vendredi 15 avril 2016



LA JOYEUSE  GRAMMAIRE DES DAMES 


                        Le salon international du livre ancien qui est devenu le Salon du livre rare – de l’autographe, de l’estampe et du dessin – organisé par le SLAM (Syndicat de la librairie ancienne et moderne)  se tiendra sous la verrière du Grand Palais du 22 au 24 avril (1). Cette manifestation qui réunit près d’une centaine de libraires français et étrangers et près d’une trentaine de galeries, accueille aussi la Bibliothèque nationale de France qui présente des ouvrages et documents peu connus tirés de ses réserves. Seront également présents des ouvrages publiés par Louis Jou (1881-1968) « architecte du livre et des Baux », selon la formule de Pierre Seghers ; une présentation de la Fédération  des huit villages, villes ou cités du Livre, en France ; l’Association Culturelle des Bouquinistes des quais de Paris ; les ateliers Moret ; les papiers du Moulin Richard de bas. Bref, tout ce qui tourne autour de la bibliophilie, l’autographe et l’estampe. Un monde qui n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, fermé.  Si quelqu’un en douterait, des animations et initiations sont prévues tout au long de ces quatre jours consacrés au livre.
                        Cette année, le Salon du livre rare reçoit comme invité  la  bibliothèque « l’Heure  Joyeuse » qui fut  la première  bibliothèque consacrée à la jeunesse en France. Inaugurée  en  1924, elle a constitué au fil des décennies un très riche fonds patrimonial de livres pour enfants datant du XVIe siècle à nos jours (2). A l’heure où quelques Trissotins ont entrepris de ressortir une énième réforme de l’orthographe, en oubliant que mal parler une langue ou l’écorcher, c’est attenter à la logique et même à la raison, il semble intéressant de se pencher sur la grammaire. Ce mot est issu du latin grammatica, lui-même du grec gramatikhtexnh, c’est-à-dire à proprement parler la connaissance des lettres, l'art de lire et d'écrire, avec toutes les règles que cela suppose pour une bonne compréhension de la langue et conforme à son usage. La triturer, la malmener et vouloir la transformer par des édits relève en effet  de la « trissotinerie » voire d’une idéologie mal placée ; elle est suffisamment libre d’évoluer, de grandir et aussi de se trahir. La bibliographie des grammaires est d’importance, ce qui ne doit pas surprendre.  Mais le plus curieux est d’apprendre que la plus ancienne de nos grammaires françaises Lesclarcissement de la langue francoyse, (John Haukyns, 1530, in-folio gothique)  a été écrite en… anglais  par John Palsgrave (1480-1551), « natyf de Londres, et gradue à Paris ». Ce qui n’a pas lieu d’être étonnant, car l’élite anglaise était francophone. Ce traité comporte plus de 1000 pages (3).
                        S’il semble donc  utile à quelques lexicographes de réformer la langue, encore convient-il de la connaître et au moins de l’enseigner. Sans remonter jusqu’à Plutarque dont l’édition princeps de son traité « d’Education et nourriture des enfants » fut imprimé à Paris, en 1509, nous pensons immédiatement, en songeant aux « livres d’éducation », à celui destiné à Henri de Bourgogne, composé par Erasme (1467-1536), De Civilitate morum puerilium (Bâle, 1530, in-8), qui servit de références à plusieurs générations. À propos de l’apprentissage de la lecture, nous n’en citerons qu’un sortant de l’ordinaire, mais qui pourrait peut-être aujourd’hui être utile dans bon nombre de classes primaires. Grammaire des dames, où l'on trouvera des principes sûrs & faciles, pour apprendre à orthographier correctement la langue française, avec les moyens de connaître les expressions provinciales, de les éviter, & de prévenir, chez les jeunes demoiselles, l'habitude d'une prononciation vicieuse, dédiée à Son Altesse sérénissime madame la princesse de Lambale (sic), surintendante de la maison de la reine. Par Mr. De P*** [Prunay], chevalier de l'ordre royal & militaire de St Louis. (Paris, Lottin l'aîné, 1777, in-12). Le frontispice gravé par Duclos montre des demoiselles à l’ouvrage. Outre l’orthographe, on trouve dans ce volume des conseils pour la correspondance et l’art de bien parler, bref tout ce qui forme le bon ton. Le  chapitre sur les « expressions provinciales à éviter » est savoureux : à la cour, on ne dit pas apprentisse maie apprentie ; « avé moi » mais « avec moi », cacaphonie mais cacophonie, Missipipi mais Mississipi, tant pire mais tant pis, &c. »


                                                          
 (1)      www.salondulivrerare.fr
(2)       Fonds patrimonial Heure Joyeuse - Médiathèque Françoise Sagan, 8, rue Léon Schwartzenberg, 75010 Paris. bibliotheque.heurejoyeuse-patrimoine@paris.fr
(3)       Réédité pour la première fois  en 1852 par l’Imprimerie nationale, une nouvelle traduction a été éditée en 1972,  par la Librairie Honoré Champion,
(4)       Présenté par la librairie Villa Browna, Paris.