mardi 8 mars 2016



                                                                              UN COUP D’ÉVENTAIL FATAL



                        N’en déplaise à ce que l’histoire officielle véhicule, les Français ne débarquèrent pas à Sidi Ferruch, à quelques kilomètres d’Alger,  le 14 juin 1830, seulement en représailles au coup d’éventail qu’Hussein Pacha avait donné au consul de France. Trois ans plus tôt, le 30 avril 1827, le dey d’Alger,  rendu furieux par le refus de la France de rembourser une dette contractée par Bacri, riche marchand de Livourne,  avait en effet souffleté avec son chasse-mouches le consul général Pierre Deval (1758-1829). Entre-temps, le bastion du Comptoir de La Caille où était installée la "Compagnie marseillaise des concessions d'Afrique", sans cesse détruit par les pirates barbaresques, avait été à nouveau fortifié, ce que n’avait pas supporté le dey Hussein. Quoi qu’il en soit, Alger n’avait pas bonne réputation, elle était, en vérité, un véritable nid de pirates ; les Barbaresques, au service des Ottomans, écumaient les côtes de l’Europe et toute la Méditerranée dans le but de réduire en esclavage ses populations « razziées ». Ils auraient été 1.250.000 chrétiens à avoir été enlevés entre le seizième et le dix-huitième siècle. On en comptait 25.000 à 35.000 au XVIIIe dans la seule ville d’Alger qui avait alors une centaine de milliers d’habitants. Ce piratage avait été quelque peu atténué grâce aux chevaliers de Malte érigés en gendarmes de la Méditerranée. Mais depuis la prise de leur île par Bonaparte qui les en avait chassés en 1798, le trafic d’esclave avait repris de plus belle.
            « Avec la Révolution française, la course connut un regain d'activité en raison du conflit entre la France révolutionnaire et la Porte, note Xavier Labat de Saint-Vincent, Ingénieur d'études à l'université Paris IV-Sorbonne, dans un article consacré aux « Régences barbaresques en Afrique du Nord ». Au congrès d'Aix-la-Chapelle (1818), les représentants des puissances européennes évoquèrent la nécessité de mettre fin, une fois pour toutes, à ce fléau qui était incompatible avec les idées nouvelles. Chateaubriand déclara que c'était à la France de lever l'étendard de la dernière croisade. En 1830, après que son consul eut été giflé, la France mit fin à l'existence de la régence d'Alger et aux activités corsaires des deux autres. Ainsi, après plus de trois siècles de présence en Méditerranée, la course barbaresque disparaissait avec les principaux foyers de corsaires que la Méditerranée ait connus. » Parmi les militaires qui suivirent quelques mois plus tard, leur régiment en  Afrique, il y avait un brillant  officier, sorti de l’École polytechnique : Charles-Édouard-Joseph de Rotalier (1804-1849). Celui-ci ne resta que six mois en Algérie ; il donna sa démission de l’Armée et prit la plume. Il débuta cette nouvelle carrière dans les lettres en publiant deux romans : La Captive de Barberousse, roi d’Alger : chronique du 16e siècle (Souverein, 1839)  et La Fille du dey. Des textes inspirés par son séjour africain. Allant plus loin dans ses recherches, il écrivit une Histoire d’Alger et de la Piraterie des Turcs dans la Méditerranée à dater du seizième siècle (Paris, Paulin, 1841, 2 volumes in-8°). Un exemplaire relié en demi-chagrin ancien figurait récemment au catalogue de la librairie Jean Polak (1). Selon le Larousse du XIXe siècle, il s’agit « d’une œuvre brillante et solide à la fois, où l’éclat du style et la rapidité du récit se marient à l’étendue, à la variété des recherches et à la profondeur de l’érudition. Aujourd’hui encore, malgré une foule de travaux plus récents, cet ouvrage continue à faire autorité ».
                        L’auteur y rappelle que les Ottomans sont arrivés en Afrique en 1516. A cette époque, sous les règnes de François Ier, de Charles Quint, du pape  Léon X, de Soliman le Magnifique qui allaient être marqués par le Renaissance,  « la civilisation semblait avoir surmonté les ténèbres de la barbarie ». Mais soulignait Rotalier : « Un étrange royaume se fondait au cœur de la Méditerranée ; Barberousse établissait à Alger, un repère de corsaires dont les infâmes pillages devaient insulter pendant trois siècles à la civilisation et protester contre ses plus belles conquêtes. »


www.librairie-polak.fr
A noter, du père Pierre Dan (158 ? – 1649) De la  Barbarie et de ses corsaires,  Des royaumes, et des villes d'Alger, de Tunis, de Salé, & de Tripoly.  (Paris, Pierre Rocolet, 1637  in-4) -