lundi 9 juillet 2012


LE DESTIN DE FANNY HILL

                        Quel destin que celui de Fanny Hill ! Cette jeune orpheline originaire du Lancashire, échouée à Londres durant la première moitié du XVIIIe siècle, crut d’abord avoir été engagée comme servante, dans la maison de Mrs. Brown. Nous devinons la suite, Fanny devint « femme de plaisir ». Elle a laissé ses mémoires qui, depuis, n’ont cessé d’être reprises par de nombreuses éditions, illustrées pour le plus grand nombre et ont même inspiré le cinéma et la télévision. Les aventures de cette jeune femme sont nées, en fait de la plume de John Cleland, (1707 ou 1709-1789), le fils d’un officier supérieur sans fortune. Consul à Smyrne en 1722, puis à partir de 1736 au service de la Compagnie des Indes de laquelle il fut destitué, il se retrouva sans emploi et connut la misère. Perclus de dettes, il fut mis en prison, et c’est pour se libérer que, sur la proposition d’un libraire, il écrivit les Memoirs of a woman of pleasure, autrement Fanny Hill, « œuvre remarquable ; libre, mais délicate », rapporte Guillaume Apollinaire. »
                        La première édition publique très adoucie, loin des trois précédentes clandestines a été imprimée en 1750 sous le titre complet de Memoirs of a woman of pleasure  (London, R. Griffiths, in St. Paul’s church-yard, sans date, in-12).  
                        Le Monthly Review fit l’éloge de cet ouvrage, ce qui n’est pas étonnant car Griffiths en était aussi l’éditeur. Ce renvoi personnel fait encore sourire, car il est quasiment certain que c’est lui qui imprima les éditions clandestines. Les essais bibliographiques indiquent pour commencer  Memoirs of **** (vol. I [II] London, G. Fenton, s.d. 2 volumes in-12) parue en 1747 ou 1748 ;  puis Memoirs of a woman of pleasure. (London, G.Fenton, 1749, 2 vol. in-12), et encore à la même date,  sous le même titre et avec la même adresse, mais ornée de gravures dont quelques unes ne se rapportent pas au sujet. Toujours est-il que Cleland fut poursuivi pour avoir écrit un tel texte licencieux. Le président du tribunal, le comte Granville, au lieu de le condamner, lui fit une pension de 100 livres sterling par an, à la seule condition de ne plus écrire d’ouvrages libres. Il « observa cette condition » et toucha se pension jusqu’à la fin de sa vie. Sa véritable condamnation fut sa mise à l’écart de la société qui lui pardonnait pas d’avoir écrit ces  Memoirs.
                        Les français ne tardèrent pas à en prendre connaissance sous le titre de La Fille de joye, ouvrage quintessencié de l’anglais. (A. Lampsaque, 1751, in-8). On dit généralement que cette traduction abrégée fut réalisée par le fils du banquier Lambert, ce que dément Pascal Pia  qui l’attribue à Fougeret de Monbron. Celle-là fut réimprimée sous un nouveau titre : Apologie de la fine galanterie de Mlle  Françoise de la Montagne, (A Todion, chez Barnabas Condomine, 1766, in-8). Si l’on y suit bien le titre courant, il devient à la page 97 :  La fille de joye. Il semblerait que la première édition illustrée en France figure dans la Nouvelle traduction de Woman of Pleasur [sic], ou Fille de Joie par M. Cleland, contenant les Mémoires de Mademoiselle Fanny, écrits par elle-même. (Londres, chez G. Fenton, 1776 ; in-18 [en fait Paris, probablement imprimée  par Cazin])  qui contient le premier tirage des 15 gravures libres non signées, de Borel, gravées par Elluin.
                        Le nom de Fanny apparut en France dix ans plus tard avec  La Fille de joie ou Mémoires de Miss Fanny, écrits par elle-même (Paris, chez Madame Gourdan, 1786, in-8) illustrée par 33 planches libres. On compte encore deux éditions à la fin du XVIIIe siècle et une au XIXe, jusqu’à la traduction d’Isidore Liseux (1887) tirée à 165 exemplaires et réimprimée en 1906 ([Hirsch] petit in-4) illustrée par 12 héliogravures libres d’après Paul Avril.
                        Puis vint Apollinaire avec sa collection « les Maîtres de l’amour » : Mémoires de Fanny Hill, Femme de Plaisir, avec des documents sur la vie à Londres au XVIIIe, etc. avec introduction, essai bibliographique, plus six compositions d’après la suite de William Hogarth,( Paris, Bibliothèque des Curieux, 1910 in-8° carré). De nombreuses éditions diverses et variées ont suivi tout au long du XXe siècle, dont une de Mac Orlan, sous le titre des  Dés pipés (1951).