jeudi 22 décembre 2011

Conte de Noël / LE CHAMEAU A FUGUÉ


De la fenêtre de sa chambre, Léandre contemple la façade de l’immeuble voisin. La grande vitrine de la boutique, en bas, est vide. Pas tout à fait ; l’enfant distingue des petits personnages errant çà et là sur la moquette à peine éclairée par un projecteur. Marionnettes oubliées d’un décor passé, elles tentent de jouer encore dans cet espace vide qui doit être bien froid. Il la connaît bien cette devanture devant laquelle il passe chaque matin en allant à l’école et chaque soir au retour. Ce ne sont pas tellement les vêtements habituellement suspendus qui l’attirent que les jouets dispersés autour d’eux. Des charriots bleus ciel, des voitures rouges ou vertes, des échelles et même des bateaux aux larges voiles, sont peuplés d’ours bruns ou blancs semblant les conduire ou les tirer dans des promenades immobiles. Le petit garçon s’étonne parfois de ne pas les voir s’enfuir réellement dans la rue, franchir les carrefours et traverser les boulevards pour se rendre par exemple jusqu’au bord de la mer où ses parents l’emmènent dans une grande maison au bord de la plage. Il lui est arrivé d’interpeler, de sa voix encore frêle, celui que son père lui a dit se nommer Paddington, un Anglais qui a traversé les mers dans un canot. Il est facilement reconnaissable celui-là avec son duffle-coat vert, ses bottes jaunes et son chapeau rouge de marin. Ah, partir avec lui, à bord de son bateau pour aller découvrir un trésor ! Un seul inconvénient, il y a des mouettes au-dessus des vagues, Léandre aime bien les entendre, lorsqu’il est engoncé sous les couvertures dans la chambre de l’étage de la maison d’Houlgate, mais, le jour, il en a peur. Elles ont un gros bec tout pointu et jaune, ces mouettes que Grand-père prend bien soin de nommer goéland. Un mot trop compliqué à retenir.
Le petit Léandre saute sur son vélo tout neuf, tout jaune, aux petites roues toutes rouges, et appuyant fort sur les pédales parvient à jaillir hors de sa chambre, amorce un virage serré qui le jette dans le couloir et, à bout de course, butte contre le canapé du salon. Aïe ! Maman sursaute et fronce les sourcils. La boîte ouverte qu’elle a posée sur la table basse, a failli être renversée par l’impétueux coureur. L’enfant reconnaît le coffret dans lequel sont rangés les santons de la crèche. Il n’ose imaginer la catastrophe qu’il a évitée de peu. Maman sourit déjà, l’incident semble oublié ; elle l’invite à l’aider à dresser la crèche. A condition d’être prudent, il obtient l’autorisation de sortir, avec beaucoup de précaution, chaque personnage et de le déposer dans et autour de cette drôle de maison en forme de village que Grand-père a rapporté, il y a bien longtemps de Naples, une ville de l’Italie, où lui, a-t-il raconté, il existe une rue où des artisans fabriquent toute sorte de maisons comme celle-là peuplées de dizaines petits personnages. L’enfant se montre appliqué et pose ainsi l’Eveillé, les bergers, le meunier, le pistachié, le chanteur qui rappelle un grand cousin trop tôt disparu dont il ne se souvient pas, puis l’abbé, le tonnelier et les adorants, toute cette petite foule qui entoure Marie, Joseph, le bœuf et l’âne. Le Petit Jésus, lui, doit attendre d’apparaitre dans la nuit de Noël. Léandre sait que c’est à lui que reviendra la tâche de Le déposer au centre de la crèche.
« Dans combien de jours arrive Noël ? » demande le petit garçon à sa mère. La jeune femme regarde avec tendresse son fils, se souvenant de sa propre impatience lorsqu’elle était elle-même une petite fille. « Encore une petite semaine ! » - « Cela fait-il beaucoup de jours ? » - « Six. Compte sur tes doigts » - « Oh, c’est loin ! », constate-t-il d’un air presque désespéré. Il ne reste plus au fond de la boîte que les Rois Mages dont on oublie toujours le nom de l’un des trois : « Melchior, Balthazar et…Gaspard. Léandre les place à l’écart derrière la montagne en papier. Ils ne sont pas encore partis pour Bethléem, l’étoile qui doit les y conduite ne brille pas encore dans le ciel. « Où est le chameau ? » Pas de chameau dans la boîte. Maman a beau regarder, fouiller, remuer les feuilles de papier de soie froissés. Pas de chameau. Ce camélidé est indispensable pour constituer le groupe des Mages. Sans lui, ils ne pourraient être présents le jour de l’Epiphanie.
Dans sa petite tête, Léandre ne comprend pas qu’un si gros et si bizarre animal ait ainsi disparu. Il ne doit pas être bien loin. « Je vais mener mon enquête ». Hélas, le coffret retourné, rien n’en sort. Le placard où sont rangées chaque année les décorations de Noël, ne livre pas plus de chameau. C’est pourtant grand un chameau avec sa grosse bosse et son long cou, et ses grands yeux qui semblent tout doux. Maman lui a raconté que c’est grâce à cet animal que l’on peut traverser les déserts.
Distrait de ces jeux, Léandre jette un regard à travers la fenêtre vers l’extérieur. Les nuages gris semblent couvrir la rue. La neige va-t-elle tomber ? Tous les contes et les histoires de Noël se déroulent sous les flocons de neige. Jamais encore le petit bonhomme n’a vu dans la ville, de flocons le soir de Noël. Il imagine les rues couvertes de cette mousse blanche et froide comme en montagne et des traineaux tirés par des chevaux qui glisseraient au son des grelots. Les chameaux supportent-ils le froid ? L’enfant tout à son rêve glisse vers la vitrine d’en face et quelle n’est pas sa stupéfaction de voir justement un chameau dressé la tête haute comme s’il le regardait ? Il semble aussi grand qu’un vrai. Il se frotte les yeux, se retourne vers le coffret à santons et se demande comment son chameau a-t-il pu grandir et s’échapper ? Car le petit garçon ne doute pas un instant que l’animal posé dans la vitrine soit le sien. « Je dois aller le chercher », se dit-il avec force en serrant les poings.
Vous n’allez pas me croire, mais les veilles de Noël, les animaux parlent entre eux d’abord, aux enfants qui savent les entendre ensuite. Quant aux adultes, il convient qu’ils aient véritablement conservé leur âme d’enfance, ce qui n’est pas toujours gagné. Et les peluches, me direz-vous ? Ceux-là sont à part, ils possèdent un langage secret que seul les bébés comprennent. Léandre à la faveur d’une course en compagnie de Grand-mère, réussit à s’approcher de la vitrine et à insister pour regarder le fameux chameau. Il est installé entouré de peluches de plus ou moins grande taille figurant d’autres animaux figés dans un jeu que les humains ne doivent pas deviner. Lui les domine, l’air un peu las, prenant garde toutefois de ne pas les bousculer dans leurs cabrioles. Cela, les humains ne le voient pas, quoique Léandre semble percevoir le remue-ménage qui agite ce petit monde dans un décor qui mélange autant les montagnes que les dunes. Imperceptiblement le grand animal incline la tête et remue l’une de ses oreilles toute ronde, tandis que le petit garçon murmure : « Je t’ai reconnu, je sais que c’est bien toi, le chameau de ma crèche, tu n’as pas le droit de m’abandonner, tu dois rentrer à la maison ».
Têtu le chameau n’a pas quitté sa nouvelle maison. Léandre trépigne devant sa fenêtre lui lançant des appels désespérés ou impératifs. Les parents se sont aperçus que l’enfant était préoccupé. Ils mettent cet énervement sur le compte de l’approche de Noël. Il leur a expliqué qu’il avait retrouvé le chameau perdu et qu’il tentait par tous les moyens de le faire revenir à la maison, car les Rois mages avaient besoin de lui pour arriver dans la crèche de l’Enfant Jésus. Pensant à un jeu, les parents acquiescent dans un même mouvement de la tête.

Vous n’imaginez pas le tintamarre qui a retenti dans la rue, d’abord, puis dans l’escalier de l’immeuble, quelques instants avant minuit, dans la nuit du 24 au 25 décembre. Les passants ont vu galoper dans la rue un chameau poursuivi par une meute d’animaux en peluches qui tentaient de la retenir. En vain, car un bout de chou tenait le portail de l’immeuble du n° 48, en faisant des grands signes. Le chameau se précipita à l’intérieur, la lourde porte se referma. Un grand bruit encore, puis plus rien.
Au matin, tandis que Léandre entouré des parents, grands-parents, oncles et tantes et cousins découvrent les paquets enrubannés déposés devant le sapin, Maman contemplant la crèche s’exclame : « Tiens, le chameau est revenu, Léandre, tu vas pouvoir faire avancer les Rois mages ». Le petit garçon lève les yeux ; la tête de la petite figurine s’incline et son œil cligne légèrement. Il est le seul à le voir. (fin)
Bertrand Galimard Flavigny

mardi 20 décembre 2011

L’INSTITUT D’EGYPTE




l'Institut d'Égypte a été ravagé par un incendie, le samedi 17 décembre 2011, au Caire La majeure partie de son fonds constitué d’environ 200.000 ouvrages n'était pas numérisée. Le lundi suivant, près de la place Tah¬rir, les 22 employés ainsi que deux membres de l'Unesco et des volontaires continuaient de mettre sous sacs plastique des pages en partie calcinées et des volumes noircis.




La fameuse phrase : Soldats, du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent", figura pour la première fois dans une Histoire de Bonaparte, premier consul, par un anonyme (en fait O. Guerlac), publié en 1803. Bonaparte ne l’aurait jamais prononcée, mais l’aurait adoptée a posteriori. La campagne d'Egypte débuta en avril 1798 et s'acheva le 14 septembre 1801 après la capitulation du général Menou à Alexandrie.
Lorsque les troupes dites de « l’Armée d’Angleterre » s’embarquèrent à Toulon, le 19 mai 1798, elles ignoraient leur destination. Le secret avait été bien gardé. On imagine la stupéfaction des soldats lorsqu’ils apprirent qu’il s’agissait de l’Egypte ! « La surprise fut si grande qu’un petit nombre seulement s’avisa que Bonaparte qui les commandait avait signé la proclamation que l’on venait de lire aux troupes de son nom suivi de la mention : « membre de l’Institut national, général en chef ».
Bonaparte avait été, en effet, élu le 25 décembre 1797 à l’Institut, au fauteuil de Lazare Carnot, mais n’y siégea n’y ne revêtit jamais l’habit vert. Une aquarelle laisse croire le contraire. Celle-là fut composée par Edouard Detaille (1848-1912). Elle représente Bonaparte revêtu de la redingote brodée, culotte à la française noire, bas noirs, les bras croisés, adossé à un bureau. On distingue sur la gauche des travées et le visage de deux ou trois membres de l’Institut. Cette scène apocryphe est entrée en mars 1997, dans les collections de l’Institut de France, après un achat à l’hôtel des ventes de Drouot.
« Triomphalement élu à l’Institut, Bonaparte poursuit habilement sa cour, signant désormais lettres et proclamations de son nouveau titre, emmenant avec lui en Egypte, Berthollet et Monge, créant au Caire un Institut calqué sur le modèle de celui de Paris, et poussant l’admiration pour les idéologues en allant jusqu’à publier une seconde Décade, égyptienne celle-là... », raconte l’historien Jean Tulard. Cet Institut d’Egypte fut fondé le 22 août 1798, avec pour but « le progrès et la propagation des Lumières ». Emanation de la Commission des sciences et des arts, emmenée par Bonaparte lors de sa campagne, il comptait 36 membres, choisis parmi ses personnalités les plus éminentes. L’Institut comprenait quatre sections de douze membres : mathématiques, physiques, économie politique, littérature et arts. Il se réunit deux fois par décade jusqu'en 1801, dans le palais Hassam Kachef. On y a traité de questions pratiques comme la fabrique de la bière sans houblon, la clarification des eaux du Nil. Et aussi débattu, ce qui fut plus important pour l’histoire des sciences, de l'explication du phénomène des mirages par Gaspard Monge et l'étude de Claude Berthollet sur les lacs de natron - d'où est extraite la soude qu'exporte l'Égypte depuis l'Antiquité -, qui a conduit à remettre en cause la thèse, dominante à l'époque, des affinités électives et à avancer l'idée novatrice d'«équilibre chimique», fondamentale pour l'avènement de la chimie moderne. Ces travaux furent publiés dans La Décade égyptienne. Cette revue prit des allures de bulletin d’information. On lança même une montgolfière, par deux fois, depuis le centre du Caire. Les Egyptiens haussèrent les épaules devant ce ballon qui s’élevait dans les airs… et retombait aussitôt. Les Musulmans furent davantage choqués par l’habit des membres de l’Institut ; il était vert, la couleur réservée aux descendants de Mahomet. Le recueil des communications de l’Institut seront publiées, sous le titre Mémoires sur l’Egypte…(P. Didot l’aîné, an VIII-an XI (1800-1803), 4 vol. in-8°, 2 cartes dépliantes, 2 tableaux dépliants). Une édition anglaise (London, R. Phillips, 1800, in-8°) fut publiée en même temps.
Si la campagne d’Egypte, entreprise insensée, ne rapporta rien sur le plan militaire, elle provoqua, en revanche, une floraison de découvertes archéologiques et une avalanche de mémoires. Philippe de Meulenaere a recensé dans sa Bibliographie raisonnée des témoignages oculaires imprimés de l'expédition d'Egypte, trois cent soixante trois ouvrages composés par autant de militaires, de médecins, chirurgiens, scientifique, ingénieurs et voyageurs français, anglais, arabes (1). Le résultat du travail de tous ces savants se retrouve dans la monumentale Description de l’Egypte, ou « recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition française ….». (Imprimerie Impériale, puis Imprimerie Royale, de 1802 à 1830).
Cette « Description » comprend 9 tomes en 10 volumes, petit in-folio de texte, orné de 36 planches, plus l’Atlas comprenant 11 tomes en 13 volumes, grand in-folio contenant 892 planches dont 72 sont coloriée. Plus de 80 artistes y ont apporté leur concours et, pour imprimer les planches, la plupart en noir, mais certaines en couleur, il a fallu employer plus de 400 graveurs ! A cause du format exceptionnellement grand des planches, Nicolas Conté a dû inventer une presse spéciale qui fut installée dès 1803 au Louvre, avant de gagner, en 1805, le tout neuf Institut de France.
L'ouvrage dont les maîtres d’œuvres furent Gaspard Monge (1746-1818) et Dominique-Vivant Denon (1747-1825), comporte trois parties : Antiquité, Etat moderne et Histoire naturelle. 5 volumes de planches sont consacrées à l'Antiquité ; 4 volumes de texte, 2 volumes de planches et 3 de texte à l'Etat moderne ; 3 volumes de planches et 2 volumes de texte à l'Histoire naturelle. Cette parution nécessita 211 livraisons. Elles ne furent pas régulières, car pour des raisons politiques et financières, la publication dut être interrompue cinq fois et l'ouvrage resta dépourvu de tables. C'est à Charles X que le géographe Edme-François Jomard (1777-1862), secrétaire général de la rédaction, présenta les dernières planches. Le roi offrit quelques exemplaires de cet ouvrage dont un au général de La Ferrière, relié en demi-maroquin rouge, aux plats entourés d’une frise de fleurs de lys. Le plat supérieur est orné de l’inscription suivante « Donné par le Roi au LT. Gl de LA FERRIERE, Grand Croix des Ordres Royaux de St-Louis et de la Légion d’Honneur. 1828 ». (2)
Comment ranger dans une bibliothèque, un ouvrage d’une telle dimension ? Celui du général est présenté dans une meuble-bibliothèque en chêne reposant sur quatre pieds moulurés, présentant cinq compartiments (H. 98, L. 122,5, Pr. 83 cm). En fait Jomard avait dessiné les plans d’un meuble qui pourrait être exécuté sur commande. L’ébéniste parisien Charles Morel réalisa plusieurs modèles de ce fameux meuble « retour d’Egypte ». Nous en connaissons au moins six dont un à la bibliothèque du Sénat offert par Louis-Philippe à la Chambre des Pairs, un autre dans celle de l’Assemblée nationale, un autre encore qui appartenu au Dr Clot-Bey, sans doute offert par le roi Louis-Philippe. Nous en avons la description : « Ce meuble en acajou et placage d’acajou le dessus à plateau basculant à la Tronchin est muni de deux lutrins adaptés aux dimensions des planches et gravures qui se fixent sur le plateau par un axe métallique. Il est composé d’un tiroir et de deux vantaux ; le tiroir démasque un bureau à quatre casiers ; derrière les vantaux apparaissent 14 rayonnages à roulettes. Le meuble est décoré de frises sculptés par Danton aux motifs de papyrus, cobras, bâtons liés, colonnes serpentines à chapiteaux de masques nubiens, de cartouches ailées aux armes du royaume d’Egypte. Jacob conçut aussi un meuble spécial en acajou et bronzes dorés, pour contenir cette « œuvre digne de la grande Encyclopédie du siècle des Lumières ».
Bertrand Galimard Flavigny

(1) Ed. Chamonal
(2) Celui-ci a été adjugé 26.000 €, à Cheverny, le 7 juin 2009 par la svv Philippe Rouillac

dimanche 18 décembre 2011

UN CANTIQUE DE NOËL PEUT EN CACHER UN AUTRE



Chanter Noël ! Quoi de plus naturel en cette période de l’année. Les Anglais excellent en cela grâce, notamment aux chorales de Cambridge, les Anglo-Saxons poussent plus loin la chansonnette et c’est un plaisir de les entendre autour de l’arbre décoré dans Downtown. Les chants composés autour de la date choisie de la naissance du Christ, sont apparus vers le IXe siècle. Cela alla même plus loin, car trois siècles plus tard, on mit en scène sur le parvis des églises, cette naissance avec des personnages costumés à l’instar des comédies musicales d’aujourd’hui. Puis, le temps passant, les noëls traditionnels devinrent peu à peu dépourvu de sens religieux. Ils furent peu à peu diffusés grâce à l’imprimerie. Justement, l’un des plus fameux sortit des presses en 1520 à Paris les Noëls de feu maître Lucas le Moigne, en son vivant curé de Saint-George du Pui la Garde, au diocèse de Poitou. Selon les musicologies, cet ecclésiastique utilisa les airs de 36 chansons déjà connues. Mais attention, un cantique peut en cacher un autre. Les noëls de Jean Daniel, dit maître Mitou, chapelain et organiste, publiés pour la première fois à Lyon, au cours du XVIe siècle, et souvent réimprimés, ne sont aucunement religieux, ni par le caractère familier et bouffon de ses textes, ni par la musique à laquelle ils s'adaptaient, qui était, selon leur titre « le chant de plusieurs belles chansons ». Il y avait tromperie sur le sens liturgique. Nicolas Denisot (1515-1559), un bel esprit du temps qui aimait aussi la peinture, entreprit de ramener la gravité dans les noëls. Il fit paraître au Mans [sans date] et à Paris chez la veuve Maurice de La Porte, en 1553, sous l'anagramme de son nom, le Conte d'Alsinois, les Cantiques du premier aduenement de Iesu-Christ, contenant treize chants avec la musique des airs imprimés dans le texte. De son côté, à peu près à la même époque, Nicolas Martin, « clerc de branche » à Saint-Jean de Maurienne publia à Lyon en 1555, des « noëls et chansons tant en vulgaire Françoys que Savoysiens dict Patois ». Martin et Denisot, on s’en doute, ne furent pas le seul à compiler voire composer des noëls. « Il n'y est pas fait place, ou rarement, à la prière. Ce sont des chansons de réveillons, non d'église », disent les dictionnaires musicaux. La recette était simple. On prenait des chansons populaires déjà connues sur lesquelles on mettait des paroles de son cru et on les appelait « noëls nouveaux ». Chacun se souvient de « Sur le pont d’Avignon J’ai ouï chanter la belle » ; connaît-on le cantique de noël calqué sur ces paroles : « Sur le Mont de Syon J’ai su bonne nouvelle » ? La chanson au joli titre : « Une jeune fillette/De noble cœur », qui raconte l’histoire d’une jeune fille mise au couvent contre son gré, est ainsi devenue « Une jeune pucelle De noble cœur », qui narre désormais l’histoire de la Vierge Marie ? Les danses elles-mêmes furent mises à la contribution de Noël. La plus familière car on ne s’en doute pas est « le Branle de l’Official » qui est devenu un « Carol » anglais sous le nom de Ding Dong Merrily on High. Tant en Angleterre, qu’en Nouvelle Angleterre et en Nouvelle France, dans les pays du Nord, ce chant retentit, sans que l’on s’en lasse, dans les foyers, les magasins, les rues, les églises…
L’abbé Joseph-Simon Pellegrin (1663-1745), d’abord religieux servite et aumônier de la marine, excella dans cet exercice d’adaptation. Proche de Mme de Maintenon, il put être sécularisé, ce qui lui permit d’ouvrir une boutique de madrigaux et épigrammes à caractère religieux, qu’il vendait pour toutes occasions ! Type du prêtre-crotté, il écrivait aussi pour le théâtre, afin d’arrondir ses fins de mois. Toujours est-il que ce librettiste a modifié voire modernisé plusieurs textes anciens parvenus jusqu’à nous. Le vaudeville Prends ma Philis, prends ton verre se chante désormais, grâce à lui : Cher Enfant qui vient de naître. L’abbé fit paraître la première fois en 1722, ses Noëls nouveaux sur les chants des Noëls anciens, notés pour en faciliter le chant, mais sans musique. Ce qui peut s’expliquer, car les lecteurs devaient s’en souvenir. Une nouvelle édition, datée de 1728 à 1735, fut imprimée pour Nicolas le Clerc toujours sans musique et comprenant sept recueils de noëls nouveaux et poésies spirituelles. Parmi elles, le Venez divin Messie issu de Laissez paître vos bêtes.