vendredi 7 octobre 2011

UN CURIEUX MANUEL DE GALANTARIS

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Si les chroniques, les blogs et parfois les catalogues évoquent des ouvrages « introuvables », nul, à ma connaissance, n’a réalisé une bibliographie d’albae merulae. Plus séduisants encore sont les ouvrages qui n’existent pas, mais qui laissent croire qu’ils existeraient tout de même ou qu’ils devraient forcément exister. Où donc est passé, par exemple, l’édition originale des Fleurs du mal (Alençon, Poulet-Malassis, 1857, in-12) avec un envoi de la main de Charles Baudelaire à Jeanne Duval et d’un portrait de la jeune femme nue, également dessiné à l’encre par l’auteur sur l’une des pages de garde ? Songeant à ces ouvrages inconnus quelques lettrés ont réalisé des catalogues de livres imaginaires. Le premier du genre fut la bibliothèque de Saint-Victor dans Pantagruel. Plus près de nous furent les catalogues de ventes non moins imaginaires, de véritables facéties bibliophiles. Apollinaire cite dans Le Flâneur des deux rives (la Sirène, 1918), le « Catalogue des livres de la bibliothèque de M. ED. C., qui seront vendus le 1er avril prochain à la Salle des Bons-Enfants. » On y lisait par exemple : « ABEILARD. Incomplet, coupé./ ALEXIS (P.). Celles qu’on n’épouse pas. Nombr. taches./ ARISTOPHANE. Les Grenouilles. Papier du Marais./ AURIAC. Théâtre de la foire. Papier pot./ BALZAC (H. DE). La Peau de chagrin. Rel. id./ BEAUMONT (A.). Le Beau Colonel. Parf. état de conservation./ BOREL (PETRUS). Madame Putiphar. Se vend sous le manteau. » Ce « poulet » était sorti, vers 1910, de l’imagination savoureuse d’Edmond Cuénoud, « qui était gérant d’immeubles à Montparnasse, et consacrait ses loisirs à la bibliophilie. » Sa plaquette illustrée par Carlègle est devenue totalement introuvable (1). Plus fort encore fut le « Catalogue d’une très-riche mais peu nombreuse collection de livres provenant de la bibliothèque de feu Mr. le Comte J.-N.-A. de Fortsas, dont la vente se fera à Binche, le 10 août 1840, à onze heures du matin, en l’étude et par le ministère de Me. Mourlon, Notaire, rue de l’Eglise, no.9. Mons ». La parution de ce catalogue mit en émoi tout le monde de la bibliophilie de l’époque. « Tout alla bien jusqu’au jour indiqué pour la vente. Alors seulement on reconnut que M. de Fortsas, pas plus que sa bibliothèque n’avait jamais existé que dans l’imagination de M. René Chalon, bibliophile érudit autant que mystificateur ingénieux. » Vincent Puente a rapporté l’histoire de cette bibliothèque fantôme dans un savoureux petit livre complété par le fac-simile dudit catalogue (2).
Le même Vincent Puente à qui on doit également « le catalogue d’une bibliothèque d’occasion, Dix ans de chine (3) vient de sortir une Anatomie du faux (4) titre éponyme de l’un des chapitres qui ne peut qu’intéresser les bibliophiles. L’auteur, avec un sérieux imperturbable, rapporte avoir découvert à Naples, un exemplaire du fameux Manuel de bibliophilie de Christian Galantaris qu’il possède et consulte souvent (5). « C’est l’aspect inattendu de l’exemplaire proposé qui m’a poussé à le consulter puis à l’acheter. En lieu et place des deux tomes sous coffret rouge foncé de l’édition originale, cette édition se compose d’un seul et massif volume sous couverture toilée grise… ». L’auteur rapporte ce volume à Paris et le compare à son édition originale. Il constate « de flagrantes différences » et « les plus extravagantes variantes ». Avec un grand souci professionnel Vincent Puente poursuit l’examen de cette curieuse édition du « Manuel de Galantaris » et livre les récits de ces dissemblances et nouveautés. Nous ne songeons pas un instant au roman ou à la fable. Si nous ne connaissions pas Vincent Puente nous serions prêts à croire la véracité de ses propos. Est-il vraiment dans le faux ? Selon Christian Galantaris lui-même, le « Faux » [est une] Imitation plus ou moins réussie d’un original, délibérément exécutée pour tromper. Le faux est assez peu répandu dans le domaine du livre… » Voire, on ne se méfie jamais assez des bibliophiles.

Légende : « Une curieuse couverture pour un manuel très connu » © Vincent Puente


(1) La librairie Giraud-Badin en a tiré un fac-simile, à quelques exemplaires, il y a quelques années.
(2) Ed. des Cendres, 2005.
(3) Orbis pictos club, 2008.
(4) Les Billets de La Bibliothèque, 112 p.12 €.
(5) Ed. des Cendres, 1997.

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