lundi 1 décembre 2014

La Semaine de MAGISTRO Au-delà des appareils et des discours dits de droite, dits de gauche ou d'ailleurs, 
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Un impôt sur les vices

"La chasse aux recettes" est un jeu difficile et périodique. Tous les régimes au cours de toutes les époques ont cherché les moyens les plus inavouables pour tenter de boucler leur budget. L’impôt n’a jamais été populaire ; le sujet puis le citoyen, est conscient que sa cotisation est nécessaire au fonctionnement de la marche de l’État. À condition de ne pas voir sa participation être précipitée dans un trou sans fond, sans d’autre effet que d’exiger qu’il soit sans cesse alimenté. Il apparaît en effet que depuis quelques mois, ceux qui dirigent aujourd’hui la France n‘aient d’autre occupation que de ramasser ce que contient le porte-monnaie du Français. Que restera-t-il lorsque ces bourses seront définitivement aplaties ?

Comme je suis finalement un bon citoyen et que je suis navré de constater que nos efforts financiers sont toujours en situation d’échec, j’ai cherché une manière d’aider les fonctionnaires de Bercy, en leur donnant une idée pour découvrir de nouvelles sources de revenus. Pourquoi ne pas leur proposer une substitution ? Plutôt que de taxer les biens, pourquoi ne pas imposer les vices ?

Dans une chronique parue au XVIIIe siècle  sous le règne de Louis le Bien-aimé, un certain abbé Gabriel-François Coyer (1), affirmait avoir "découvert la  pierre philosophale". Selon lui le parjure, la médisance, le larcin, l’infidélité conjugale, les dettes, les petites maisons seraient des sources de revenus inépuisables.
"À 7 sols et 6 deniers, le parjure, est-ce trop ? Cent mille personnes y succombant chaque jour rapporteraient 35 000 livres, soit sur une année : 19 215 000  livres. À 3 sols la médisance pour un million par jour, le revenu s’élèverait à 54 900 000 livres l’an. Mais précisait l’abbé Coyer comme la médisance est naturelle au féminin, cette taxe risquerait de condamner les dames au silence perpétuel. Alors, réduisons la taxe de moitié, soit 27 450 000 livres. Les mentalités ayant évolué, la médisance est désormais habilement partagée entre les sexes, je suggère de ne pas la diviser de moitié.
A raison de cent mille vols par jour, taxés chacun de 20 sols, le compte se gonflerait de
36 600 000 livres par an. Quant aux infidélités l’abbé  les chiffrait à 50 000 par semaines afin de les taxer 1 livre et 10 sols, ce qui rapporterait la 3 900 000 de livres par an. "Pourquoi un chiffre si peu élevé ? Paris donnant l’exemple il est bon qu’elle ne soit pas gênée dans ses leçons, afin que le reste du royaume, en les pratiquant, rende davantage au trésor public."
Et l’abbé Coyer examinait les dettes. "Puisque cela est, en France, un titre de noblesse, taxons-les", affirmait-il. Reconnaissons que cela n’est pas toujours vrai, il était prêt à exempter les dettes de jeu et les sujets qui donneraient 10 000 livres par an aux pauvres. Les débiteurs taxés ne seraient plus ainsi que cent mille ; mais leur vice rapporterait, à raison de 10 sols le débit 18 300 000 livres par an.
Enfin, pour avoir une grande maison, il ne faut que 30 000 livres de rente. Les trains des petites maisons exigent en revanche 100 000 livres à bon marché, calculait-il. Il convient donc de les taxer. Ceci rapporterait 680 000 livres par an. Cela, les gens de Bercy n’ont pas attendu l’abbé Coyer, pour se jeter à la fois sur l’immobilier et sur, non pas le train, car cela ne se dit plus, mais sur les aides ménagères, maternelles, bref tout ce qui aide les familles.

La valeur de cette nouvelle pierre philosophale s’élèverait donc à 100 614 000 livres l’année ; somme non négligeable si l’on songe que le produit du "Dixième" rapportait à l’époque cent millions de livres. A la suite de ces différents calculs, l’abbé polémiste estimait que la taxe sur les vices pouvait tenir lieu de tout impôt (l’excèdent de 614 000 livres étant destiné à payer les employés de la nouvelle ferme). Et, ajoutait-il, "en taxant les vices au lieu des ces biens, il n’y aurait de taxés que ceux qui voudront bien l’être."  Le seul risque de cette imposition serait qu’il parvienne à corriger la nation et ainsi tarir les ressources des fonds publics. Aucun risque, affirmait le législateur fantaisiste, "cela n’arrivera jamais".

Ce système fait rêver. Voilé enfin la probité rendue gratuite. Qui donc pourrait l’obtenir aujourd’hui ? Le parjure, la médisance, le larcin, l’infidélité, les dettes ne sont-ils pas  monnaie courante ! Je n’ose pas ajouter, de peur d’être taxé pour avoir exprimé de l’antiparlementarisme (10 livres et 5 sols), davantage du côté des hémicycles. Quoi qu’il en soit les technocrates du quai de Bercy pourraient peut-être consulter l’abbé Coyer ?


(1) L'abbé franc-comtois Gabriel-François Coyer (1707-1782) entra dans la Compagnie de Jésus qu’il quitta au bout de huit ans. Il fut le précepteur du duc de Bouillon puis du prince de Turenne. Il se révéla comme écrivain en 1748 avec ses dissertations, réunies en 1754 sous le titre ''Bagatelles morales'' où il faisait avec humour le procès des mœurs de son temps et qui lui firent alors la réputation d'un auteur original et spirituel, mais quelque peu frivole‎. 

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