LES FLEURS DU MAL DE SCHWABE
Les Fleurs du mal (Paris,
Poulet-Malassis et de Broise, 1857 in-12), dédiées à Théophile Gautier, furent
tirées à environ mille cent exemplaires, mille trois cents dit Clouzot (1) plus
une vingtaine sur papier de Hollande. Le propre exemplaire de Baudelaire –
conservé à la bibliothèque Mazarine – est l’un de ceux imprimés sur papier
ordinaire. Celui de Théophile Gautier est sur Hollande et porte cet envoi
manuscrit : « Mon bien cher Théophile, la dédicace imprimée à la
première page n’est qu’une ombre très faible de l’amitié et de l’admiration
véritables que j’ai toujours éprouvées pour toi. Tu le sais… » Celui d’Alexandre Dumas
également, est, selon le bibliographe Maurice Chalvet, le seul connu dédicacé
et resté broché. Il porte sur la page de titre cet envoi : « à Alexandre Dumas, à
l’immortel auteur d’Antony,
témoignage d’admiration et de dévouement, Ch. Baudelaire ».
Les éditions du recueil de
poèmes avec ou sans les pièces condamnées, se sont depuis multipliées, non pas à
l’infini, mais presque. Du côté des illustrés, on en compte une bonne
soixantaine. Nous serions bien en peine de désigner la meilleure, ce qui nous
évite de mentionner les pires. Toujours est-il que la première, celle d’Armand
Rassefosse (les Cent Bibliophiles, en 1899 (in-4) comporte
170 eaux-fortes originales en teinte ou en couleurs pour un tirage à 115
exemplaires sur papier vélin crème au filigrane des Fleurs du mal. Cette série d’illustrations fit date. La seconde
édition illustrée nous semble plus intéressante, car elle correspond à l’esprit
symboliste de la fin de siècle, mais sans tomber dans ses errements. Carlos
Schwabe (1866-1926) n’aurait sans doute
pas, sans l’insistance de l’éditeur Charles Meunier, choisi le texte de Baudelaire,. Il était, en
effet, comme le rappelle son biographe David Jumeau-Lafond (2), « resté
hermétique au symbolisme mallarméen ». Il devait ainsi confier, dans une
lettre datée du 16 avril 1896, au fils
du philosophe laïque, Gabriel Séailles : « Je me penche sur ces
sacrées Fleurs du mal les mains sur
le front (voire même les doigts dans le nez) et je me casse la cervelle pour y
dénicher quelque chose d’assez potable et je t’assure que ce potable est dur à
trouver sur ces poèmes qui ne donnent pas d’images. Ah, il faut les créer de
toute pièce et voilà le hic car je suis malgré le besoin, toujours porté à voir
en moi ».
La réalisation de ces Fleurs du mal (Paris,
Charles Meunier, 1900, fort-in 4) devait durer quatre ans. Cette édition tirée
à 77 exemplaires sur Vélin du Marais, est composée de 10 eaux-fortes originales
hors texte et de 13 bandeaux, gravés en couleur au repérage et tirés à la
poupée. La couverture et les culs-de-lampe en noir ont été gravés par P.
Delange. Nous en avons eu récemment tenu
entre nos mains, un exemplaire relié en 1910 par Ch. Meunier, en « maroquin
aubergine, sur fond rouge au décor foisonnant couvrant tous les plats, composé de chardons à feuillages de veau
marbré dans lesquels s’enroule un serpent agressif, variante du décor sur le
second plat avec l’adjonction d’une tête de mort, dos orné dans le même style,
doublure différente sur chaque plat : sur un fond beige une savante
composition comprenant chardon, serpent, orchidée (seulement sur le premier) et
crânes, tranches dorées sur témoins, dans une boîte-étui de chagrin
olive ». Il est, en outre, enrichi d’une suite en noir de toutes les
gravures, de nombreux états des planches hors et dans le texte, épreuves
d’essais en noir ou en couleurs sur satin, papier de Chine, parfois avant la
lettre. Selon l’expert Dominique Courvoisier, cette reliure de Charles Meunier
est « l’une des plus magistrale que l’on puisse rencontrer ».
Quant
aux illustrations, elles sont, sans aucun doute, les plus spectaculaires à
accompagner les poèmes de Baudelaire. Schwabe devait dire qu’elles avaient «
épaté ». Les commentaires évoquèrent dans langage plus imagé, « une vraie
puissance symbolique et décorative des fleurs vénéneuses ».
(1)
Guide du
bibliophile français, XIX° siècle, Librairie
Giraud-Badin, nouvelle édition 1996.)
(2)
Carlos
Schwabe, Symboliste et visionnaire par
Jean‑David Jumeau‑Lafond, A.C.R.
Edition, 1994.
On peut voir une œuvre de Carlos Schwabe
au musée d’Orsay dans l’exposition « L’Ange du bizarre, le romantisme de
Goya à Max Ernst, jusau’au 9 juin 2013.