jeudi 22 décembre 2011
Conte de Noël / LE CHAMEAU A FUGUÉ
De la fenêtre de sa chambre, Léandre contemple la façade de l’immeuble voisin. La grande vitrine de la boutique, en bas, est vide. Pas tout à fait ; l’enfant distingue des petits personnages errant çà et là sur la moquette à peine éclairée par un projecteur. Marionnettes oubliées d’un décor passé, elles tentent de jouer encore dans cet espace vide qui doit être bien froid. Il la connaît bien cette devanture devant laquelle il passe chaque matin en allant à l’école et chaque soir au retour. Ce ne sont pas tellement les vêtements habituellement suspendus qui l’attirent que les jouets dispersés autour d’eux. Des charriots bleus ciel, des voitures rouges ou vertes, des échelles et même des bateaux aux larges voiles, sont peuplés d’ours bruns ou blancs semblant les conduire ou les tirer dans des promenades immobiles. Le petit garçon s’étonne parfois de ne pas les voir s’enfuir réellement dans la rue, franchir les carrefours et traverser les boulevards pour se rendre par exemple jusqu’au bord de la mer où ses parents l’emmènent dans une grande maison au bord de la plage. Il lui est arrivé d’interpeler, de sa voix encore frêle, celui que son père lui a dit se nommer Paddington, un Anglais qui a traversé les mers dans un canot. Il est facilement reconnaissable celui-là avec son duffle-coat vert, ses bottes jaunes et son chapeau rouge de marin. Ah, partir avec lui, à bord de son bateau pour aller découvrir un trésor ! Un seul inconvénient, il y a des mouettes au-dessus des vagues, Léandre aime bien les entendre, lorsqu’il est engoncé sous les couvertures dans la chambre de l’étage de la maison d’Houlgate, mais, le jour, il en a peur. Elles ont un gros bec tout pointu et jaune, ces mouettes que Grand-père prend bien soin de nommer goéland. Un mot trop compliqué à retenir.
Le petit Léandre saute sur son vélo tout neuf, tout jaune, aux petites roues toutes rouges, et appuyant fort sur les pédales parvient à jaillir hors de sa chambre, amorce un virage serré qui le jette dans le couloir et, à bout de course, butte contre le canapé du salon. Aïe ! Maman sursaute et fronce les sourcils. La boîte ouverte qu’elle a posée sur la table basse, a failli être renversée par l’impétueux coureur. L’enfant reconnaît le coffret dans lequel sont rangés les santons de la crèche. Il n’ose imaginer la catastrophe qu’il a évitée de peu. Maman sourit déjà, l’incident semble oublié ; elle l’invite à l’aider à dresser la crèche. A condition d’être prudent, il obtient l’autorisation de sortir, avec beaucoup de précaution, chaque personnage et de le déposer dans et autour de cette drôle de maison en forme de village que Grand-père a rapporté, il y a bien longtemps de Naples, une ville de l’Italie, où lui, a-t-il raconté, il existe une rue où des artisans fabriquent toute sorte de maisons comme celle-là peuplées de dizaines petits personnages. L’enfant se montre appliqué et pose ainsi l’Eveillé, les bergers, le meunier, le pistachié, le chanteur qui rappelle un grand cousin trop tôt disparu dont il ne se souvient pas, puis l’abbé, le tonnelier et les adorants, toute cette petite foule qui entoure Marie, Joseph, le bœuf et l’âne. Le Petit Jésus, lui, doit attendre d’apparaitre dans la nuit de Noël. Léandre sait que c’est à lui que reviendra la tâche de Le déposer au centre de la crèche.
« Dans combien de jours arrive Noël ? » demande le petit garçon à sa mère. La jeune femme regarde avec tendresse son fils, se souvenant de sa propre impatience lorsqu’elle était elle-même une petite fille. « Encore une petite semaine ! » - « Cela fait-il beaucoup de jours ? » - « Six. Compte sur tes doigts » - « Oh, c’est loin ! », constate-t-il d’un air presque désespéré. Il ne reste plus au fond de la boîte que les Rois Mages dont on oublie toujours le nom de l’un des trois : « Melchior, Balthazar et…Gaspard. Léandre les place à l’écart derrière la montagne en papier. Ils ne sont pas encore partis pour Bethléem, l’étoile qui doit les y conduite ne brille pas encore dans le ciel. « Où est le chameau ? » Pas de chameau dans la boîte. Maman a beau regarder, fouiller, remuer les feuilles de papier de soie froissés. Pas de chameau. Ce camélidé est indispensable pour constituer le groupe des Mages. Sans lui, ils ne pourraient être présents le jour de l’Epiphanie.
Dans sa petite tête, Léandre ne comprend pas qu’un si gros et si bizarre animal ait ainsi disparu. Il ne doit pas être bien loin. « Je vais mener mon enquête ». Hélas, le coffret retourné, rien n’en sort. Le placard où sont rangées chaque année les décorations de Noël, ne livre pas plus de chameau. C’est pourtant grand un chameau avec sa grosse bosse et son long cou, et ses grands yeux qui semblent tout doux. Maman lui a raconté que c’est grâce à cet animal que l’on peut traverser les déserts.
Distrait de ces jeux, Léandre jette un regard à travers la fenêtre vers l’extérieur. Les nuages gris semblent couvrir la rue. La neige va-t-elle tomber ? Tous les contes et les histoires de Noël se déroulent sous les flocons de neige. Jamais encore le petit bonhomme n’a vu dans la ville, de flocons le soir de Noël. Il imagine les rues couvertes de cette mousse blanche et froide comme en montagne et des traineaux tirés par des chevaux qui glisseraient au son des grelots. Les chameaux supportent-ils le froid ? L’enfant tout à son rêve glisse vers la vitrine d’en face et quelle n’est pas sa stupéfaction de voir justement un chameau dressé la tête haute comme s’il le regardait ? Il semble aussi grand qu’un vrai. Il se frotte les yeux, se retourne vers le coffret à santons et se demande comment son chameau a-t-il pu grandir et s’échapper ? Car le petit garçon ne doute pas un instant que l’animal posé dans la vitrine soit le sien. « Je dois aller le chercher », se dit-il avec force en serrant les poings.
Vous n’allez pas me croire, mais les veilles de Noël, les animaux parlent entre eux d’abord, aux enfants qui savent les entendre ensuite. Quant aux adultes, il convient qu’ils aient véritablement conservé leur âme d’enfance, ce qui n’est pas toujours gagné. Et les peluches, me direz-vous ? Ceux-là sont à part, ils possèdent un langage secret que seul les bébés comprennent. Léandre à la faveur d’une course en compagnie de Grand-mère, réussit à s’approcher de la vitrine et à insister pour regarder le fameux chameau. Il est installé entouré de peluches de plus ou moins grande taille figurant d’autres animaux figés dans un jeu que les humains ne doivent pas deviner. Lui les domine, l’air un peu las, prenant garde toutefois de ne pas les bousculer dans leurs cabrioles. Cela, les humains ne le voient pas, quoique Léandre semble percevoir le remue-ménage qui agite ce petit monde dans un décor qui mélange autant les montagnes que les dunes. Imperceptiblement le grand animal incline la tête et remue l’une de ses oreilles toute ronde, tandis que le petit garçon murmure : « Je t’ai reconnu, je sais que c’est bien toi, le chameau de ma crèche, tu n’as pas le droit de m’abandonner, tu dois rentrer à la maison ».
Têtu le chameau n’a pas quitté sa nouvelle maison. Léandre trépigne devant sa fenêtre lui lançant des appels désespérés ou impératifs. Les parents se sont aperçus que l’enfant était préoccupé. Ils mettent cet énervement sur le compte de l’approche de Noël. Il leur a expliqué qu’il avait retrouvé le chameau perdu et qu’il tentait par tous les moyens de le faire revenir à la maison, car les Rois mages avaient besoin de lui pour arriver dans la crèche de l’Enfant Jésus. Pensant à un jeu, les parents acquiescent dans un même mouvement de la tête.
Vous n’imaginez pas le tintamarre qui a retenti dans la rue, d’abord, puis dans l’escalier de l’immeuble, quelques instants avant minuit, dans la nuit du 24 au 25 décembre. Les passants ont vu galoper dans la rue un chameau poursuivi par une meute d’animaux en peluches qui tentaient de la retenir. En vain, car un bout de chou tenait le portail de l’immeuble du n° 48, en faisant des grands signes. Le chameau se précipita à l’intérieur, la lourde porte se referma. Un grand bruit encore, puis plus rien.
Au matin, tandis que Léandre entouré des parents, grands-parents, oncles et tantes et cousins découvrent les paquets enrubannés déposés devant le sapin, Maman contemplant la crèche s’exclame : « Tiens, le chameau est revenu, Léandre, tu vas pouvoir faire avancer les Rois mages ». Le petit garçon lève les yeux ; la tête de la petite figurine s’incline et son œil cligne légèrement. Il est le seul à le voir. (fin)
Bertrand Galimard Flavigny
mardi 20 décembre 2011
L’INSTITUT D’EGYPTE
l'Institut d'Égypte a été ravagé par un incendie, le samedi 17 décembre 2011, au Caire La majeure partie de son fonds constitué d’environ 200.000 ouvrages n'était pas numérisée. Le lundi suivant, près de la place Tah¬rir, les 22 employés ainsi que deux membres de l'Unesco et des volontaires continuaient de mettre sous sacs plastique des pages en partie calcinées et des volumes noircis.
La fameuse phrase : Soldats, du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent", figura pour la première fois dans une Histoire de Bonaparte, premier consul, par un anonyme (en fait O. Guerlac), publié en 1803. Bonaparte ne l’aurait jamais prononcée, mais l’aurait adoptée a posteriori. La campagne d'Egypte débuta en avril 1798 et s'acheva le 14 septembre 1801 après la capitulation du général Menou à Alexandrie.
Lorsque les troupes dites de « l’Armée d’Angleterre » s’embarquèrent à Toulon, le 19 mai 1798, elles ignoraient leur destination. Le secret avait été bien gardé. On imagine la stupéfaction des soldats lorsqu’ils apprirent qu’il s’agissait de l’Egypte ! « La surprise fut si grande qu’un petit nombre seulement s’avisa que Bonaparte qui les commandait avait signé la proclamation que l’on venait de lire aux troupes de son nom suivi de la mention : « membre de l’Institut national, général en chef ».
Bonaparte avait été, en effet, élu le 25 décembre 1797 à l’Institut, au fauteuil de Lazare Carnot, mais n’y siégea n’y ne revêtit jamais l’habit vert. Une aquarelle laisse croire le contraire. Celle-là fut composée par Edouard Detaille (1848-1912). Elle représente Bonaparte revêtu de la redingote brodée, culotte à la française noire, bas noirs, les bras croisés, adossé à un bureau. On distingue sur la gauche des travées et le visage de deux ou trois membres de l’Institut. Cette scène apocryphe est entrée en mars 1997, dans les collections de l’Institut de France, après un achat à l’hôtel des ventes de Drouot.
« Triomphalement élu à l’Institut, Bonaparte poursuit habilement sa cour, signant désormais lettres et proclamations de son nouveau titre, emmenant avec lui en Egypte, Berthollet et Monge, créant au Caire un Institut calqué sur le modèle de celui de Paris, et poussant l’admiration pour les idéologues en allant jusqu’à publier une seconde Décade, égyptienne celle-là... », raconte l’historien Jean Tulard. Cet Institut d’Egypte fut fondé le 22 août 1798, avec pour but « le progrès et la propagation des Lumières ». Emanation de la Commission des sciences et des arts, emmenée par Bonaparte lors de sa campagne, il comptait 36 membres, choisis parmi ses personnalités les plus éminentes. L’Institut comprenait quatre sections de douze membres : mathématiques, physiques, économie politique, littérature et arts. Il se réunit deux fois par décade jusqu'en 1801, dans le palais Hassam Kachef. On y a traité de questions pratiques comme la fabrique de la bière sans houblon, la clarification des eaux du Nil. Et aussi débattu, ce qui fut plus important pour l’histoire des sciences, de l'explication du phénomène des mirages par Gaspard Monge et l'étude de Claude Berthollet sur les lacs de natron - d'où est extraite la soude qu'exporte l'Égypte depuis l'Antiquité -, qui a conduit à remettre en cause la thèse, dominante à l'époque, des affinités électives et à avancer l'idée novatrice d'«équilibre chimique», fondamentale pour l'avènement de la chimie moderne. Ces travaux furent publiés dans La Décade égyptienne. Cette revue prit des allures de bulletin d’information. On lança même une montgolfière, par deux fois, depuis le centre du Caire. Les Egyptiens haussèrent les épaules devant ce ballon qui s’élevait dans les airs… et retombait aussitôt. Les Musulmans furent davantage choqués par l’habit des membres de l’Institut ; il était vert, la couleur réservée aux descendants de Mahomet. Le recueil des communications de l’Institut seront publiées, sous le titre Mémoires sur l’Egypte…(P. Didot l’aîné, an VIII-an XI (1800-1803), 4 vol. in-8°, 2 cartes dépliantes, 2 tableaux dépliants). Une édition anglaise (London, R. Phillips, 1800, in-8°) fut publiée en même temps.
Si la campagne d’Egypte, entreprise insensée, ne rapporta rien sur le plan militaire, elle provoqua, en revanche, une floraison de découvertes archéologiques et une avalanche de mémoires. Philippe de Meulenaere a recensé dans sa Bibliographie raisonnée des témoignages oculaires imprimés de l'expédition d'Egypte, trois cent soixante trois ouvrages composés par autant de militaires, de médecins, chirurgiens, scientifique, ingénieurs et voyageurs français, anglais, arabes (1). Le résultat du travail de tous ces savants se retrouve dans la monumentale Description de l’Egypte, ou « recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition française ….». (Imprimerie Impériale, puis Imprimerie Royale, de 1802 à 1830).
Cette « Description » comprend 9 tomes en 10 volumes, petit in-folio de texte, orné de 36 planches, plus l’Atlas comprenant 11 tomes en 13 volumes, grand in-folio contenant 892 planches dont 72 sont coloriée. Plus de 80 artistes y ont apporté leur concours et, pour imprimer les planches, la plupart en noir, mais certaines en couleur, il a fallu employer plus de 400 graveurs ! A cause du format exceptionnellement grand des planches, Nicolas Conté a dû inventer une presse spéciale qui fut installée dès 1803 au Louvre, avant de gagner, en 1805, le tout neuf Institut de France.
L'ouvrage dont les maîtres d’œuvres furent Gaspard Monge (1746-1818) et Dominique-Vivant Denon (1747-1825), comporte trois parties : Antiquité, Etat moderne et Histoire naturelle. 5 volumes de planches sont consacrées à l'Antiquité ; 4 volumes de texte, 2 volumes de planches et 3 de texte à l'Etat moderne ; 3 volumes de planches et 2 volumes de texte à l'Histoire naturelle. Cette parution nécessita 211 livraisons. Elles ne furent pas régulières, car pour des raisons politiques et financières, la publication dut être interrompue cinq fois et l'ouvrage resta dépourvu de tables. C'est à Charles X que le géographe Edme-François Jomard (1777-1862), secrétaire général de la rédaction, présenta les dernières planches. Le roi offrit quelques exemplaires de cet ouvrage dont un au général de La Ferrière, relié en demi-maroquin rouge, aux plats entourés d’une frise de fleurs de lys. Le plat supérieur est orné de l’inscription suivante « Donné par le Roi au LT. Gl de LA FERRIERE, Grand Croix des Ordres Royaux de St-Louis et de la Légion d’Honneur. 1828 ». (2)
Comment ranger dans une bibliothèque, un ouvrage d’une telle dimension ? Celui du général est présenté dans une meuble-bibliothèque en chêne reposant sur quatre pieds moulurés, présentant cinq compartiments (H. 98, L. 122,5, Pr. 83 cm). En fait Jomard avait dessiné les plans d’un meuble qui pourrait être exécuté sur commande. L’ébéniste parisien Charles Morel réalisa plusieurs modèles de ce fameux meuble « retour d’Egypte ». Nous en connaissons au moins six dont un à la bibliothèque du Sénat offert par Louis-Philippe à la Chambre des Pairs, un autre dans celle de l’Assemblée nationale, un autre encore qui appartenu au Dr Clot-Bey, sans doute offert par le roi Louis-Philippe. Nous en avons la description : « Ce meuble en acajou et placage d’acajou le dessus à plateau basculant à la Tronchin est muni de deux lutrins adaptés aux dimensions des planches et gravures qui se fixent sur le plateau par un axe métallique. Il est composé d’un tiroir et de deux vantaux ; le tiroir démasque un bureau à quatre casiers ; derrière les vantaux apparaissent 14 rayonnages à roulettes. Le meuble est décoré de frises sculptés par Danton aux motifs de papyrus, cobras, bâtons liés, colonnes serpentines à chapiteaux de masques nubiens, de cartouches ailées aux armes du royaume d’Egypte. Jacob conçut aussi un meuble spécial en acajou et bronzes dorés, pour contenir cette « œuvre digne de la grande Encyclopédie du siècle des Lumières ».
Bertrand Galimard Flavigny
(1) Ed. Chamonal
(2) Celui-ci a été adjugé 26.000 €, à Cheverny, le 7 juin 2009 par la svv Philippe Rouillac
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dimanche 18 décembre 2011
UN CANTIQUE DE NOËL PEUT EN CACHER UN AUTRE
Chanter Noël ! Quoi de plus naturel en cette période de l’année. Les Anglais excellent en cela grâce, notamment aux chorales de Cambridge, les Anglo-Saxons poussent plus loin la chansonnette et c’est un plaisir de les entendre autour de l’arbre décoré dans Downtown. Les chants composés autour de la date choisie de la naissance du Christ, sont apparus vers le IXe siècle. Cela alla même plus loin, car trois siècles plus tard, on mit en scène sur le parvis des églises, cette naissance avec des personnages costumés à l’instar des comédies musicales d’aujourd’hui. Puis, le temps passant, les noëls traditionnels devinrent peu à peu dépourvu de sens religieux. Ils furent peu à peu diffusés grâce à l’imprimerie. Justement, l’un des plus fameux sortit des presses en 1520 à Paris les Noëls de feu maître Lucas le Moigne, en son vivant curé de Saint-George du Pui la Garde, au diocèse de Poitou. Selon les musicologies, cet ecclésiastique utilisa les airs de 36 chansons déjà connues. Mais attention, un cantique peut en cacher un autre. Les noëls de Jean Daniel, dit maître Mitou, chapelain et organiste, publiés pour la première fois à Lyon, au cours du XVIe siècle, et souvent réimprimés, ne sont aucunement religieux, ni par le caractère familier et bouffon de ses textes, ni par la musique à laquelle ils s'adaptaient, qui était, selon leur titre « le chant de plusieurs belles chansons ». Il y avait tromperie sur le sens liturgique. Nicolas Denisot (1515-1559), un bel esprit du temps qui aimait aussi la peinture, entreprit de ramener la gravité dans les noëls. Il fit paraître au Mans [sans date] et à Paris chez la veuve Maurice de La Porte, en 1553, sous l'anagramme de son nom, le Conte d'Alsinois, les Cantiques du premier aduenement de Iesu-Christ, contenant treize chants avec la musique des airs imprimés dans le texte. De son côté, à peu près à la même époque, Nicolas Martin, « clerc de branche » à Saint-Jean de Maurienne publia à Lyon en 1555, des « noëls et chansons tant en vulgaire Françoys que Savoysiens dict Patois ». Martin et Denisot, on s’en doute, ne furent pas le seul à compiler voire composer des noëls. « Il n'y est pas fait place, ou rarement, à la prière. Ce sont des chansons de réveillons, non d'église », disent les dictionnaires musicaux. La recette était simple. On prenait des chansons populaires déjà connues sur lesquelles on mettait des paroles de son cru et on les appelait « noëls nouveaux ». Chacun se souvient de « Sur le pont d’Avignon J’ai ouï chanter la belle » ; connaît-on le cantique de noël calqué sur ces paroles : « Sur le Mont de Syon J’ai su bonne nouvelle » ? La chanson au joli titre : « Une jeune fillette/De noble cœur », qui raconte l’histoire d’une jeune fille mise au couvent contre son gré, est ainsi devenue « Une jeune pucelle De noble cœur », qui narre désormais l’histoire de la Vierge Marie ? Les danses elles-mêmes furent mises à la contribution de Noël. La plus familière car on ne s’en doute pas est « le Branle de l’Official » qui est devenu un « Carol » anglais sous le nom de Ding Dong Merrily on High. Tant en Angleterre, qu’en Nouvelle Angleterre et en Nouvelle France, dans les pays du Nord, ce chant retentit, sans que l’on s’en lasse, dans les foyers, les magasins, les rues, les églises…
L’abbé Joseph-Simon Pellegrin (1663-1745), d’abord religieux servite et aumônier de la marine, excella dans cet exercice d’adaptation. Proche de Mme de Maintenon, il put être sécularisé, ce qui lui permit d’ouvrir une boutique de madrigaux et épigrammes à caractère religieux, qu’il vendait pour toutes occasions ! Type du prêtre-crotté, il écrivait aussi pour le théâtre, afin d’arrondir ses fins de mois. Toujours est-il que ce librettiste a modifié voire modernisé plusieurs textes anciens parvenus jusqu’à nous. Le vaudeville Prends ma Philis, prends ton verre se chante désormais, grâce à lui : Cher Enfant qui vient de naître. L’abbé fit paraître la première fois en 1722, ses Noëls nouveaux sur les chants des Noëls anciens, notés pour en faciliter le chant, mais sans musique. Ce qui peut s’expliquer, car les lecteurs devaient s’en souvenir. Une nouvelle édition, datée de 1728 à 1735, fut imprimée pour Nicolas le Clerc toujours sans musique et comprenant sept recueils de noëls nouveaux et poésies spirituelles. Parmi elles, le Venez divin Messie issu de Laissez paître vos bêtes.
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lundi 21 novembre 2011
LE TRÉSOR DES LIVRES DE MER
Rien de tel qu’un récit de navigation, un traité de fabrication des navires, un glossaire maritime et même des ordonnances pour les juristes pour rêver. Ces ouvrages sont encore relativement rares aux XVIe et XVIIe siècles. Il n'en reste pas moins que les plus beaux cités par les bibliophiles marins datent de la fin du XVIIIe siècle. La Bibliographie maritime française depuis les temps reculés jusqu'en 1914, composée par Jean Polak comporte néanmoins 12 000 titres et nous imaginons qu’il convient de tripler ce chiffre un siècle plus tard. Comment choisir parmi tous ceux-là. Les voyageurs anciens se complurent à décrire des « amazones, géants patagons et cyclopes » et firent ainsi découvrir à leurs contemporains, les nouveaux mondes et suivre les expéditions scientifiques, les travaux des naturalistes, des anthropologues ? Michèle Polak dont la librairie de la rue de l’Echaudée, à Paris est le port à partir duquel tous les marins et les voyageurs partent vers d’autres mers, nous aide à distinguer parmi ces merveilles.
« J’ai trouvé dommage que ces livres soient ignorés, dit-elle. Ils n’ont pas été écrits seulement pour les marins, on peut les lire. Ils racontent notre passé, l’histoire d’autres peuples, d’autres mondes, tout ce qui nous a fait. Ce sont des textes vivants, de la véritable littérature », explique l’auteur du Trésor des livres de mer (1). Mais comment choisir entre toutes ces merveilles ; elle a été limitée à quatre-vingts titres. Elle ne pouvait pas passer à côté du De Insulis in mari Indico, la « lettre de Colomb », l’un des imprimés les plus précieux de la bibliophilie dite americana, ni du Voyage autour du monde de Bougainville, ni de celui de Krusenster, ni celui de Louis de Freycinet, ni de celui de Laplace. Michèle Polak a d’abord sélectionné les ouvrages qui lui plaisait, certains qu’elle possède, qu’elle a eu entre ses mains, et d’autres qu’elle a envie d’acquérir. Ce qui est après tout logique. Même « s’il a fallu choisir à grand-peine, retrancher, opérer des coupes claires dans l’immense inventaire des curiosités, l’inventivité des navigateurs des capitaines voyageurs, des équipages et des hommes de bord, rassembler le dit d’un monde énigmatique, balbutiant alors », confirme dans l’introduction, Alain Dugrand. « Ce livre des mers et des voyages est une proposition pour juger du monde tel qu’il demeure, il résonne de l’écho des vacarmes du passé, de rumeurs lointaines, de désirs, d’aventures humaines irrépressibles, des impératifs d’aller toujours plus avant ».
Chaque ouvrage est présenté sur une double page accompagné d’un récit racontant l’auteur et le livre et de plusieurs illustrations extraites des planches. L’iconographie de ces livres de voyages et marine ou les deux ensemble car ils sont indissociables, car on ne se déplaçait pas, autrefois, sans la mer, est particulièrement riche. Elle est celle que les navigateurs ont vue et rapportée. Sans oublier les histoires. Quelques une sont savoureuses, comme celle de cette jeune fille qui croisa la route d’un ours. L’animal tomba amoureux de la belle et dit-on, ils eurent un bel enfant. Ou cette autre rapportée par René Constantin de Renneville qui explique qu’en Inde, ce sont les prêtres Bramaines ou Bramains qui sont chargés d’ôter la virginité des filles avant leur mariage. On découvre encore un repas cannibale des histoires rats chassés par les chiens car les chats sont chassés par les habitants qui les mangent. « J’aimerais que cette littérature revive, dit encore Michèle Polak, elle est riche et parfois drôle. » Joseph Kabris, un Bordelais, connut des aventures jusqu’à ce qu’il fasse naufrage de l’île Nuka Hiva aux Marquises. Les indigènes organisèrent une fête pour l’accueillir lui et ses compagnons d’infortune. D’infortune en effet, car la fête prévoyait un repas dont ils devaient être les plats principaux. Mais la fille du roi s’éprit du beau matelot et il fut sauvé. Marié, prince, père de famille, tatoué comme ses nouveaux congénères, l’homme serait peut-être devenu roi si le commandant d’un bâtiment russe ne l’eut pas soustrait, à son corps défendant à son paradis. Et Kerguelen se taille lui aussi une belle part parmi les aventuriers. Au fait, il ne débarqua jamais sur l’île qui porte son nom. Ce « trésor » réussit à en être un en réunissant tous ces ouvrages que l’on voit passer dans les bibliographies et que l’on ouvrira désormais.
(1)– Trésors des livres de mers de Christophe Colomb à Marin-Marie par Michèle Polak et Alain Dugrand, Ed. Hoëbeke, 280 p. 59 €.
jeudi 20 octobre 2011
L’APPARITION DES CORPORATIONS
Durant la période médiévale, les métiers se réunirent en confréries qui s’organisèrent en corporations. Ce terme qui ne sera généralisé qu’au début du XVIe siècle vient du latin médiéval corporari, former un corps. L’association produite par la réunion des ouvriers exerçant le même métier s’appelait en effet le métier, le corps de métier ou le commun du métier. Ce mouvement apparut dès le XIe siècle pour se généraliser au XIIIe siècle. On trouve, néanmoins la trace d’un regroupement des boulangers, dès le début du VIIe siècle. Une charte de 1134 évoque les « antiques étaux » des bouchers de Paris. Les statuts des chandeliers de Paris datent de 1061. Toutes les corporations « étaient moins occupées de se développer que de prévenir la concurrence », explique un auteur ancien. Etienne Boileau, prévôt des marchands en 1254, obtint des corporations que chacune établît ses droits en les faisant enregistrer. Cela prit quatre années et il en sortit une Livre des métiers. Seuls les bouchers refusèrent de s’y inscrire. Ce registre n’est plus connu que par des copies. Les cent un métiers mentionnés comprennent ceux de l’alimentation, de l’habillement, de la sellerie, de l’armement ; du bâtiment et du bois, des ustensiles domestiques, des chirurgiens, des étuveurs et des métiers d’art et de luxe : orfèvres, patenôtriers, cristalliers ou pierriers batteurs, imagiers (sculpteurs et peintres)…
Parmi eux, figurait naturellement la corporation des gantiers qui, elle, est datée de 1190. La période des croisades apporta le goût des fragrances en Europe, on importa, notamment depuis Venise, des peaux odoriférantes destinées à la confection de vêtement et surtout de gants.
Ce fut un engouement sans nom, les eaux parfumées furent déposées partout sur tous les objets de la vie quotidienne. Mais qui donc vendait les parfums ? Les gantiers bien sûr, mais également les merciers. Ces deux corps de métiers de disputèrent le privilège de la vente des parfums. Aussi, en 1594, un édit défendit aux deux antagonistes de s’intituler parfumeurs, tout en les autorisant toutefois de parfumer leur marchandise. Finalement, en 1614, des lettres patentes octroyèrent aux gantiers seuls, le nom de parfumeur d’où la dénomination de « parfumeurs-gantiers ». ce qui fut confirmé en 1656 ; à condition que les membres de cette nouvelle corporation ne vendent dans leur échoppe que les produits qu’ils fabriquaient eux-mêmes.
L’apprentissage d’un métier était une des principales préoccupations du Livre des métiers, véritable recueil de statut des métiers. Le régime corporatif étant rigoureux, l’ouvrier libre et indépendant n’existait pas. De son patron, l’homme de travail allait hiérarchiquement aux jurés de la corporation, puis au prévôt de Paris et aux grands officiers de la couronne, maîtres et protecteurs de certains métiers.
Toute cette organisation devait voler en éclat sous le coup de la Révolution. Voulant supprimer toutes les anciennes entraves, les Constituants, dont la théorie du libéralisme économique ne reconnaissait que l'individu, décidèrent de supprimer les corporations de maîtres et les coalitions de compagnons pour donner la libre accession au patronat pour tous. Naturellement, la loi Allarde du 2 mars 1791 conçue maladroitement sous le coup d’une idéologie, créait en même temps un vide juridique dans lequel s’engouffrèrent les compagnons et apprentis pour s'organiser face à la crise économique qui commençait à faire rage. La multiplication des assignats entraînait, notamment une forte hausse des prix. Les grèves se firent de plus en plus nombreuses à Paris durant ce printemps. Libérés de la tutelle des corporations de maîtres, les compagnons et apprentis créèrent des coalitions ouvrières, dont quelques-unes comme celle des compagnons charpentiers qui tentèrent d'imposer un tarif aux patrons. La bourgeoisie constituante réagit aussitôt. L'avocat rennais, député du tiers état, Isaac Le Chapelier, fit voter, le 14 juin 1791, une loi qui portera son nom. L'homme qui présida l'assemblée la nuit du 4 août, interdit toute association entre personnes d'un même métier et toute coalition ouvrière. Maîtres et compagnons ne pouvaient nommer de présidents, secrétaires ou syndics et "prendre des arrêtés sur leurs prétendus intérêts communs". En clair, grèves et syndicats étaient prohibés; la liberté du travail l'emportait sur la liberté d'association.
Cela me fait songer que bon nombre de "job" sont à portée de main, même à l'étranger. Il suffit de se rendre sur www.jooble.org et de voir le monde s'ouvrir clef en main.
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lundi 17 octobre 2011
LES CHASSES DE M. DE BONNEFONS
Monsieur de Bonnefons, Nicolas de son prénom, était issu d’une famille du Languedoc les Dupin de Bonnefons, à ne pas confondre avec les Sarrazin de Bonnefons qui eux, venait d’Auvergne. De bonne noblesse, il avait acquis la charge de valet de chambre du roi Louis XIV ; mais propriétaire rural, il faisait davantage commerce d'arbres et de graines. On le connaissait, à son époque, surtout, grâce à un ouvrage intitulé Le jardinier françois, qui enseigne à cultiver les Arbres, et Herbes Potagères ; Avec la manière de conserver les Fruicts, et faire toutes sortes de Confitures, Conserves, et Massepans, paru pour la première fois en 1651. Il avait pris le soin de dédier son ouvrage aux dames, car il songeait que c’était davantage celles-ci qui, dans les maisons, menaient le train de la cuisine. Il avait raison ; son traité, considéré comme le plus populaire des manuels de jardinage du dix-septième siècle, fut réédité avec, à chaque fois un certain nombre de modifications.
La cinquième édition, celle d’Amsterdam, chez Jean Blaeu, (1654, (petit in-12), est la plus connue et la plus recherchée avec la première. Un exemplaire relié à l’époque en veau marbré, le dos orné, a été adjugé 400 €, à Drouot, le 16 juin 2010 par la svv Alde. A la fois livre de jardinage et livre de cuisine, cet ouvrage évoque d’abord les arbres fruitiers et leur culture, puis les fruits et légumes, et enfin des recettes pour la conservation des fruits, les confitures sèches et liquides, etc. Cette édition est illustrée de 4 figures gravées sur cuivre à pleine page, dont un titre-frontispice. Elles sont non signées, mais reprennent les gravures de François Chauveau qui ornent l'édition originale de 1651.
On trouve une suite au « Jardinier français » de Bonnefons, sous le titre Les Délices de la Campagne, suite du Jardinier françois, où est enseigné à préparer l’usage de la vie, tout ce qui croist sur la terre et dans les eaux. Dédié aux dames menageres. (Cinquiesme édition augmentée par Paris, Théodore Girard [Guillaume de Luynes, Loyson, ou Jean Cochart] 1673, in-12). C’est dans cette édition que parut pour la première fois Le Traité des chasses de Nicolas de Bonnefons qui y a été ajouté. Il n’existe qu’une seule édition parue séparément, sans nom d’auteur, avec une pagination particulière sur 59 pages, et pour titre spécial complet. Traité des chasses, de la vénerie et fauconnerie. Où est exactement enseignée la méthode de connoître les bons chiens, la chasse du cerf, du sanglier, du lièvre, du daim, du chevreuil, du connil, du loup, etc. (Paris, Charles de Sercy, 1681.petit in-8°). Ce petit volume ornée de 4 gravures sur bois, l'une à pleine page montrant une ramure de cerf et 3 autres dans le texte, montrant les différentes fumées des cerfs, est considéré comme fort rare. Un exemplaire sous cartonnage moucheté, exécuté au dix-huitième siècle, a été vendu 1.181 €, à Drouot, le 30 juin 2011 par la svv Aguttes, assistée par Edgard Laval.
Bonnefons a repris Les Délices de la Campagne dans une nouvelle édition augmentée en 1679 (P. Ch. De Sercy, in-12). Cinq ans plus tard paraissait encore le même ouvrage, mais cette fois en trois volumes, le dernier étant consacré à la Manière de cultiver les arbres fruitiers, les instructions pour les arbres fruitiers et suivi par le Traité des chasses. L’auteur de cette dernière partie était en fait un certain Legendre, curé d’Hénouville. Selon J Thiébaud, auteur de la Bibliographie des ouvrages français sur la chasse (le Vexin français, 1974), Legendre serait le pseudonyme de Robert Arnaud d’Andilly (1589-1674) conseiller d’Etat, littérateur de talent et l’un des « Solitaires de Port-Royal », également connu pour sa passion pour l’arboriculture.
Nous n’en avons pas fini avec les publications du traité de la chasse de Bonnefons. Louis Ligier (1658-1717) s’en empara à son tour pour le placer à la suite des compilations qu’il fit du Jardinier français et des Délices de la campagne (P. Michel David, 1710) suivi par trois éditions à peu près semblables jusqu’en 1745.
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vendredi 7 octobre 2011
DES LIAISONS TRÈS CONVOITÉES
Pierre-Antoine-François Choderlos de Laclos (1741-1803) était quasiment inconnu du monde des lettres. Il avait bien commis quelques vers publiés anonymement dans l’Almanach des muses et fait jouer des pièces qui ne connurent aucun succès. On lui doit aussi, L’Epître à Margot, un poème sur une femme de petite vertu qui progresse dans la société grâce à ses charmes. Ce texte écrit en 1774 circula à l’état de manuscrit et fit grand bruit à Paris. Alors capitaine de bombardiers, et en congé à Paris, Laclos voulait « faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit, et qui retentît encore sur la terre quand j’y aurai passé ». Il y réussit. Lorsqu’il parut, le premier tirage de deux mille exemplaires se vendit en moins d’un mois. Le plus récent de l’édition originale et du premier tirage signé des seules initiales de l’auteur, dont le titre complet est Les Liaisons dangereuses, ou Lettres recueillies dans une société, & publiées pour l'instruction de quelques autres. (A Amsterdam ; et se trouve à Paris, chez Durand neveu, 1782. 4 tomes in-12), passé en vente, a été adjugé 31.000 €, à Paris le 25 juin 2009, par Christie’s. Il était relié en veau marbré d’époque. A Drouot, le 12 novembre 2007, la svv Alde, assistée par Dominique Courvoisier, en avait adjugé 7.000 €, un autre relié en maroquin citron orné par René Kieffer dans l’esprit de Thouvenin. Les bibliophiles se souviennent de celui très grand de marge (167 mm), relié en veau marbré orné, aux armes de la princesse de Ligne, adjugé l’équivalent de 64.000 €, à Drouot, le 7 juin 1990 par Me Tajan, lors de la dispersion de la bibliothèque de Jacques Guérin.
La bibliographie des « Liaisons » datées de 1782, est complexe. Max Brun l’a établie dans une étude publiée dans le n° 33 du Livre et l'estampe. Il a en effet recensé 16 éditions et contrefaçons pour l’année. Pour lui, la « B », c’est dire la deuxième est très rare. Les fautes mentionnées dans l'errata de la première impression y furent corrigées, mais l'imprimeur, dans la précipitation mêla parfois des cahiers de cette première impression à ceux de la nouvelle. Un exemplaire de cette « EO B » relié en 3 volumes in-12 en demi-basane moucheté (usagée) a été vendu 600 €, à Drouot, le 13 mai 2005 par la svv Beaussant Lefèvre. Nous avons vu passer chez la svv Binoche et Giquello, une contrefaçon parue également en 1782, mais à Neuchâtel, De l'imprimerie de la Société Typographique, en deux volumes, dans une reliure en basane marbrée. Ella a obtenu 700 €.
Il arrive que l’on rencontre des exemplaires composés avec des tomes provenant des différentes impressions. Ce fut le cas pour celui adjugé 600 €, à Drouot le 17 juin 2010 par la svv Audap-Mirabaud. Le tome premier était une édition originale « A », les trois autres postérieurs à la date de l'édition originale (mars 1782), le tout relié en deux volumes en veau marbré d’époque. Peu importait finalement pour les lecteurs, ces différences de publications. Comme le souligne dans sa passionnante préface à la réédition des Liaisons dans la collection de la Pléiade, Catriona Seth, « une réaction immédiate témoigne de la reconnaissance du public qui y voit un écrit exceptionnel, alors même que la plupart des journalistes reste silencieux. Tout le monde - ou presque – lit l’ouvrage, même si certains feignent pat décence de n’avoir fait que le parcourir ». La reine Marie-Antoinette eut entre les mains ce roman « dangereux, satanique, mauvais, noir, atroce, méchant, immoral, scandaleux, condamnable, terrible, infime, corrosif, pernicieux, mais aussi admirable, moral, intelligent, original, chaînant, spirituel, étonnant, plein d’intérêt, bien écrit, utile », comme on le décrivit en 1782. La BNF conserve son exemplaire à ses armes, certes, dans une reliure muette, ni nom d’auteur, ni titre n’y figurent. Il ne fut curieusement pas interdit à l’époque, ce fut le dix-neuvième siècle, en 1823, qui s’en chargea.
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UN CURIEUX MANUEL DE GALANTARIS
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Si les chroniques, les blogs et parfois les catalogues évoquent des ouvrages « introuvables », nul, à ma connaissance, n’a réalisé une bibliographie d’albae merulae. Plus séduisants encore sont les ouvrages qui n’existent pas, mais qui laissent croire qu’ils existeraient tout de même ou qu’ils devraient forcément exister. Où donc est passé, par exemple, l’édition originale des Fleurs du mal (Alençon, Poulet-Malassis, 1857, in-12) avec un envoi de la main de Charles Baudelaire à Jeanne Duval et d’un portrait de la jeune femme nue, également dessiné à l’encre par l’auteur sur l’une des pages de garde ? Songeant à ces ouvrages inconnus quelques lettrés ont réalisé des catalogues de livres imaginaires. Le premier du genre fut la bibliothèque de Saint-Victor dans Pantagruel. Plus près de nous furent les catalogues de ventes non moins imaginaires, de véritables facéties bibliophiles. Apollinaire cite dans Le Flâneur des deux rives (la Sirène, 1918), le « Catalogue des livres de la bibliothèque de M. ED. C., qui seront vendus le 1er avril prochain à la Salle des Bons-Enfants. » On y lisait par exemple : « ABEILARD. Incomplet, coupé./ ALEXIS (P.). Celles qu’on n’épouse pas. Nombr. taches./ ARISTOPHANE. Les Grenouilles. Papier du Marais./ AURIAC. Théâtre de la foire. Papier pot./ BALZAC (H. DE). La Peau de chagrin. Rel. id./ BEAUMONT (A.). Le Beau Colonel. Parf. état de conservation./ BOREL (PETRUS). Madame Putiphar. Se vend sous le manteau. » Ce « poulet » était sorti, vers 1910, de l’imagination savoureuse d’Edmond Cuénoud, « qui était gérant d’immeubles à Montparnasse, et consacrait ses loisirs à la bibliophilie. » Sa plaquette illustrée par Carlègle est devenue totalement introuvable (1). Plus fort encore fut le « Catalogue d’une très-riche mais peu nombreuse collection de livres provenant de la bibliothèque de feu Mr. le Comte J.-N.-A. de Fortsas, dont la vente se fera à Binche, le 10 août 1840, à onze heures du matin, en l’étude et par le ministère de Me. Mourlon, Notaire, rue de l’Eglise, no.9. Mons ». La parution de ce catalogue mit en émoi tout le monde de la bibliophilie de l’époque. « Tout alla bien jusqu’au jour indiqué pour la vente. Alors seulement on reconnut que M. de Fortsas, pas plus que sa bibliothèque n’avait jamais existé que dans l’imagination de M. René Chalon, bibliophile érudit autant que mystificateur ingénieux. » Vincent Puente a rapporté l’histoire de cette bibliothèque fantôme dans un savoureux petit livre complété par le fac-simile dudit catalogue (2).
Le même Vincent Puente à qui on doit également « le catalogue d’une bibliothèque d’occasion, Dix ans de chine (3) vient de sortir une Anatomie du faux (4) titre éponyme de l’un des chapitres qui ne peut qu’intéresser les bibliophiles. L’auteur, avec un sérieux imperturbable, rapporte avoir découvert à Naples, un exemplaire du fameux Manuel de bibliophilie de Christian Galantaris qu’il possède et consulte souvent (5). « C’est l’aspect inattendu de l’exemplaire proposé qui m’a poussé à le consulter puis à l’acheter. En lieu et place des deux tomes sous coffret rouge foncé de l’édition originale, cette édition se compose d’un seul et massif volume sous couverture toilée grise… ». L’auteur rapporte ce volume à Paris et le compare à son édition originale. Il constate « de flagrantes différences » et « les plus extravagantes variantes ». Avec un grand souci professionnel Vincent Puente poursuit l’examen de cette curieuse édition du « Manuel de Galantaris » et livre les récits de ces dissemblances et nouveautés. Nous ne songeons pas un instant au roman ou à la fable. Si nous ne connaissions pas Vincent Puente nous serions prêts à croire la véracité de ses propos. Est-il vraiment dans le faux ? Selon Christian Galantaris lui-même, le « Faux » [est une] Imitation plus ou moins réussie d’un original, délibérément exécutée pour tromper. Le faux est assez peu répandu dans le domaine du livre… » Voire, on ne se méfie jamais assez des bibliophiles.
Légende : « Une curieuse couverture pour un manuel très connu » © Vincent Puente
(1) La librairie Giraud-Badin en a tiré un fac-simile, à quelques exemplaires, il y a quelques années.
(2) Ed. des Cendres, 2005.
(3) Orbis pictos club, 2008.
(4) Les Billets de La Bibliothèque, 112 p.12 €.
(5) Ed. des Cendres, 1997.
Si les chroniques, les blogs et parfois les catalogues évoquent des ouvrages « introuvables », nul, à ma connaissance, n’a réalisé une bibliographie d’albae merulae. Plus séduisants encore sont les ouvrages qui n’existent pas, mais qui laissent croire qu’ils existeraient tout de même ou qu’ils devraient forcément exister. Où donc est passé, par exemple, l’édition originale des Fleurs du mal (Alençon, Poulet-Malassis, 1857, in-12) avec un envoi de la main de Charles Baudelaire à Jeanne Duval et d’un portrait de la jeune femme nue, également dessiné à l’encre par l’auteur sur l’une des pages de garde ? Songeant à ces ouvrages inconnus quelques lettrés ont réalisé des catalogues de livres imaginaires. Le premier du genre fut la bibliothèque de Saint-Victor dans Pantagruel. Plus près de nous furent les catalogues de ventes non moins imaginaires, de véritables facéties bibliophiles. Apollinaire cite dans Le Flâneur des deux rives (la Sirène, 1918), le « Catalogue des livres de la bibliothèque de M. ED. C., qui seront vendus le 1er avril prochain à la Salle des Bons-Enfants. » On y lisait par exemple : « ABEILARD. Incomplet, coupé./ ALEXIS (P.). Celles qu’on n’épouse pas. Nombr. taches./ ARISTOPHANE. Les Grenouilles. Papier du Marais./ AURIAC. Théâtre de la foire. Papier pot./ BALZAC (H. DE). La Peau de chagrin. Rel. id./ BEAUMONT (A.). Le Beau Colonel. Parf. état de conservation./ BOREL (PETRUS). Madame Putiphar. Se vend sous le manteau. » Ce « poulet » était sorti, vers 1910, de l’imagination savoureuse d’Edmond Cuénoud, « qui était gérant d’immeubles à Montparnasse, et consacrait ses loisirs à la bibliophilie. » Sa plaquette illustrée par Carlègle est devenue totalement introuvable (1). Plus fort encore fut le « Catalogue d’une très-riche mais peu nombreuse collection de livres provenant de la bibliothèque de feu Mr. le Comte J.-N.-A. de Fortsas, dont la vente se fera à Binche, le 10 août 1840, à onze heures du matin, en l’étude et par le ministère de Me. Mourlon, Notaire, rue de l’Eglise, no.9. Mons ». La parution de ce catalogue mit en émoi tout le monde de la bibliophilie de l’époque. « Tout alla bien jusqu’au jour indiqué pour la vente. Alors seulement on reconnut que M. de Fortsas, pas plus que sa bibliothèque n’avait jamais existé que dans l’imagination de M. René Chalon, bibliophile érudit autant que mystificateur ingénieux. » Vincent Puente a rapporté l’histoire de cette bibliothèque fantôme dans un savoureux petit livre complété par le fac-simile dudit catalogue (2).
Le même Vincent Puente à qui on doit également « le catalogue d’une bibliothèque d’occasion, Dix ans de chine (3) vient de sortir une Anatomie du faux (4) titre éponyme de l’un des chapitres qui ne peut qu’intéresser les bibliophiles. L’auteur, avec un sérieux imperturbable, rapporte avoir découvert à Naples, un exemplaire du fameux Manuel de bibliophilie de Christian Galantaris qu’il possède et consulte souvent (5). « C’est l’aspect inattendu de l’exemplaire proposé qui m’a poussé à le consulter puis à l’acheter. En lieu et place des deux tomes sous coffret rouge foncé de l’édition originale, cette édition se compose d’un seul et massif volume sous couverture toilée grise… ». L’auteur rapporte ce volume à Paris et le compare à son édition originale. Il constate « de flagrantes différences » et « les plus extravagantes variantes ». Avec un grand souci professionnel Vincent Puente poursuit l’examen de cette curieuse édition du « Manuel de Galantaris » et livre les récits de ces dissemblances et nouveautés. Nous ne songeons pas un instant au roman ou à la fable. Si nous ne connaissions pas Vincent Puente nous serions prêts à croire la véracité de ses propos. Est-il vraiment dans le faux ? Selon Christian Galantaris lui-même, le « Faux » [est une] Imitation plus ou moins réussie d’un original, délibérément exécutée pour tromper. Le faux est assez peu répandu dans le domaine du livre… » Voire, on ne se méfie jamais assez des bibliophiles.
Légende : « Une curieuse couverture pour un manuel très connu » © Vincent Puente
(1) La librairie Giraud-Badin en a tiré un fac-simile, à quelques exemplaires, il y a quelques années.
(2) Ed. des Cendres, 2005.
(3) Orbis pictos club, 2008.
(4) Les Billets de La Bibliothèque, 112 p.12 €.
(5) Ed. des Cendres, 1997.
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lundi 25 avril 2011
LE COQ MARIN/ L'ISF au service des Politiques
L’impôt sur les grandes fortunes, l’ISF est exemplaire. Se souvient-on qu’il fût inventé par les socialistes qui avaient mis l’accent sur le terme solidarité ? Sait-on que ISF se traduit en réalité par Impôt de solidarité sur la fortune, ce qui, évidemment grammaticalement ne veut rien dire. En matière de politique, le respect de la langue française n’est pas une priorité. Quoiqu’il en soit cet impôt-là brandi comme un épouvantail a permis à bon nombre de Français qui auraient pu participer à l’élan économique de la France, de connaître les charmes des pays voisins qui ont compris depuis longtemps que la solidarité ne passait pas par la spoliation des uns pour théoriquement remplir les poches des autres. Le mythe de Robin des Bois et de Cartouche, perdure. Sur le papier, l’idée pouvait paraître bonne, ce fut une catastrophe. Tous les pays qui s’étaient laissés séduire par elle, ont abandonné cet impôt confiscatoire et anti-productif. La France finit par, elle aussi, le supprimer. Las, la droite au pouvoir perdit les élections et la gauche triomphante rétablit cet impôt en insistant encore sur l’idée selon laquelle en prenant aux riches on donnait aux pauvres. Nous connaissons le résultat de cette idéologie : Le trésor public perd chaque année une quinzaine de milliards de recettes par an pour un rapport ridicule d’ 1,5 milliard, soit moins que ses coûts de gestion. Du coup les gouvernements successifs aménagent comme ils le peuvent la fiscalité pour tenter d’endiguer l’hémorragie. Chaque initiative est saluée par l’opposition de gauche comme une atteinte à la solidarité.
Malgré toutes les études, une fois de plus les hommes politiques de droite ont renoncé à supprimer l’ISF, même s’il devrait être allégé. Non pas parce qu’ils veulent enrichir les pauvres et se donner les moyens de répartir les richesses, mais parce qu’ils ont peur de perdre les élections. Perdre les élections ! Ne plus être un élu, ne plus être au pouvoir ! Voilà le nœud de l’affaire. L’ISF est en effet exemplaire. Sa pérennité apporte la preuve que les hommes politiques quelles que soient leur idéologie ne sont nullement préoccupés par le bien public mais par le leur. Car si ces gens-là écoutaient les économistes, et même les citoyens, je veux dire ceux qui font fi des idéologies et qui contribuent à tous les niveaux, par leur travail à la bonne marche de l’économie française pour le bien de tous, il y a beau temps qu’ils auraient supprimé cet ISF.
Nous ne nous faisons pas d’illusion, les élections sont proches, l’ISF a en effet de beaux jours devant lui, avec ou sans bouclier.
13 avril 2011
* Je ne suis pas assujetti à cet impôt, je rêve simplement à une France dépourvue de mauvaise foi.
Malgré toutes les études, une fois de plus les hommes politiques de droite ont renoncé à supprimer l’ISF, même s’il devrait être allégé. Non pas parce qu’ils veulent enrichir les pauvres et se donner les moyens de répartir les richesses, mais parce qu’ils ont peur de perdre les élections. Perdre les élections ! Ne plus être un élu, ne plus être au pouvoir ! Voilà le nœud de l’affaire. L’ISF est en effet exemplaire. Sa pérennité apporte la preuve que les hommes politiques quelles que soient leur idéologie ne sont nullement préoccupés par le bien public mais par le leur. Car si ces gens-là écoutaient les économistes, et même les citoyens, je veux dire ceux qui font fi des idéologies et qui contribuent à tous les niveaux, par leur travail à la bonne marche de l’économie française pour le bien de tous, il y a beau temps qu’ils auraient supprimé cet ISF.
Nous ne nous faisons pas d’illusion, les élections sont proches, l’ISF a en effet de beaux jours devant lui, avec ou sans bouclier.
13 avril 2011
* Je ne suis pas assujetti à cet impôt, je rêve simplement à une France dépourvue de mauvaise foi.
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jeudi 21 avril 2011
TINTIN AVAIT UN GRAND ONCLE (II)
Tintin au Congo le deuxième album d’Hergé dont la bonhommie colonialiste a fait grincer quelques dents blanches, n’est pas raciste. La justice belge a tranché, il y a tout juste un mois. Il reste que pour les « droitlhommistes », cet ouvrage n’est pas politiquement correct et fait l’objet de leur vindicte. Les biens pensants vont pouvoir pousser des cris d’orfraie au prochain Salon International du livre ancien. Ses organisateurs, autrement dit le SLAM, le Syndicat de la librairie ancienne et moderne, ont choisi, cette année, comme thème à son exposition : le Politiquement correct ? Avec toutefois un point d’interrogation, car « le conformisme d’hier ne ressemble guère à celui d’aujourd’hui « (1). Nous espérons qu’un exemplaire de l’édition originale de Tintin au Congo sera présenté par l’un ou l’autre librairie. Ne serait-ce que pour le comparer avec les Aventure de Narcisse Nicaise au Congo (Paris, Charavay, Mantoux et Martin, librairie d'éducation de la jeunesse, s.d. [1890] 245 p. In-8) par Armand Dubarry, illustré par des pleines pages en noir de Kauffmann. Valentine del Moral de la librairie Villa Browna qui en proposera un exemplaire indique que lorsqu’on prend la peine de lire attentivement le mélange de narrations picaresques, de fourvoiements zoologiques, clichés impérialistes et gags pré-cinématographiques de cet ouvrage, la comparaison avec Tintin au Congo devient évidente.
« Énumérons, dit-elle : Narcisse et Pierrot tout comme Tintin et Milou partagent la même cabine de bateau. Le héros tire un coup de fusil à bout portant dans la gueule d’un crocodile comme le fera Tintin. Pierrot se jette dans la gueule d’un boa constrictor qui doit se chauffer du même bois que celui qui avale Milou en 1930. Ils en réchapperont tous les deux, Milou en créant le premier serpent à pattes de la Création. En deux coups de fusil de Narcisse, cinq oiseaux tombent ce qui visuellement, n’est pas sans rappeler le carnage des gazelles de Tintin. Nicaise et Tintin blessent chacun à leur tour un éléphant qui devenu forcené déclenche une cascade de rebondissements. Nicaise se retrouve à cheval sur le dos d’un rhinocéros. Tintin en même position, chevauche un buffle furibard. Pierrot est élevé avec son maître au rang de fétiche comme le sera Milou dans l’album, qui snobera le temps de quelques cases son maitre bien aimé. » Il est bien naturel que les auteurs s’inspirent d’autres écrits et nourrissent leur imaginaire. Quand bien même, des traits ne sont pas éloignés d’un livre à l’autre, ils sont tous les deux biens différents. « Ces ressemblances factuelles peuvent difficilement être contredites. On ne verrait d’ailleurs pas quel intérêt on aurait à le faire. Car enfin, c’est parfaitement touchant d’ajouter un livre à la bibliothèque du jeune Georges Rémi qui devenu Hergé confiait en mars 1957, à l’hebdomadaire Femmes d’aujourd’hui : « J’ai très peu voyagé, sinon dans les livres », dit encore Valentine del Moral.
Écrivain, littérateur et journaliste. Auteur de poésies, romans, contes, voyages etc. Armand Dubarry (1836-1910) a composé d’autres ouvrages consacrés à l’Afrique, notamment Les colons du Tanganîka (1884) défini comme un « roman d’aventures africaines » (2). Il publiera plus tard Le rachat de l'honneur. Aventures d'un soldat français au Soudan (Charavay-Mantoux-Martin. Librairie d'Education de la Jeunesse - Paris – s.d. [1900], grand in-4° de 239 pp., illustré de 30 compositions de Beuzon). Il semblerait qu’il ait effectué un premier séjour en Afrique à la fin des années 1870, car il en a rapporté un Voyage au Dahomey pour la Collection : Bibliothèque d'aventures et de voyages (1879, 282 p.) qui lui a permis de nourrir quelques uns de ses romans. Sa bibliographie est en effet d’importance, elle tourne presque autour du monde depuis Paris, avec des scènes de mœurs parisiennes, l’Allemagne, les baleiniers, le cirque, l’Inde encore. Le Journal des Voyages, aventures de terre et de mer, a inséré en feuilleton dans son numéro du 17 février 1889, une série intitulée L’éléphant blanc.
Hergé a eu entre les mains, comme peut-être les ouvrages de Louis Boussenard, auteur prolixe d’aventures et de voyages, ceux d’Armand Dubarry et s’est nourri de scènes qu’il décrivait comme s’il avait écouté son grand-oncle.
(1) Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008 PARIS du 29 avril au 1er mai 2011, ouv de 11 h à 20h – Entrée et catalogue : 8 € - www.salondulivreancienparis.fr – www.salondelestampeparis.fr
(2) réédité par l’Harmattan.
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TINTIN N’EST PAS POLITIQUEMENT CORRECT (I)
Le Salon International du livre ancien a choisi, cette année, comme thème à son exposition : le Politiquement correct ? « Cette notion à multiples facettes permet de décliner une infinité de thèmes sociaux, politiques et philosophiques : Dieu et/ou la morale, l’autorité et la justice, l’égalité des sexes et des races, etc. Et le point d’interrogation a son importance car le conformisme d’hier ne ressemble guère à celui d’aujourd’hui », constate Alain Nicolas, président du SLAM, le Syndicat de la librairie ancienne et moderne qui organise cette manifestation, en collaboration avec le salon international de l’Estampe et du dessin (1). Quoi de plus réjouissant que de mettre l’accent sur cette gangrène qui accable notre société depuis quelques années : le politiquement correct. Autrefois, on censurait, on condamnait, on brûlait, bref c’était brutal voire sanglant, mais non insidieux comme aujourd’hui où de simples mots sont soudain rejetés de notre langage de peur faire d’être voué aux gémonies. L’autodafé est désormais intérieure, privée en quelque sorte. L’emploi de ces mots ou images s’arrête au seuil de la parole ou de la plume, comme face à un barrage infranchissable. Emmanuel Pierrat, avocat de toutes les causes littéraires décrit « 100 Livres censurés » dans un album qui se veut être un « parcours érudit mais accessible, joyeux et tragique » (2). Tous ces titres, souvent des classiques incontournables ont chagriné et chagrinent encore les autorités quelles qu’elles soient. Galilée, Baudelaire, Flaubert, Beaumarchais, Bataille, Helvétius, Genet, Sade, Radiguet, Vian, Mirabeau pour ne citer que ceux-ci ont dérangé les politiques et les bonnes mœurs. Chaque époque a cru se défendre de ces agresseurs de la pensée, des découvertes et du style et a traîné leurs représentants devant les tribunaux.
Aujourd’hui, plus besoin de tribunaux, le doigt accusateur de quelques « droitlohmmistes » suffisent quitte à se faire tout de même aider par les dits tribunaux. Un journaliste pour avoir dit tout haut ce que tout le monde dit tout haut, a récemment été condamné par la Justice. Céline y a échappé, il est mort. Le personnage n’est pas sympathique, il est même odieux ; mais on porte aux nues ses livres et surtout son style. A notre sens, cela relève davantage d’une affaire de goût, plutôt que de politique. Ce qui n’est pas le cas de l’album d’Hergé, Tintin au Congo qui fait l’objet de la vindicte d’un étudiant congolais, soutenu par les adhérents de la confraternité « politiquement correcte ». Il a été débouté de ses demandes, le 18 mars 2011 par le tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en référé. Finalement « Tintin au Congo » n’est toujours pas raciste. Les albums ne seront donc pas classés ailleurs que dans les rayons de la littérature jeunesse et ne porteront pas de bandelette d’avertissement.
L’idée du sujet de Tin au Congo en revient à l'abbé Norbert Wallez, alors directeur du quotidien Vingtième siècle. « Pour le Congo tout comme pour Tintin au pays des Soviets, il se fait que j’étais nourri des préjugés du milieu dans lequel je vivais… C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : "Les nègres sont de grands enfants, heureusement que nous sommes là !", etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque en Belgique, » devait confier Hergé à Numa Sadoul (3). La composition de cet album, comme celui consacré aux Soviets, relève d’un contexte historique ; les mentalités ont changé. Examinons donc à la loupe toutes les BD de l’époque et les suivantes et prenons nos ciseaux. Il y aura du travail.
Aucun exemplaire de l’édition originale de cet album, deuxième de la série, ne semble être présenté par un libraire dans le Salon. Il est d’abord sorti dans les pages du Petit Vingtième, le supplément du journal du Vingtième siècle du 5 juin 1930 au 18 juin 1931. Il parut ensuite chez Casterman en 1937, en noir et blanc avec 4 hors texte couleurs. Un exemplaire a été adjugé 3.800 € par Artcurial ; le 17 octobre 2009. La première édition couleur date de 1946, toujours chez Casterman. Un exemplaire a été vendu 6.500 € à Drouot, le 9 mai 1910 par la svv Kahn-Dumousset. Mais Tintin avait un grand oncle qui s’appelait Narcisse Nicaise.
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mercredi 6 avril 2011
lundi 28 février 2011
LES SOIRÉES AMUSANTES DE HUVIER
« Par son esprit original et un peu caustique sans méchanceté, il étoit l'âme de nos réunions de famille et en faisoit tout l'agrément. Il avoit fait de bonnes études au collège de Juilly et joignoit, à beaucoup de facilité pour faire des vers, des connoissances en littérature », écrivit Antoine Fare Huvier, après le décès de son frère François Huvier des Fontenelles (1757-1823). Le défunt était alors maire de Mouroux, non loin de Coulommiers, en Seine et Marne. Avant d’être magistrat consulaire, l’homme était entré dans l’ordre des Oratoriens, ceux-là mêmes qui enseignaient à Juilly ; il n’y demeura pas longtemps. Il reprit l’habit laïque en 1780 et seconda son père alors bailli de Coulommiers, puis se consacra aux lettres, ce qui devait être plus amusant que de rendre la justice dans ce bailliage provincial. Il a laissé quelques ouvrages comme La targétude, tragédie un peu bourgeoise, parodie de l'Athalie de Racine (Paris, 1791). Cette pièce était dirigée contre Guy Target (1733-1806) , alors rapporteur du comité de révision de la constitution en 1791. Bien plus tard, il donna Les remontrances du parterre, etc. , par Bellemure, ci-devant commissaire de police, réfutées par M. H. D. , otage de Louis XVI (Paris, 1814). Notre homme, on l’aura deviné était profondément royaliste, il n’accepta aucune charge durant la révolution et l’empire. Nous savons qu’il était membre d’une loge, car il a laissé également des textes de chansons franc-maçonnes.
Sa production la plus intéressante, pour nous aujourd’hui, est une petit livre intitulé Les soirées amusantes, ou entretiens sur les jeux à gages et autres (Paris, Veuve Duchesne, rue S. Jacques, au Temple du Goût, 1788, in-12) orné par 3 planches hors-texte. Paru sans nom d’auteur, il a été identifié grâce à son frère et est mentionné dans le Dictionnaire des anonymes par Barbier. Nous pourrions croire qu’Agata Christie se serait inspirée de ces soirées pour composer ses Dix petits nègres enfermés dans une propriété dont les protagonistes ne pouvaient s’échapper. Huvier des Fontenelles avait lui aussi bien avant elle, enfermé ses amis, mais d’une autre manière, dans une charmante propriété. Ses invités étaient des enragés du jeu, et tant mieux pour eux. Pour mieux masquer leur travers, ils acceptèrent que le maître de maison, leur donnât des noms hautement bucoliques : Monsieur et Madame de la Rivière, Madame et Mademoiselle de la Haute Futaie, Madame du Bois et son fils, Mesdemoiselles du Ruisseau, du Gazon et Rose, sœurs de leur état, Madame du Ruisseau, Madame du Frêne et son fils, Mademoiselle du Bocage, Monsieur des Jardins, Monsieur de la Forêt, les abbés Printemps et des Agneaux, le chevalier Zéphir. « Or, loin d’être une bluette pastorale et bien que chacun y aille de sa promenade quotidienne, l’ouvrage qu’écrit Huvier est une mine de renseignements sur les jeux de cette seconde moitié de XVIIIe s. et une ébauche de psychologie du joueur », explique Valentine del Moral de la librairie Villa Browna qui présente un exemplaire de cet ouvrage (1). « Il s’appuie pour bien faire sur un certain séjour qu'il fit « dans la maison de campagne de M.B*** située à Montevrain (en actuelle Seine-et-Marne). Des jeunes gens y jouèrent à cinquante de ces petits jeux qui s’échappent de la mémoire, et dont on voudrait souvent se souvenir dans l’occasion. On ne peut pas toujours danser, faire de la musique et tenir des cartes ». C’est précisément pour se les rappeler et pour en donner les règles qu’Huvier livra son souvenir en un dialogue amusant qu’on jurerait avoir inspiré la comtesse de Ségur.
Dans cette maison vouée au jeu, l’ancien abbé contraignit ses amis à jouer à Berlurette ; à Combien vaut l’orge ; à J’aime mon amant par A. ; aux Ciseaux croisés ; Au jeu des paquets ; à l’anguille ; à l’esclave dépouillé. Des jeux dont nous découvrons les règles. Il n’était pas contre non plus pour une joyeuse partie de quilles, de volant ou de Cherche une épingle au son du violon, jeu trivialement nommé de nos jours Cache-tampon. Chacun y allait de son commentaire dans ce petit livre : « Tout le monde joue au loto, parce qu’il ne faut à ce jeu que du bonheur, & que tout le monde a des prétentions au bonheur » comme « tout le monde juge des ouvrages de littérature, les uns bien, les autres mal, parce que les uns ont de l’esprit & que les autres n’en ont pas ». Ce à quoi un des abbés ajouta avec malice qu’« on lit quelquefois des petits ouvrages de littérature [seulement dans l’idée de] se désennuyer »…
(1) Relié en plein veau marbré, dos lisse, Villa Browna, 27 avenue Rapp, 75007 Paris - http://villabrowna.free.fr/
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dimanche 20 février 2011
COMMENT PARLER AVEC UNE MARÉCHALE ?
COMMENT PARLER AVEC UNE MARÉCHALE ?
Ah que l’époque était douce ! On avait à traiter une quelconque affaire avec un duc. On se rendait de bon matin à son hôtel. Il était absent ; on se faisait annoncer à Mme la duchesse. Elle était à sa toilette ; on approchait un fauteuil, on s’installait et l’on causait. « C’est une femme charmante ; elle est belle et dévote comme un ange ; elle a la douceur peinte sur son visage ; et puis, un son de voix et une naïveté de discours tout à fait avenants à sa physionomie », note Diderot, car c’est de lui qu’il s’agit. De cette aimable causerie, il sortit l’Entretien d’un philosophe avec Mme la Maréchale de***. Une causerie sortie de son imagination bien sûr. Diderot s’était rendu, à l’invitation de Catherine II, en Russie en octobre 1773. Sur le chemin du retour en mars de l’année suivante, il s’arrêta, comme à l’aller, à La Haye chez les Galitzine. Il profita de cette halte pour travailler notamment à la refonte de l’Encyclopédie qui devait être imprimée en Russie et également à plusieurs autres textes « philosophiques » personnels dont les Principes de la politique des souverains, le Voyage en Hollande et notamment encore La réfutation d’Helvétius et aussi les Observations sur l’instruction.
Le personnage de la duchesse, « belle et dévote comme un ange », déjà mère de six enfants et en attendant un septième, demande au philosophe qui, pourtant ne vole, ne pille ni ne tue, de justifier son athéisme. « Dites-moi si un misanthrope s'était proposé de faire le malheur du genre humain, qu'aurait-il pu inventer de mieux que la croyance en un être incompréhensible, sur lequel les hommes n'auraient jamais pu s'entendre, et auquel ils auraient attaché plus d'importance qu'à leur vie ? Or est-il possible de séparer de la notion d'une divinité l'incompréhensibilité la plus profonde et l'importance la plus grande ? », demande la Dame. Ce petit texte d’une vingtaine de pages qui s’achève par une pirouette, figure dans Les œuvres philosophiques de Diderot qui viennent d’être réunies dans la collection de la Pléiade (1). Il a été diffusé pour la première fois dans les livraisons d’avril et de mai 1775 de la Correspondance littéraire. Diderot avait souhaité publier ces « Entretiens » en Hollande. Michel Delon qui a dirigé l’édition de La Pléiade rapporte que le chargé d'affaires français en Hollande, l'abbé Desnoyers, ancien jésuite, en informa aussitôt le comte de Vergennes, ministre des Affaires étrangères, le 26 août 1774 : « L’ouvrage qu'on prétend que le sieur Diderot a offert à un libraire hollande (sic) et que celui-ci a refusé, est un dialogue entre dialogue entre ce Philosophe et une maréchale en attendant l'honneur de dîner avec le maréchal. C'est le début du dialogue. On ajoute que le sieur Diderot, frappé de l'éloignement du libraire pour ce genre de métaphysique, a dit en serrant [rangeant] son manuscrit, qu'il ne lui laisserait point voir jour. » L'Entretien a risqué de rester dans un tiroir comme Le rêve de d’Alembert, également publié dans le volume de la Pléiade.
Diderot ne pouvait en rester là, il ajouta les Entretiens, avec un nouveau titre, à une édition bilingue, franco-italienne, des Pensées philosophiques, comme étant l’ouvrage posthume de Thomas Crudeli, « connu pour ses poèmes » : l’Entretien d’un philosophe avec Mme la duchesse de***. Un tiré à part (32 pages), sans doute unique, du moins en main privée, ([Londres (Amsterdam), 1777]. In-8, relié au XIXe siècle, en demi-maroquin brun, dos lisse, titre en long avec fleurons, a été adjugé 1.400 €, à Drouot, le 25 novembre 2008, par la svv Alde. Un avis au lecteur précise l'identité de l'interlocutrice : « Il y a toute apparence que la dame avec laquelle le poète s'entretient est la signora Paolina Contarini, Vénitienne à laquelle il a dédié quelques unes de ses odes. » Il semblerait, en fait, que la « maréchale » était inspirée par Louise Crozat de Thiers, duchesse de Broglie (1733-1813).
Et, selon Michel Delon, l’origine des tirés à part « reste floue ». Le destin de ce texte est en effet assez particulier. Après la mort de Diderot, il se répandra sous des formes différentes qui peu à peu de la badinerie philosophique, se transformera en essai libertin, voire érotique pour devenir sous la Révolution, un brûlot, et redevenir enfin philosophique. Il y aura donc en tout, trois versions. A nous de juger.
Ah que l’époque était douce ! On avait à traiter une quelconque affaire avec un duc. On se rendait de bon matin à son hôtel. Il était absent ; on se faisait annoncer à Mme la duchesse. Elle était à sa toilette ; on approchait un fauteuil, on s’installait et l’on causait. « C’est une femme charmante ; elle est belle et dévote comme un ange ; elle a la douceur peinte sur son visage ; et puis, un son de voix et une naïveté de discours tout à fait avenants à sa physionomie », note Diderot, car c’est de lui qu’il s’agit. De cette aimable causerie, il sortit l’Entretien d’un philosophe avec Mme la Maréchale de***. Une causerie sortie de son imagination bien sûr. Diderot s’était rendu, à l’invitation de Catherine II, en Russie en octobre 1773. Sur le chemin du retour en mars de l’année suivante, il s’arrêta, comme à l’aller, à La Haye chez les Galitzine. Il profita de cette halte pour travailler notamment à la refonte de l’Encyclopédie qui devait être imprimée en Russie et également à plusieurs autres textes « philosophiques » personnels dont les Principes de la politique des souverains, le Voyage en Hollande et notamment encore La réfutation d’Helvétius et aussi les Observations sur l’instruction.
Le personnage de la duchesse, « belle et dévote comme un ange », déjà mère de six enfants et en attendant un septième, demande au philosophe qui, pourtant ne vole, ne pille ni ne tue, de justifier son athéisme. « Dites-moi si un misanthrope s'était proposé de faire le malheur du genre humain, qu'aurait-il pu inventer de mieux que la croyance en un être incompréhensible, sur lequel les hommes n'auraient jamais pu s'entendre, et auquel ils auraient attaché plus d'importance qu'à leur vie ? Or est-il possible de séparer de la notion d'une divinité l'incompréhensibilité la plus profonde et l'importance la plus grande ? », demande la Dame. Ce petit texte d’une vingtaine de pages qui s’achève par une pirouette, figure dans Les œuvres philosophiques de Diderot qui viennent d’être réunies dans la collection de la Pléiade (1). Il a été diffusé pour la première fois dans les livraisons d’avril et de mai 1775 de la Correspondance littéraire. Diderot avait souhaité publier ces « Entretiens » en Hollande. Michel Delon qui a dirigé l’édition de La Pléiade rapporte que le chargé d'affaires français en Hollande, l'abbé Desnoyers, ancien jésuite, en informa aussitôt le comte de Vergennes, ministre des Affaires étrangères, le 26 août 1774 : « L’ouvrage qu'on prétend que le sieur Diderot a offert à un libraire hollande (sic) et que celui-ci a refusé, est un dialogue entre dialogue entre ce Philosophe et une maréchale en attendant l'honneur de dîner avec le maréchal. C'est le début du dialogue. On ajoute que le sieur Diderot, frappé de l'éloignement du libraire pour ce genre de métaphysique, a dit en serrant [rangeant] son manuscrit, qu'il ne lui laisserait point voir jour. » L'Entretien a risqué de rester dans un tiroir comme Le rêve de d’Alembert, également publié dans le volume de la Pléiade.
Diderot ne pouvait en rester là, il ajouta les Entretiens, avec un nouveau titre, à une édition bilingue, franco-italienne, des Pensées philosophiques, comme étant l’ouvrage posthume de Thomas Crudeli, « connu pour ses poèmes » : l’Entretien d’un philosophe avec Mme la duchesse de***. Un tiré à part (32 pages), sans doute unique, du moins en main privée, ([Londres (Amsterdam), 1777]. In-8, relié au XIXe siècle, en demi-maroquin brun, dos lisse, titre en long avec fleurons, a été adjugé 1.400 €, à Drouot, le 25 novembre 2008, par la svv Alde. Un avis au lecteur précise l'identité de l'interlocutrice : « Il y a toute apparence que la dame avec laquelle le poète s'entretient est la signora Paolina Contarini, Vénitienne à laquelle il a dédié quelques unes de ses odes. » Il semblerait, en fait, que la « maréchale » était inspirée par Louise Crozat de Thiers, duchesse de Broglie (1733-1813).
Et, selon Michel Delon, l’origine des tirés à part « reste floue ». Le destin de ce texte est en effet assez particulier. Après la mort de Diderot, il se répandra sous des formes différentes qui peu à peu de la badinerie philosophique, se transformera en essai libertin, voire érotique pour devenir sous la Révolution, un brûlot, et redevenir enfin philosophique. Il y aura donc en tout, trois versions. A nous de juger.
samedi 8 janvier 2011
LE COQ MARIN/ COURTE PERPÈT
Le français est l’une des langues dont les nombreuses nuances expriment la précision. Le vocabulaire juridique, par exemple qui semble à beaucoup, être un jargon incompréhensible, est ainsi formé qu’il ne permet aucune faille. La preuve en est, qu’un mot oublié ou modifié entraîne la cassation d’un jugement ou d’un arrêt. Les conséquences en sont parfois dramatiques lorsqu’un individu soupçonné d’un crime est ainsi remis en liberté.
Les termes judiciaires sont parfois modifiés, suivant une évolution de la société ou sous l’influence de quelque idéologie. Nous avons vu disparaître l’inculpation au profit de la « mise en examen », car l’on considéra à l’époque, en 1993, que la première désignation laissait croire à une culpabilité.
Un criminel récidiviste a été, récemment, « condamné à une peine de réclusion à perpétuité, avec 22 ans de période de sûreté », pour la tentative de viol et le meurtre d’une jeune femme dans une voiture d’un RER. L’individu ayant accompli 3 ans de détention en préventive, voit cette peine ramenée à 19 ans. Nous disons bien 19 ans, car, contrairement à une croyance populaire, la détention en préventive, ne « compte pas double ». Les magistrats ont appliqué la Loi et condamné ce criminel à la plus haute peine prévue par le code pénal.
Une partie du public se montre choqué par l’interprétation du mot perpétuité qui ne correspond plus à sa définition : « Durée sans interruption, sans discontinuation », selon le Dictionnaire de l’Académie française. Quoique le Robert y apporte une nuance : « Durée infinie ou indéfinie et par extension, très longue ».
En dehors de ces querelles de langages, c’est néanmoins le résultat de la chose jugée qui n’est pas perçu comme il devrait l’être. L’abolition de la peine de mort a contraint le législateur à mettre en place une peine de substitution, il a naturellement choisi la perpétuité. Or celle-là ne l’est pas en réalité, du moins ne semble pas être un remplacement de la peine capitale, d’autant plus que cette perpétuité est assortie de sûreté, ce qui signifie bien que cette peine n’est pas perpétuelle.
Quelle solution apporter à ce problème, me direz-vous ? Lorsque nous entendons que tel individu qui commis tel ou tel crime enquiert la perpétuité, nous haussons malheureusement les épaules. Comme le soulignait le père de la jeune femme assassinée, « la perpétuité, c’est nous qui la subissons ».
Autant nous sourions lorsque nous apprenons qu’un escroc, aux Etats-Unis, est condamné à 125 ans de prison, autant nous ressentons un certain abattement face à une peine d’à peine 20 pour un crime horrible.
Cette « perpet soldée » relève d’une idéologie qui a affadit notre vocabulaire. Ne pas dire ce qui pourrait fâcher. Dans ce cas, supprimons la peine de prison à perpétuité et que le code pénal affiche une grille précise.
Les termes judiciaires sont parfois modifiés, suivant une évolution de la société ou sous l’influence de quelque idéologie. Nous avons vu disparaître l’inculpation au profit de la « mise en examen », car l’on considéra à l’époque, en 1993, que la première désignation laissait croire à une culpabilité.
Un criminel récidiviste a été, récemment, « condamné à une peine de réclusion à perpétuité, avec 22 ans de période de sûreté », pour la tentative de viol et le meurtre d’une jeune femme dans une voiture d’un RER. L’individu ayant accompli 3 ans de détention en préventive, voit cette peine ramenée à 19 ans. Nous disons bien 19 ans, car, contrairement à une croyance populaire, la détention en préventive, ne « compte pas double ». Les magistrats ont appliqué la Loi et condamné ce criminel à la plus haute peine prévue par le code pénal.
Une partie du public se montre choqué par l’interprétation du mot perpétuité qui ne correspond plus à sa définition : « Durée sans interruption, sans discontinuation », selon le Dictionnaire de l’Académie française. Quoique le Robert y apporte une nuance : « Durée infinie ou indéfinie et par extension, très longue ».
En dehors de ces querelles de langages, c’est néanmoins le résultat de la chose jugée qui n’est pas perçu comme il devrait l’être. L’abolition de la peine de mort a contraint le législateur à mettre en place une peine de substitution, il a naturellement choisi la perpétuité. Or celle-là ne l’est pas en réalité, du moins ne semble pas être un remplacement de la peine capitale, d’autant plus que cette perpétuité est assortie de sûreté, ce qui signifie bien que cette peine n’est pas perpétuelle.
Quelle solution apporter à ce problème, me direz-vous ? Lorsque nous entendons que tel individu qui commis tel ou tel crime enquiert la perpétuité, nous haussons malheureusement les épaules. Comme le soulignait le père de la jeune femme assassinée, « la perpétuité, c’est nous qui la subissons ».
Autant nous sourions lorsque nous apprenons qu’un escroc, aux Etats-Unis, est condamné à 125 ans de prison, autant nous ressentons un certain abattement face à une peine d’à peine 20 pour un crime horrible.
Cette « perpet soldée » relève d’une idéologie qui a affadit notre vocabulaire. Ne pas dire ce qui pourrait fâcher. Dans ce cas, supprimons la peine de prison à perpétuité et que le code pénal affiche une grille précise.
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