mardi 27 décembre 2016

lundi 26 décembre 2016



                                                                   Conte de Noël


                                                            TROP PETITE


 


              Les ailes du moulin lissées par un vent imaginaire, tournent, tournent, tandis qu’à ses pieds, un gros sac sur l’épaule, le meunier peine à hisser sur le dos de son âne sa lourde charge. Le paysage est fait de broussailles et d'arbustes moussus qui émergent de pierres à la chaude couleur de miel, comme celles des maisons du village. Où se niche donc l'église ? Ah, ici, un peu plus bas, juste après le pont qui enjambe la rivière. Des moutons paissent dans un  pré, sous le regard de leur berger immobile ; contre ses jambes, son chien dort. Le curé, devant le portail à demi-ouvert, tient un parapluie rouge à la main. Le temps n'est pourtant pas à la pluie. D'autant que le ciel est si loin qu'on ne le distingue pas.
              La petite fille, les yeux grands ouverts, cherche l'étoile. Celle-là ne doit pas être loin. L’enfant sait qu'elle doit indiquer l'emplacement de l'étable. Oui, l'étable, l'unique. Celle qui a accueilli l'Enfant Jésus et la Sainte Famille, car il n'y avait plus de place dans l'auberge. Se haussant sur la pointe des pieds, les mains posées sur le rebord de la table, elle cherche cette étoile parmi les maisons enchevêtrées, les escaliers, les passages qui les séparent, ces collines et ces bosquets. En cette fin d'après-midi, le jour commence à baisser. Les lampes du salon n'ont pas encore été allumées. Les bruits familiers de la maison sont assourdis grâce à la porte close. La fillette fait encore un effort pour repérer l'étoile. En vain.
                                                 *   *
              Sa maman lui avait bien dit de rester jouer dans sa chambre, mais Aliénor a décidé d'aller contempler la crèche que son grand-frère et son père ont installée dans la matinée. Elle a assisté à l'ouverture de la boîte en carton vert foncé ornée d'une vignette colorée sur laquelle elle a reconnu un sapin enneigé. À l'intérieur, elle a entraperçu  les petits paquets protégeant chacun des personnages en argile coloré et les éléments du décor.
-Moi aussi, je veux faire la crèche, avait-elle dit à son frère.
-Tu es trop petite !  lui avait-il rétorqué, les sourcils froncés.
-Tu n'es pas gentil !
Léandre craignait simplement que sa sœur laissât tomber  sur le sol des précieux santons.
-C'est pas juste ! La petite fille, les yeux humides, les poings serrés, a tapé du pied et  a couru se réfugier dans la bibliothèque qu’occupe d'ordinaire son grand-père. Il était bien là, assis devant l'écran de son ordinateur, entouré de volumes ouverts en vrac.
-Léandre a dit que j'étais trop petite et que je n'ai pas le droit de faire la crèche lui explique-t-elle entre deux sanglots.
Grand-père avait ôté ses lunettes, saisit la petite-fille et l'avait hissée vers ses genoux.
-Écoute-moi, Aliénor. Tu es presque grande. Ainsi que tu me l'as dit un jour, je suis un peu vieux. Bientôt je serai très vieux et tu seras très grande. Cela ne me dit rien d'être trop âgé, mais j'apprécie d'être « un peu », comme toi. Tu devrais découvrir l'avantage d'être encore petite. Imagine que si tu étais toute petite- petite, tu pourrais entrer dans la crèche et te promener dans son décor, saluer les personnages et qui sait, te parleraient-ils ? Tu pourrais aller voir Marie et Joseph, caresser le dos de l'âne et les flancs du bœuf, plonger tes petites mains dans la toison des moutons. Ce serait merveilleux, ne crois-tu pas ?
La petite fille avait opiné de la tête, effacé ses larmes en passant la paume de sa main sur ses yeux et  avait demandé :
-Grand-père si j'entre dans la crèche, comment pourrais-je trouver l'étable ?
-Oh ! C'est simple, avait-il répondu, tu n'aurais qu'à repérer l'étoile qui doit briller sur son toit. Allez oust ! Va jouer ou attrape  un livre et assied-toi à côté de moi. Ce soir, je te prendrai dans mes bras et tu pourras voir l'étable où tu déposeras l'Enfant-Jésus.
La perspective d'être l'autre héroïne de la soirée de Noël avait réjoui Aliénor. Mais cela ne lui suffisait pas. Les paroles de son grand-père avaient tourné dans sa tête :
- Ah! Je suis petite et bien je vais devenir encore plus petite et rapetisser pour entrer dans la crèche.
                                                 *   *
              Aliénor  surprend  un bruit de pas dans le couloir menant au salon. Le sapin, malgré les boules et les guirlandes éteintes, luisant faiblement, ressemble à un fantôme. Le claquement des talons s'approche. L'enfant se glisse prestement derrière la nappe recouvrant la table. Elle entend la porte s'ouvrir, un frottement sur le tapis, puis distingue à travers le voile, une lueur. Quelqu'un vient d'allumer les lampes, peut-être aussi le sapin ou la crèche ou les deux ? La porte est refermée. Aliénor sort de sa cachette.
-Oh,  c'est beau !
              Le sapin illuminé brille, clignote, lance des éclairs blancs et rouges et fait briller à leur tour les boules et les guirlandes. Le décor de la crèche est aussi éclairé. L'enfant repart  à la recherche  de l'étoile. Pas facile. Sous le pont, les canards barbotent sur le miroir figurant la rivière,  ils ne semblent pas effrayés par la lavandière ; dans un escalier une vieille femme un panier à son bras bavarde avec le marchand de vin, tandis que deux musiciens cheminent entre des oies oubliées par leur gardienne. Quelle musique jouent-ils, se demande l'enfant ? Elle a l'impression d'entendre une mélodie familière. Elle se penche davantage pour mieux écouter. Tiens, le meunier s’est déplacé vers eux, suivi par son âne chargé de deux sacs rebondis d’où s’échappent des fumerolles de farine. Un jeune  garçon, une guitare en bandoulière, l’accompagne. Elle ne l’avait pas remarqué tout à l’heure près du moulin. Sans doute gravissait-il la pente y menant ? On dirait qu’il lui fait signe :
- Viens, viens, je vais te conduire à l’étable, entend-elle.
- Comment ? je suis trop grande.
- J’ai entendu dire que tu étais trop petite, lui dit le garçon. Profites-en. Tu vas voir, c’est facile. Prends ma main.
En quelques instants, Aliénor se retrouve près de lui. Le sonneur et le joueur de pipeau entament une chaconne qui lui donne envie de danser.
-Je m’appelle Christophe, lui dit le garçon. Autrefois, j’écrivais des chansons, c’est la raison pour laquelle, je porte une guitare.
-Pourquoi n’en écris-tu plus, demande la petite fille ?
-C’est une longue histoire, je te la raconterai plus tard. Allez, suis-moi. Regarde là-bas, l’étoile n’est pas loin, Marie nous attend dans l’étable.
              Le petit groupe se faufile alors entre les maisons, les arbustes, saute sur les cailloux, évite les rochers, foule l’herbe, projette de la poussière. Il croise le ravi, les bras toujours levés, le garde-champêtre qui cherche les baguettes de son tambour, le maire vraiment trop  fier de lui, et encore le rémouleur et le vannier, et aussi le bohémien et les bohémiennes… Tous les villageois sont présents et en marche. Tous ? Sauf l’endormi, puisqu’il dort. Chacun, en passant  lui dit : « Bonjour Aliénor ! » Son nouveau compagnon Christophe s’arrête enfin et ils pénètrent dans l’étable. Elle sent le souffle du bœuf et entend le raclement des sabots de l’âne sur le sol. Une bonne odeur de paille fraîche l’enveloppe. Marie lève la tête et lui sourit avec un regard aussi doux que celui de sa maman.
                                      *   *
  -Aliénor ! Aliénor ! Où est-elle passée demande à voix haute sa mère. On la cherche dans la maison. Où s’est-elle dissimulée ? Il est temps de se préparer pour se rendre  la messe. Nous allons être en retard, il n’y aura plus de place assise ! Les commentaires vont bon train, tandis que les uns et les autres cherchent, dans tous les recoins la petite fille. Grand-père, plus calme, a soudain une intuition. Il se dirige vers le salon et s’approche de la crèche. Son idée est bonne, il aperçoit sa petite-fille, ravie parmi les santons, en grand conversation avec les musiciens, les bergers et aussi Marie. Il vérifie qu’aucun autre membre de la famille n’est dans les parages.
-Aliénor ! appelle-t-il à voix très basse. La petite-fille lève les yeux et voit son grand-père, plus géant que jamais. – Viens, maintenant  tu sais que tu n’es pas trop petite.

              L’enfant saute dans ses bras, non sans avoir auparavant, déposé un baiser sur la joue de son ami Christophe.
-Aliénor est avec moi, lance à la cantonade, le grand-père tout heureux.
-Mais où était-elle donc passée, demande sa mère ?
-Je l’ignore, répond-il, en, mettant un doigt sur les lèvres de sa petite-fille. Cela doit être un nouveau mystère de Noël.





dimanche 20 novembre 2016



LE BLAEU OU L’ATLAS  AU GLOBE DORÉ


 
                   Pour la Biennale, la librairie Camille Sourget présentait l’Atlas major de Joan Blaeu (1596-1673). Cet ouvrage dont le titre exact est Sive Cosmographia Blaviana, Qua Solum, Salum, Coelum, Accuratissima Describuntur. a été publié en 1662 dans la propre imprimerie de l’auteur : Amstelaedami, Ioannis Blaeu.  Il comprend 11 volumes grand in-folio [le premier est en second tirage], reliés à l’époque en vélin à rabats, les dos lisses dorés, à  double encadrement de roulettes dorées sur les plats avec écoinçons et large fleuron central au globe dorés [l’emblème des Blaeu], les tranches dorées. Les volumes sont illustrés de 593 cartes gravées à  l’eau forte et coloriées à l’époque avec rehauts d’or, à savoir une mappemonde, 70 cartes pour l'Europe du nord,  18 cartes pour la Russie et la Pologne, 11 cartes pour la Grèce et l'Europe orientale, 96 cartes pour l'Allemagne, 63 cartes pour la Belgique et les Pays Bas, 113 cartes pour les Iles Britanniques, 64 cartes pour la France, 6 cartes pour la Suisse, 59 cartes pour l'Italie, 28 cartes pour l'Espagne, 13 cartes pour l'Afrique, 28 cartes pour l'Asie, et enfin 23 cartes pour l'Amérique. Son prix affiché était de 550.000 €.

                   Cet Atlas major est, selon C. Koeman, auteur d’une monumentale bibliographie des » atlas publiés aux Pays-Bas du XVIIe siècle à 1880 », sortie en 1967, « le plus grand et le plus fin atlas jamais imprimé. Ceci en raison de la très grande qualité de sa typographie ; la colorisation a, en outre, grandement contribué  à sa renommée ». L’imprimerie Blaeu installée à  Bloemgracht dans l’arrondissement Centrum d’Amsterdam, développée vers 1640, était à l’époque considérée comme la plus grande au monde et faisait l’admiration de tous ses visiteurs. Le 23 février 1672, un incendie ravagea cette imprimerie, détruisant notamment les esquisses et épreuves du  Theatrum Statuum Sabaudiæ,  un ouvrage consacré aux territoires de la maison de Savoie. Il  sera édité après la mort de l'éditeur en 1673. Cet accident mit fin à l’activité de la société d’édition qui sera vendue en 1678. Cette imprimerie ne se limitait pas à la production de cartes, atlas et globes, mais s'intéressait aussi aux publications les plus diverses, ouvrages religieux inclus.

                   Durant trois générations, les Blaeu furent cartographes officiels de la V.O.C (la Compagnie des Indes Néerlandaises). William Jansz, le père (1571-1638) et Joan I, le fils puis  Joan Blaeu II, le petit-fils (1650-1712) le sera lui-même de 1672 à 1705, sans oublier son frère Peter (1637-1706). Joan I  Blaeu avec son frère Cornelis, mort trop tôt à 34 ans, en 1644,  avait poursuivi l’œuvre de  leur père et complété le Novus Atlas, publié en trois volumes en 1640, quatre en 1645, six en 1655, pour finalement réaliser l'Atlas Major. Cet ouvrage fut tiré à environ 300 exemplaires et dans plusieurs langues européennes.
                                     
Infos : www.camillesourget.com



dimanche 6 novembre 2016



                 MERCI À INNOCENT VIII QUI INSTITUA LA CENSURE








                        À Athènes, l’Aréopage fit brûler les ouvrages de Protagoras (Ve siècle av. J.-C.) parce qu’il exprimait des doutes sur l’existence des dieux. La censure fait, curieusement,  partie de la pensée et réjouit les bibliophiles. C’est elle qui entretient la rareté de certains exemplaires d’ouvrages condamnés au bûcher. De là, à rendre hommage au pape Innocent VIII (1432-1484-1492) et à son successeur Alexandre VI, dont on se souvient qu’il était un Borgia (1431-1492-1503) pour avoir été les premiers à instituer un système de censure à tous les ouvrages non seulement théologiques, il est un pas que nous ne franchirons pas. Le principe de l’autorisation préalable à toute impression fut confirmé par la promulgation en 1487,  de la Bulle  Inter multiplices » limitées aux villes de  Cologne, Trèves, Mayence et Magdebourg. Quatre ans plus tard, le légat pontifical Nicolo Franco demanda au conseil de Venise de faire brûler un ouvrage d’Antonio Roselli (1381-1466), critiquant le pouvoir du pape : Monarchie sive de potestate imperatoris et papæ publié en 1487. C’est le premier ouvrage à faire l’objet d’une pareille mesure… En 1501, Alexandre VI confirmait promulguait la Bulle Inter multiplices en défendant  aux imprimeurs d’imprimer un ouvrage sans l’avoir soumis à l’archevêché, sous peine d’excommunication et d’amende. Son successeur Léon X, par sa Bulle  Inter sollicitudines (14 mai 1515), étendait cette mesure à toute l’Europe. L’Église se méfiait de cette nouvelle invention, l’imprimerie, qui pourrait  diffuser des hérésies.

                        Face à la diffusion massive par le livre des idées intellectuelles et religieuses de la Réforme protestante, les universités et les autorités ecclésiastiques catholiques décidèrent de publier dans les années 1540 des catalogues de livres prohibés. Le tout premier d'entre eux fut celui de la faculté de théologie de Paris,  imprimé en 1544, il donnait une liste de 230 volumes.  Cet Index français fut réédité à plusieurs reprises en 1545, 1547, 1549, 1551 et 1556, avec l'ajout de nouvelles listes de titres  condamnés par les docteurs de la Sorbonne. Il devint le modèle de référence de ceux publiés par l'université de Louvain (1546), le Portugal (1547), Venise (1549), et l'Inquisition espagnole (1551).

                        Un exemplaire du Catalogue des livres examinez & censurez, par la Faculté de Theologie de l'Université de Paris: suyvant l'Edict du Roy, Publié en la Court de Parlement, le troisiesme iour de Septembre, M. D. LI. On les vend à Paris par Jehan Dallier, 1551. In-8, relié à l’époque en vélin souple, a été adjugé 38.100 €, à Drouot le mercredi 1er juin 2016 par la SVV Binoche & Giquello, lors de la dispersion de la bibliothèque du libraire jean Viardot. Il s'agit de l'une des trois éditions imprimées en 1551. Les deux autres ont été données à Toulouse par Claude Sanson, et à Paris, à l'adresse de Jean André. Cette nouvelle version de l'Index de Paris a été imprimée quelques mois après l'Édit de Châteaubriant, promulgué le 27 juin de la même année par Henri II pour renforcer les mesures contre les protestants.

                        « Ce catalogue, explique l’expert Dominique Courvoisier, est une refonte des catalogues existants. Il contient près de deux fois plus de titres que celui de 1544, et 47 supplémentaires par rapport à la version de 1549. On y trouve deux listes de 215 livres en latin et 192 en français, classés par ordre alphabétique d'auteurs. » Parmi ceux-ci, nous trouvons des bibles de Robert Estienne, des écrits de Martin Bucer (6), Jean Calvin (25), Luther (35), Melanchthon (16), Zwingle (7), Étienne Dolet (8), etc. Les humanistes ne sont pas épargnés non plus  puisqu'on retrouve plusieurs textes de Lefèvre d'Étaples et d'Érasme. On note encore la présence du Tiers livre de Pantagruel (1545). À ces listes s'ajoutent les défenses approuvées par la faculté de Paris contre les traductions protestantes de la Bible et contre les ouvrages du prédicateur siennois Bernardino Ochino (1487-1564), vicaire général de l’ordre des Capucins.

                                                          

                         


UNE COQUINE RELIURE DE DÉZÉ





                        Félicien Champsaur  (1858-1934), un auteur quelque peu oublié par le public, mais non des bibliophiles, était un défenseur des thèses hardies. Il était à la fois un feuilletoniste caractéristique d’une époque, un polémiste et  pornographe ?  Pour Léon Bloy (1846-1917) qui l’avait choisi comme modèle pour son Félix Champignolle dans Le Désespéré (1886), il était un «personnage des plus remarquables en ce sens qu’il a l’air d’un parfait scélérat ». La plume de Bloy était celle d’un polémiste et, qui se trouvait sur son chemin, ne s’en relevait jamais sans être couvert de taches d’encre. Il reste que Champsaur avait un formidable talent de conteur, un esprit éblouissant, un style vif et novateur, une imagination illimitée. Il était en somme de la race des grands écrivains… détesté. Jean Ajalbert (1863-1947), auteur et critique et encore anarchiste, a, un jour, lancé, à son propos : « Félicien Champsaur, littérateur à tout faire, sauf de la littérature ». Soyons plus aimable envers lui et conservons davantage cette autre  définition : « il était un polisson pas sérieux ». Au regard de sa bibliographie qui comporte plus de cinquante romans, pièces et ballets, sans compter les nouvelles, on peut considérer avec son biographe  Paul Adamy qu’il était « un singulier mégalomane des lettres » [Plein Chant, 2013].

                        Voilà qui est dit. Parmi la collection de ses titres, il en est un que l’on rencontre peu : Le Butineur (Paris, Jean Bosc & Cie, 1907, in-8). Un titre qui laisse penser à toutes les interprétations. Elle est pourtant simple, cet ouvrage est un recueil de nouvelles sur le thème de rencontres galantes. Leurs titres sont évocateurs : « Sauvé par l’Amant », « La Faute des lilas », « la Belette », « l’Amant posthume », « La Mystérieuse », « La plus heureuse des femmes », etc. La couverture représente un homme le nez dans une rose à l’instar d’une abeille… butinant. ».  Seules leurs illustrations font en réalité rechercher aujourd’hui ces livres  par les bibliophiles, et parfois leurs reliures. Le Butineur a été illustré par Manuel Orazi (1860-1934) qui a réalisé 18 lithographies en couleurs. On dit qu’il convient de lire les histoires de Champsaur dans « leur habit d’époque ».  Seules leurs illustrations font rechercher aujourd’hui ces livres  par les bibliophiles, et parfois leurs reliures.

                        C’est le cas d’un exemplaire, l’un des 20 de tête sur Japon dans une « coquine reliure » dans un décor créé par Louis Dézé (1857-1930) pour son exemplaire personnel, dont le corps a été façonné par Émile Babouot. En pleine basane dans les teintes bleu et rouge, elle montre sur le premier plat de cuir repoussé, une femme allongée sur une tête de démon, les jambes levées au ciel vers un petit ange ; sur le second plat, on voit une danseuse avec le monogramme L [ouis]. D[ezé] ; au dos figure un ange dans les teintes marron avec une palette de peintre. Cet exemplaire qui  comporte un envoi de l’auteur au relieur - « A Louis Dézé, sympathie personnelle et artistique » - était récemment présenté par Éric Grangeon Rare Books.

                        Les reliures de Louis Dézé présentent le plus souvent de forts reliefs, sa marque de fabrique, dans des décors d’inspiration symboliste, ou alliant la fantasmagorie au fantastique. « Ses œuvres... sont peut-être moins parfaites techniquement parlant que celles des maîtres de l’heure... mais elles sont autrement surprenantes, et elles vont infiniment plus loin dans notre sensibilité... », a écrit Henri Pollès dans un article rendant hommage à ce relieur. « Génie véritable, génie surabondant, il inventa ou perfectionna une technique très particulière, très savante », poursuivait-il en précisant que, contrairement à la plupart de ses confrères, il lisait sûrement les livres avant de les habiller. Cet artiste singulier était également illustrateur. On lui doit, par exemple 13 planches pour Dieu de Victor Hugo (Paris, Hetzel, 1891).
                                              
Infos : Éric Grangeon Rare Books : www.ericgrangeon.com