lundi 30 avril 2012


                          LES SIGNAUX DE L’AMIRAL


              L’amiral britannique sir John Norris (vers 1670-1749) participa à la bataille de la Hougue (1692) et servit notamment en Terre-Neuve. Il fut nommé amiral en 1709 et commanda l’escadre de la Baltique. Lord de l’Amirauté entre  1718 et 1730, ensuite la flotte de la Manche puis quitta le service actif en 1744, dépité de ne pas avoir réussi à s’emparer de l’escadre de Brest. Ce marin a illustré lui-même et complété un exemplaire du Sailing and Fighting Instructions for the Majesties Fleet (Londres, vers 1711, in-folio). Cet « unica » était présenté lors de la Tefaf Maastricht par le libraire londonien, Daniel Crouch, avec un prix de 50.000 £. Les pages comprennent 100 petits croquis de bâtiments toutes voiles déployées, agrémentés de pavillons de  signalisation coloriés à l’encre, placés dans les marges,  plus deux descriptions d’additions manuscrites de signaux signées de la main de l’amiral (1).
              Le volume, relié en plein maroquin marron, est orné d’une dentelle sur les plats et du titre de l’ouvrage. Une inscription indique que cet exemplaire a été offert en septembre 1866  par Thornton A. Jenjins, chef du bureau de Navigation  à Gideon Welles, alors  Secretary of the Navy du président Abraham Lincoln. On ne connaît pas d’autre exemplaire de cet ouvrage.  La page de titre qui ne comporte pas de nom d’auteur, ni d’adresse bibliographique, indique seulement : « Signals by day/SIGNALS to be observed/ Sailing and Fighting INSTRUCTION /FOR/ His Majesties  FLEET ».  On peut y lire par exemple  les instructions devant être suivies par un jeune capitaine, face à un plus âgé. Plus loin, se sont les descriptions des pavillons des officiers à bord du bâtiment amiral, etc. Le seul  moyen de communiquer d’un bord à l’autre, au cours des manœuvres des batailles était d’utiliser des morceaux d’étoffe colorées. Dès 1541, le vocabulaire maritime décrivait le Pavillon comme une pièce d’étoffe, généralement de forme quadrangulaire, hissée sur un navire afin d’indiquer sa nationalité, sa compagnie ou pour communiquer un signal. Dans son Art de la navigation, troisième partie des Arts de l’homme de l’épée (Paris, G. Clouzier, 1678, in-12), Georges Guillet de Saint-Georges, décrit le « pavillon » comme une « Bannière, ordinairement d’étamine , qu’on arbore à la pointe d’un Mat, ou sur le Bâton de l’Arrière, & qui est coupé de diverses façons, & chargés d’armes & de couleurs, tant pour le discernement des Nations, que pour la distinction des Officiers Généraux d’une Armée Navale ». Ce sont les fameux« pavillons Quarré Blanc », définis par le Règlement de 1670.  Guillet n’évoque pas les Signaux, au contraire de Tourville qui les étudia et les améliora. Il existe plusieurs manuscrits de ses Signaux généraux mis au point dès 1693. Ils furent réimprimés « par ordre du roi » sous le titre Signaux et ordres généraux du maréchal de Tourville (Toulon, Mallard, 1744, in-folio).
              Les signaux seront vraiment codifiés en 1738 par Bertrand-François Mahé de la Bourdonnais, grâce à dix fanions de couleurs différentes. Quelques années plus tar, en 1778, Jean-François du Cheyron du Pavillon publiait Tactique navale dans lequel il mettait  au point un nouveau mode de communication entre les différents bâtiments de la Royale. Celui-là fut inauguré par Louis d’Orvilliers lors de la bataille d’Ouessant, (27 juillet  1778) qui vit la défaite de  la flotte de l’amiral britannique Keppel. A cette époque à bord des bâtiments, on imprimait ces manuels de signaux, les premières « impressions d’escadre » datent en effet de 1778. 
               De l’autre côté de la Manche, Richard Howe  proposa en 1790 son propre Code, composé de dix pavillons colorés, six drapeaux spéciaux pour les caractères de contrôle et un dictionnaire de 260 entrées numériques. Puis en 1803, l'amiral sir Home Popham publiait son Telegraphic Signals or Marine Vocabulary. Il enrichit au cours des années suivantes, son système à l’aide d’une nouvelle gamme de fanions numériques, disposant ainsi d’un vocabulaire d’environ 30.000 mots. Entre temps, en 1819, la France diffusait un petit in-folio intitulé Pavillons des puissances maritimes, composé de 30 planches en couleurs (2). Finalement, en 1855, un comité fut chargé par le "Board of Trade" britannique d'établir un projet de code. Ce premier Code international comprenant 70 000 signaux et utilisant 18 pavillons, fut publié en 1857. L'ouvrage fut adopté par la plupart des nations maritimes.
                                                           
(2)   Cité par la Bibliographie maritime française, de Jean Polak (1976).

samedi 28 avril 2012


                               TUER UN TYRAN N’EST PAS UN MEURTRE


 
                        Les tyrans appartiennent à l’Antiquité, les dictateurs à la période moderne. Aujourd’hui, l’annuaire des seconds a tendance à s’épaissir. Jusqu’au XVIIe, il était aussi mince qu’une feuille volante. « Où apparaît le premier dictateur du type contemporain ? se demandait Jacques Bainville dans  Les Dictateurs, publié en 1935. En Angleterre. Et qu'est-ce que l'Angleterre ? La « mère des Parlements », le pays qui a adopté pour lui-même et, par imitation, répandu chez les autres le régime des assemblées. Cromwell tend déjà à laisser croire que la dictature est un phénomène qui accompagne les révolutions, la démocratie et le système parlementaire. »                  
              Oliver Cromwell (1599-1658)  serait donc le premier dictateur des temps modernes. Les Conventionnels ne s’y sont trompés en invectivant Robespierre, lors de la séance du 8 Thermidor An II (26 juillet 1794), et en criant : « A bas, à bas le Cromwell ! » et en le qualifiant  de « nouveau Cromwell ». Il est tout de même intéressant de les entendre s’invectiver et s’appuyer sur Oliver Cromwell. Ce n’était plus Robespierre qui était le père de la Révolution et eux ses thuriféraires, mais Cromwell, le comploteur, le régicide, l’incorruptible.                      
              Cromwell, ce puritain radicalisé, vouait une haine profonde à Charles Ier qu’il soupçonnait de tenter de soumettre l’Angleterre à Rome. Ses violences verbales et guerrières dont l’Irlande catholique se souvient encore, ainsi qu’une bonne partie de l’Angleterre et de l’Écosse, provoquèrent une parenthèse sanglante et noire dans l’Histoire de l’Angleterre, quoiqu’il ait fait développer la marine et le commerce et sans doute permis au Royaume Uni d’entrer dans la modernité. Nous pourrions nous étonner qu’un tel personnage n’ait pas fait l’objet d’attentat, de tentative de renversement ? Il eut des opposants. Notamment Edward Sexby (1616 -1658). Ce personnage était ce que l’on nommait un « niveleur », c'est-à-dire appartenant à un groupe réclamant une égalité de tous devant la loi, et prônant la communauté des biens. Sexby était surnommé « l’Oiseau tempête ». Excédé par Cromwell, il composa un pamphlet intitulé Killing No Murder qu’il publia sous le pseudonyme de William Allen (Londres, 1656). Cette apologie du tyrannicide recommandait l’assassinat de Cromwell. Car tuer un tyran n’est pas un meurtre.  On rapporte  que le futur Lord Protector,  devant la verdeur des propos publiés et le succès remporté par l’opuscule, ne dormit plus jamais deux nuits de suite au même endroit et planifia minutieusement ses déplacements. Ce pamphlet, bien que publié sous le pseudonyme de William Allen, peut être attribué aux plumes de Silius (ou Silas) Titus (1623–1704), Edward Sexby ou  celle du véritable  William Allen ; soit à une savante combinaison des trois. Titus revendiqua la paternité du texte et on y trouve effectivement son écriture sarcastique ; il fut par ailleurs nommé plus tard nommé par Charles II, gentilhomme de la chambre du roi. Sexby pour sa part n’admit sa participation que sous la pression alors qu’il se mourrait emprisonné à la Tour de Londres ; quant à William Allen, farouche opposant à Cromwell, on a pensé qu’il avait pu l’écrire en toute liberté sachant sa mort prochaine.                 
              Cet ouvrage a été réimprimé avec des additions en 1659, en 1743,  puis  en 1775, par les soins du petit-fils d’Algernon Sidney 2e comte de Leicester (1622-1682) qui après avoir suivi Cromwell, s’opposa au procès de Charles Ier et poursuivit de sa haine le Lord Protector. Il s’exila, rentra en Angleterre lors de la Restauration, mais soupçonné d’avoir participé au complot de la Rye-House, il fut décapité. La première édition française de ce Killing No Murder est parue sous le titre complet : « Traicté politique, composé par William Allen, Anglois, et traduit nouvellement en françois, où il est prouvé par l'exemple de Moyse, et par d'autres, tirés hors de l'écriture, que tuer un tyran titulo vel exercitio, n'est pas un meurtre » (Lugduni, Anno, 1658, [en fait imprimée à Compiègne pour Mercier, en 1793], In-16 carré). Nous en avons vu un exemplaire dans une  reliure plein papier rose, pièce de titre manuscrite sur papier vergé (1). La date de parution de cette traduction, n’est naturellement pas innocente quoiqu’en dise le traducteur. Au contraire de Cromwell qui est mort d’une fièvre maligne, Robespierre a été décapité. Ce n’était pas un crime.
                                              
(1)   A la librairie Villa Browna (Paris), et sera présenté au Salon international du Livre ancien au grand Palais du 26 au 29 avril 2012.