vendredi 5 janvier 2018



                                            PIM LA GOUTTE DE PLUIE


                   Le train se traîne. Déjà une demi-heure en retard. Les nuages couleur anthracite frôlent la cime des arbres. Les branches décharnées se déshabillent au passage de la rame ; les derniers feuillages volent bousculés par le souffle  qu’elle provoque, et choient de chaque côté du ballast. Soudain, la pluie s’échappe des nuages et forme un rideau qui accentue la pénombre. Aliénor se souvient de cette histoire qu’elle pensait avoir vécue petite, tellement on la lui avait racontée. « Un après-midi pluvieux, la petite Boon se sentait morose et contemplait les vitres mouillées des fenêtres de sa chambre. Elle n’irait pas jouer dans le jardin tant que l’ondée durerait.. »  Aliénor se rappelle cette après-midi pluvieuse qui, finalement, était devenue magique.
                   Le train a pris de la vitesse. Ô pas trop ! mais il s’enfonce entre les collines bordées de tant d’arbres dont les troncs sont si serrés qu’on n’en distingue pas les sommets. La pluie cingle les vitres du compartiment. Le crépitement des gouttes lorsqu’elles s’écrasent sur elles avant de glisser vers leur rebord, devient familier. L’enfant tente de percer du regard cet étrange voilage fait d’eau et d’ombres mouvantes. La tristesse du paysage le recouvre tout entier. Si, au moins, le temps avait été plus froid, la neige aurait tout recouvert et enchanté le regard. Demain, ce sera Noël, le train arrivera-t-il à temps pour rejoindre la maison du Mesnil et  y retrouver ses parents et Léandre son grand-frère qui, du haut de ses dix ans tout neufs, ne manquera pas de la taquiner, comme ses grands cousins et encore sa tante Diane, la plus jeune, Bérénice, la grande, les autres oncles et tantes, et Grand-père. Elle trépigne, demandant secrètement au train de rouler plus vite.
                   Afin de tromper son impatience, Aliénor suit le ballet involontaire formé par les gouttes de pluie glissant désordonnée sur la surface de la vitre. Et, soudain, elle entend une petite voix qui l’appelle : - Aliénor ! Aliénor !
 -   Qui me parle ?, se demande la petite fille cherchant autour de son siège d’où vient ce murmure.
– Ici, non, là, devant toi. Regarde je suis celle qui tourbillonne. Je m’appelle Pim.
Aliénor pense rêver. Boon !  Pim ! la Gocce di pioggia comme  la nommait Grand-père, avec les images dessinées par son amie Monique, reviennent vers elle. (1)
-Pourquoi es-tu si triste ?  lui demande la goutte de pluie.
  Sais-tu que demain sera Noël. Avant la veillée, je veux dresser avec mon frère et Diane , la crèche, sortir les santons de leur boîte, les disposer tout autour de la grotte faite de papier, sans oublier le petit marin et surtout le musicien qui rappelle mon cousin Christophe, et puis, le départ pour la messe et puis la fête autour du sapin décoré et illuminé. C’est à moi, maintenant dans les bras de mon Papa de poser l’étoile à son sommet. Puis,  la veillée, les chants et les rires et les nouvelles histoires que raconte toujours Grand-père ce soir-là…
                   Le train ne roule pas assez vite. Aurait-il pris un autre chemin et se serait-il perdu dans une immense forêt dont on ne sortirait jamais. Aliénor éclate en sanglots. Grand-mère qui n’avait pas  remarqué l’émoi de sa petite-fille, la serre contre elle et la berce pour la rassurer.
-  J’ai une idée, lance Pim pour, elle aussi, tentant de consoler Aliénor. Tu vois toutes mes amies autour de moi, elles vont danser pour toi. Elles vont d’abord s’habiller avec les reflets de couleurs qu’elles vont ramasser où elles le peuvent ; pendant ce temps, je vais m’échapper en sautant sur l’une des flèches d’eau qui longe la rame. Elle me portera jusqu’à la locomotive et plus loin encore ; je verrai sans doute une lueur qui me fera comprendre que nous arriverons bientôt. Je reviendrai te le dire.
 L’enfant bat des mains, tandis que sa nouvelle amie s’élance et que toutes ses sœurs glissent et virevoltent, formant des figures les plus audacieuses, puisant dans chaque couleur de quoi émerveiller leur spectatrice.
                   Pim surgit et rompt l’ordonnance et la chorégraphie, en lançant à ses sœurs :
- Vite ! vite ! Nous allons pénétrer dans une éclaircie, réfugions nous dans la rivière que nous allons longer, sinon nous allons disparaître.
-  Non, Non, vous n’allez pas me quitter, s’écrie Aliénor.
 - Tu arriveras bientôt dans la maison. Rassure-toi, je suis revenue pour te le dire. Mais je ne t’abandonne pas, nous nous reverrons…
 Et elle disparaît.
                                               xxx
                   Au Mesnil,  Grand-père est assis, un livre à la main,  devant l’âtre du salon. Sa petite-fille se précipite dans ses bras et se juche sur ses genoux.
- Grand-père, Grand-père, j’ai retrouvé Pim.
-Tu veux parler de l’amie de Boon ?
-Oui, elle m’a accompagnée tout au long du voyage. Elle m’a promis que nous nous reverrons.
-J’en suis persuadé, lui répond son grand-père. Sois bien attentive ».
                                             xxx
                   L’enfant contemple la crèche installée sur le large coffre, entre les deux portes-fenêtres. Léandre a eu l’idée d’ajouter dans le paysage, un miroir d’eau afin que les oies, les canards, les moutons et les autres animaux puissent s’y abreuver. Les guirlandes sur le sapin clignotent jetant leur couleur par intermittence sur le décor de la crèche. En se penchant pour mieux contempler les santons, Aliénor bouscule légèrement le meuble provoquant une risée sur le miroir. Elle entend alors la petite voix qu’elle reconnaît :
- Je t’avais bien dit que nous nous reverrions.
                                              

Allusion à l’album Gocce di Pioggia illustré par Monique Michel-Dansac, SEI (Società  Editrice Internazionale), Turin, 1972

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