours. Au grand siècle, ils en étaient constamment vêtus « Elle était pourvue d’une queue rabattue à l’intérieur et attachée en tortillon à un ruban  accroché à l’échancrure de la manche droite. La queue est détachée dans les grandes occasions et traîne à même le sol », précise Jacques Boedels, dans son étude sur Les habits du pouvoir, la justice (1). Aujourd’hui, la robe s’est raccourcie et la traîne a diminué d’ampleur au profit du cordon qui a grandi en proportion. On ne la détache plus. « Elle s’est atrophiée, dit-il encore, à l’instar de ces oiseaux dont les ailes finissent  en moignon faute d’être utilisées ».
                                              
(1)   Ed. Antébi,1992.