vendredi 1 mars 2013




Bibliophilie

LE PREMIER DIABLE BOITEUX



              Se souvient-on du jeu intitulé, Quelques arpents de pièges ? Il a été créé par deux Québécois, puis repris en France sous le non moins sympathique titre Remue-méninges. L’anglais est passé hélas par là et à balayé ces deux images pour imposer le désormais célèbre Trivial Pursuit. Tant pis. Mais l’on peut toujours remuer ses méninges et éviter des pièges disséminés dans quelques arpents, en exerçant sa mémoire et ses connaissances. Quel est, par exemple, l’auteur qui a composé environ quatre cents comédies ? C’est un Espagnol ? Il vivait aux XVIe et XVIIe siècles. Son nom ne dit sans doute pas grand chose aux Français quoique le titre de l’un de ses romans fasse songer à l’un de ses successeurs français du siècle des Lumières. Luís Vélez de Guevara (1579-1644) a, en effet, publié à Madrid, en 1641, un texte à la verve pour le moins satirique : el Diabio cojuelo, novela de la otra vida. Cet ouvrage connut une autre édition imprimée en 1671 à Saragosse. On sait que Alain-René Lesage (1668-1747) eut celle-là entre ses mains et s’inspira de son récit, pour composer son propre Diable boiteux (À Paris, chez la veuve Barbin, 1707, in-12).
              René Lesage, qui était le fils d’un notaire royal, fut d’abord dépouillé de son héritage par son tuteur  puis de sa charge de Fermier général, sans doute par un financier qui réussit à l’évincer, fut donc contraint pour vivre de prendre la plume. Il traduisit nombre de pièces d’auteurs espagnols, dont une suite de Don Quichotte, par Alonso Fernández de Avellaneda qui n’obtint aucun succès. C’est avec une pièce de son cru,  Crispin rival de son maître, jouée en 1707 qu’il fut enfin remarqué. Son succès fut encore consacré, la même année, par ce Diable boiteux qui est davantage une continuation qu’une imitation du roman espagnol. « Le Diable boiteux présente d'importantes variantes avec son modèle, ainsi que de nombreuses intercalations d'histoires provenant de sources espagnoles différentes, comme Lope de Vega, Rojas Zorilla ou Lugo y Dávila », explique l’expert Alain Nicolas. En cela [il] emprunte beaucoup à l'esthétique de la nouvelle, les histoires romanesques courtes formant les deux tiers de l'ouvrage. Dans ce roman picaresque, réaliste et merveilleux à la fois, il mêle le burlesque au sentimentalisme, et excelle dans la peinture satirique des mœurs, avec de multiples touches parodiant Scarron, Sorel, ou Cervantès. »
              Cette édition originale de 1707, ornée d’un frontispice gravé par  Magdelaine Horthemels, est particulièrement recherchée, car René Lesage reprit son texte en 1726 et le modifia considérablement. On compte quatre éditions semblables à cette originale, dont deux chez la veuve Barbin, également en 1707, comme les deux autres : à Lyon et à Amsterdam.  L’édition de 1726 que l’on pourrait considérer comme une nouvelle originale (chez la veuve Pierre Ribou, in-12) comprend 12 planches et un frontispice, copié d'après celui réalisé par Magdeleine Horthemels. La veuve Barbin devait sortir l’année suivante une édition semblable à l’originale, faisant ainsi cohabiter deux textes sensiblement différents sous le même titre. Selon les bibliographes l’édition définitive serait celle de 1737, ainsi intitulée : Le Diable boiteux… avec les entretiens sérieux et comiques des cheminées de Madrid, et les béquilles du dit diable par B [ordelon] (A Paris, chez Prault Père, 2 volumes in-12).
              Les éditions du Diable boiteux, ouvrage devenu un classique, mais pas autant que le grand succès de Lesage, c'est-à-dire l’Histoire de Gil Blas de Santillanne  (1715-1735)  se sont depuis, succédées à un rythme soutenu, notamment celle illustrée par Charles-Emmanuel Patras et Clément-Pierre Marillier (Amsterdam, 1783) et par Tony Johannot (Paris, Bourdin, 1840).Sans doute parce que l’on apprécie comme le soulignait l’auteur anonyme [Joseph de la Porte] de la Bibliothèque d’un homme de goût (1777), Lesage critiquait la morale d’une manière badine.

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