lundi 1 mars 2010

LETTRES DE LA JEANNE D'ARC VII


- SOUS-MARIN EN SURFACE -

Nous sommes en exercice, certes, mais la vie à bord est semblable à celle de la veille. Dans les coursives, le même défilé des hommes se poursuit sans interruption. Cuisiniers, membres de la sécurité, secrétaires, fourriers, hommes de quart, élèves-officiers, officiers mariniers et officiers se croisent, montent ou descendent les échelles, s’interpellent, dans une rumeur ordinaire. En bas, au PC machine, on est simplement plus attentif aux ordres plus fréquents ; au PC opération, les dépêches se suivent à un rythme plus important. Sur le pont les mécanos entourent avec plus de vigilance les hélicos. Les haut-parleurs diffusent les ordres habituels. Le temps n’est pas excellent, la Jeanne roule tranquillement.
Dans l'après midi, le PC radio lance sur la passerelle un appel du Lynx : panne décelée à 30 nautiques au Nord. Le commandant saute de son fauteuil: « Montez la vitesse maximum sur 2 chaudières ». Les ordres sont répétés à voix hau¬te, des sonneries les accompagnent. La vitesse du vent est de 27 noeuds. Il faudra rabattre et donner le vent à midi au dernier moment. Sur le pont, les dispositions anticrash sont lancées. Les équipes de sécurité dans leur combinaison ignifugée, les médecins et les infirmiers dans leur tee-shirt blanc à croix rouge sont prêts. Nous distinguons depuis l’aileron à bâbord, un point dans le ciel qui grossit de plus en plus vite ; c’est lui. Chacun suit, avec une attention accrue, l’appontage. Plus de peur que de mal. A peine vingt minutes après l'appel, nous sommes revenus « au 300 » et à la vitesse moyenne de 15 noeuds. Le réel et l’exercice se côtoient à tout moment » constate le pacha, qui tente de ne pas laisser transparaître son inquiétude.
Deuxième phase. Tous les bâtiments de sur¬face deviennent Bleu, les sous marins et les avions, Orange. Nos devons assurer la protec¬tion d'un convoi figuré par quatre petits ba¬teaux se dirigeant vers les côtes du pays Bleu. Les menaces sont encore aériennes et sous¬ marines. Le principe est de déconcentrer les forces et d'effectuer des recherches dites à « grande maille », dans des secteurs donnés suc¬cessifs. En cas de guerre, les perdants mourraient. Beaucoup d’heures de veille et peu d'événe¬ments, c'est cela la situation de crise. « L'une des spécificités du marin est la durée, » me souffle le commandant en second. «Un exercice com¬me celui là aurait pu se dérouler en 36 heures et dans un espace plus restreint, note t il. Mais cela n'aurait pas été un reflet de la réalité. Il ne semble rien se passer. Il faut savoir que tout peut se dérouler très vite. Une torpille coule un bâtiment en 2 minutes ».
Un Breguet de la PATMAR (patrouille mari¬time) a repéré la Jeanne. Quelques instants plus tard des chasseurs tournent autour d'elle « afin de faire monter la pression ». N'oublions pas que nous sommes en situation de crise. Et... l'incroyable se produit. L’un des bâtiments de la force bleue « investigue » un sous marin en sur¬face. Un soviétique*. Un vrai, son pavillon flotte au sommet de sa tourelle. Les officiers présents se refusent à tout commentaire. Ne sommes¬-nous pas dans les eaux internationales ? Ce sub¬mersible de type Tango dont on ne connaît que 14 modèles aurait été mis en service en 1973. Il est très rare d'en rencontrer en surface. Subit il une avarie, recharge t il ses batteries ? Pour cer¬tains, la présence de cet « intrus », si elle n'est pas due au hasard, ne peut que valoriser l'exer¬cice en cours. « Le réel le côtoie à tout moment ». Les ailerons et la passerelle sont envahis par tous les membres du personnel qui ne sont pas de services. Les téléobjectifs sont braqués vers cette tache noirâtre qui flotte entre deux lames. Ce n’est pas tous les jours que l’on distingue de si près, l’adversaire. Les clichés pris ainsi à la sauvette constitueront le témoignage d’un souvenir insolite.
Aujourd’hui, déjeuner au « château », c'est-à-dire dans la salle à manger du commandant. Un jeune officier moqueur, me conseille de prévoir, à l’avance, un en-cas dans l’après-midi, car le pacha, adepte de la nouvelle cuisine, propose des menus qui ne nourrissent pas son homme. Il est vrai que le contraste est saisissant entre le protocole légèrement guindé de la table du maître à bord et celui plus relâché de celui des officiers mariniers supérieurs. Sortant de chez eux, nul besoin de goûter, voire de dîner. Chacun, depuis les officiers mariniers subalternes, jusqu’aux officiers supérieurs, en passant par les officiers subalternes, et l’équipage, dispose de son propre carré, avec ses usages. Nous avons eu le privilège d’être invité par tous. A quand le guide des meilleures tables de la Royale ?

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