mercredi 22 décembre 2010

Conte de Noël



L’ANGE D’OROUX


Un petit bruit de pas à l’étage au-dessus, rompt le silence. Tout était trop calme. Pas un son à l’extérieur, comme si la nature ne parvenait pas à quitter le sommeil. Pas même le battement des ailes des canards s’élevant au-dessus du petit étang. Le vent s’est réfugié dans les hautes herbes qui l’entourent voire dans ce qui reste du feuillage des peupliers à la lisière du parc. Là-haut, le parquet craque. Les enfants se sont levés. Ils sautillent d’une chambre à l’autre. Il doit être très tôt, la lumière ne vient pas frôler les paupières de Jean. Celui-ci risque un coup d’œil, s’attendant à plonger dans la pénombre ; il s’est trompé, le jour tente de se faufiler à travers les interstices des volets. Quelle heure peut-il être ? Pas trop tard tout de même. Il se rendormirait bien, tout au moins resterait coi sous l’édredon.
La maison était bien froide lorsqu’ils sont arrivés la veille. Une flambée dans la cheminée de la grande salle, après avoir couché les enfants déjà endormis pour les plus petits, les a réunis serrés sur le canapé ou vautrés dans les fauteuils, une tasse chaude dans la main. Les brindilles et les bûches craquaient dans les flammes laissant échapper des flammeroles brûlantes heureusement arrêtées dans leur élan par le gros pare-feu.
Le passage d’un cheval au trot à l’arrière de la maison trouble le calme qui pesait dehors. Raphaël a déjà scellé Zurito, son étalon préféré. Jean repousse les couvertures et pose les pieds sur le tapis, d’un pas rapide il se dirige vers l’une des fenêtres et tire les volets intérieurs. Le temps est gris, on sent le froid. La neige est faiblement tombée cette nuit ; quelques flocons descendent timidement avant de s’effacer dans la cour. De l’autre côté, il aperçoit Zurito s’éloigner vers les champs ; sa robe se confond avec la nappe blanchâtre qui les recouvre.
Les enfants sont déjà tous réunis en bas. Ils sautent vers leur père ou oncle en poussant des cris, s’agrippant à lui, sachant qu’il ne se défendra pas sous cet assaut. La plus jeune, Marie, entoure de ses petits bras, ses jambes, la plus grande, Juliette, avec l’aide de son cousin Louis, tente de le désarçonner. Diane n’est pas en reste et le pousse par derrière. Jean est sur le point de s’écrouler lorsque la voix de l’une des mères – est-ce Pauline ou Laurence ? – intervient pour faire cesser ce chahut. En vain, le pugilat redouble et s’achève dans un effondrement général ponctué d’éclats de rire.
La maison a retrouvé un demi-calme. Les mamans sont parties faire les courses, heureuses de s’échapper complices, malgré la corvée du passage à l’hypermarché. Jean demeuré seul adulte s’est chargé avec la petite bande de dresser et décorer le sapin. Les grands sortent les santons de leur boîte, les plus petits, les boules et les guirlandes de la leur. Les baffles diffusent des Christmas songs… « Oh, regardez, il neige ! » Louis, accompagné de sa sœur se précipite vers l’une des fenêtres dans le but de ramasser des flocons. Le froid s’insinue dans la pièce à peine réchauffée. Tous veulent leur bouquet de flocons. « Où est passé l’ange ? » demande une voix. « Cherchez bien, il ne doit pas être loin ». On farfouille dans la caisse, remue les papiers de soie. L’ange est introuvable. On ne peut se passer de lui, il doit veiller sur l’étable et aller prévenir les bergers. Le sapin brille pourtant de tous ses feux colorés, clignote et remplit le rôle qui lui est alloué en cette journée. La crèche sur la desserte semble vivre comme une petite ville. Manque bien l’ange. On entend chanter O come all ye faithfull.
Chacun s’habille et se précipite dehors, on franchit le porche et court vers l’allée derrière les écuries. Au passage, on entend les chevaux racler le sol de leur box… Sans se concerter, les enfants se dirigent vers la vieille maison en ruine qui semble les attendre. Jean tente bien de les retenir se demandant quelle raison les pousse à aller se cogner, se salir, dans cette masure encombrée de détritus et de meubles brisés ? Une lumière pâle pénètre à travers les linteaux évidés et des fenêtres brisés. Dans la cheminée dont les briques noircies par un feu à jamais disparu, la cendre accumulée depuis des lustres semble rougeoyer encore. Chacun s’approche irrésistiblement attiré, les plus petits serrant la main des plus grands. Juliette et Diane n’osent plus avancer. Jean saisit de vieilles pincettes rouillées et fouille dans cet amas grisâtre. Elles heurtent quelque chose de dur : une statuette. « Oh, un ange ! » s’exclament-ils tous ensemble. Il est en plâtre et curieusement immaculé. C’est l’Ange d’Oroux qui avait disparu depuis longtemps de la crèche de l’église où l’on ne célèbre plus la messe qu’épisodiquement. Ce soir justement, un prêtre s’est annoncé.


Bertrand Galimard Flavigny
2010

mardi 21 décembre 2010

LA PRINCESSE ET LA PEUHL


« Au hasard de mes nombreux voyages sur le vieux continent, j’ai recueilli des impressions multiples, des senteurs, de la chaleur, du dégoût, de la passion. De cette terre souvent rouge, monte, comme d’un foyer oublié, des effluves qui assaillent celui qui sait saisir à pleine main cette glaise lourde et riche. Ma première impression de l’Afrique est une odeur. Un parfum lourd et sucré composé de pourritures et de poussière. Les hommes sont venus ensuite. Avec eux, j’ai cherché l’eau et décrit la sécheresse ; courbé la tête, frôlé les guerres et raconté les conflits ; erré dans le sable et rapporté l’histoire des réfugiés ; pris mon ventre à deux mains et vanté les hôpitaux de brousse ; palabré, ricané en entendant les hommes politiques et retranscrit des entretiens avec des hommes d’Etat ; goûté la saveur du soir et rêvé. De l’Ouest à l’Est, j’ai amassé tout cela, sans ordre de la même manière que l’on dépose des souvenirs dans sa vieille valise favorite couverte d’étiquettes que l’on ne peut plus utiliser car devenue malcommode ».

LA POIGNEE DE PORTE


Comme regarder à travers le trou d’une serrure, tourner une poignée de porte n’est jamais innocent, d’autant plus qu’elle ouvre sur une pièce oubliée.
Les personnages qui peuplent ces histoires étranges sont confrontés, malgré eux, au temps qui les enveloppe, les rattrape, les transporte dans un ailleurs qui reste pourtant le leur. L’auteur joue avec les époques et les lieux, il raconte des aventures qui auraient pu lui arriver comme à chacun d’entre nous. Ses carnets de voyage deviennent ainsi des rencontres, pas celles que l’on croit : celles qui nous projettent dans un ordinaire parallèle, extraordinaire. .

samedi 18 décembre 2010

LE COQ MARIN/LA MAISON DE L’HISTOIRE DE FRANCE EXISTE DEJA

Pour bâtir une maison, il convient de trouver d’abord un terrain, puis cela fait, de creuser les fondations et ensuite dresser les murs. Le reste doit venir tout seul. A condition, naturellement, de bien suivre les plans qui auront été auparavant établis. Un b.a b.a que tout entrepreneur se garderait bien de bousculer. Le cas de la « Maison de l’Histoire de France » est un peu différent. Il semblerait qu’il ne s’agisse pas de la construire puisque l’on envisage, semble-t-il, de la placer dans des murs déjà existants. On a évoqué, le plus souvent, parmi plusieurs hypothèses, l’hôtel de Soubise qui abritait encore récemment les Archives de France. Une histoire dans l’Histoire en somme.
Puisque murs il y a déjà, devrions-nous parler de mobilier ou d’aménagement, peut-être de décoration ? Il est vrai que dire « Meubles de l’Histoire de France » ferait par trop rangement. Or si de nombreux évènements de notre Histoire reposent pour l’heure dans des placards, on n’envisage tout de même pas de les fourrer, ces placards, avec ce qu’il en reste à l’extérieur.
Le terme aménagement n’est pas dans danger, car des architectes d’intérieur, dûment mandatés, pourraient placer çà et là tel ou tel « Meuble d’Histoire » en le privilégiant plutôt qu’un autre. Décoration ? Ce critère conduirait un organisateur à mettre en avant l’esthétique de certaines scènes de notre Histoire. Le dilemme est d’importance. Imaginer une Maison de l’Histoire de France revient à célébrer la gloire de notre pays.
La gloire ? Non. Toutes les gloires. Dans ce cas, pourquoi chercher à bâtir cette maison de l’Histoire, car elle existe déjà, et cela depuis près de deux cent soixante-dix ans. Mais où cela, nul n’en a parlé, l’a-t-on oubliée ? Louis-Philippe Ier, roi des Français, y avait songé le premier et y avait fait inscrire à son fronton la dédicace : « A toutes les gloires de la France ». Mais où donc ? La véritable Maison de l’Histoire de France est dans le château de Versailles.

mardi 7 décembre 2010

Ce n'est pas moi qui l'écris! C'est un blog ami! // Guide des saints et de leurs attributs


LU SUR UN BLOG AMI A PROPOS DU
GUIDE DES SAINTS ET DE LEURS ATTRIBUTS
- Reconnaître et identifier plus de 600 figures chrétiennes -
"Il est à parier, qu’à l’exemple de Saint Laurent et sa grille, saint Cécile et sa harpe, saint Jérôme et son lion, Oreste ait hérité d’un attribut qui nous permette de le reconnaître. Serait-ce un gyrophare ? On douterait à moins. On pourra toujours s'en assurer en filant jeter un œil à une publication toute récente des éditions De Vecchi, le Guide des saints et de leurs attributs . Reconnaître et identifier plus de 600 figures chrétiennes par Bertrand Galimard Flavigny. Au format de poche, ce qui est bien pratique pour arpenter les églises parisiennes ou les musées des beaux-arts de province, cet opuscule à double entrée permet astucieusement, une recherche par nom de saint et une autre par attribut. Or, Oreste ne figure pas à l’index. Mais que sont 600 élus dans la "foule immense [d'élus], que personne n'aurait pu dénombrer, de toutes les nations, tribus, peuples et dialectes" évoquée par saint Jean dans son Apocalypse! Pour tout l'or du monde, on ne se serait pas mis à la place de l’auteur qui dut trancher dans le vif du calendrier en implorant sainte Rita d’un côté et en abhorrant le format du bouquin de l’autre. A sa décharge, le nom d’Oreste au premier abord évoque plutôt le fils d’Agamemnon, le faible frère d’Electre, le meurtrier de Clytemnestre sa man-man, la proie favorite des sœurs Erynnies avec en guest-star Mégère."

LIRE LE TEXTE ENTIER daté du 2 novembre 2010 sur www.villabrowna.blogspot.com

Bertrand Galimard Flavigny Guide des saints et de leurs attributs - Reconnaître et identifier plus de 600 figures chrétiennes.
Paris, De Vecchi, 2010.
191 pp.
In-12 broché, couvertures illustrées.

mardi 30 novembre 2010

LE PREMIER « NOSTRADAMUS »


« J’annonce vérité simplement et sans pompe,/ Et mon présage vrai nullement ne me trompe », annonce Nostradamus en guise d’exergue dans une vignette fin XVIe , le représentant marchant, le doigt levé vers le ciel tandis que sa main gauche tient un astrolabe. Michel de Nostredame est né à Saint-Rémy-de-Provence le 14 décembre 1503 dans une famille juive convertie au catholicisme. Le futur astrologue dut sans cesse fuir la peste, ce qui semble-t-il l’empêcha de soutenir sa thèse en médecine, mais non d’exercer et de s’intéresser aux confitures thérapeutiques. Au début des années 1550, il commença la rédaction de ses almanachs populaires contenant des prédictions astrologiques rédigées dans un style énigmatique. Le succès de son almanach pour 1555 lui valut d’être invité à la cour par Henri II et Catherine de Médicis, puis de quitter Paris précipitamment pour une destination inconnue.
Toujours est-il qu’en 1555 parut à Lyon, chez Macé Bonhomme, la première édition des Prophéties (in-8), qui compte les quatre premières centuries (la quatrième ne comportant que cinquante-trois quatrains). Celle-là comporte 46 feuillets. Dès lors, prophétie, almanachs et autres pronostications se multiplièrent, et rencontrèrent un immense succès à travers l’Europe. La plupart de ces éditions ont été perdues. On ne connaît que trois exemplaires de l’édition originale et un seul recueil des exemplaires des Pronostications de 1558 et 1560 (Lyon, Jean Brotot & Antoine Volant, sans date [1557 & 1559]. In-8) relié en veau brun orné par Trioullet, Successeur de Petit-Simier. Le texte se compose des prédictions générales pour l’année, suivis des présages saisonniers, du calendrier lunaire et de suivis des présages saisonniers. Il prévoyait par exemple une éclipse de la Lune, de mars, à 5 h du matin devant durer 44 minutes et une du soleil, le 21 août, à 1 h 34 minutes après-midi et devant durer jusqu’à 1 h 46 minutes. On sait qu’ils ont appartenu à l’abbé Hector Rigaux (1841-1930) dont la bibliothèque a été dispersée le 17 juin 1931, puis au folkloriste Émile Nourry, plus connu sous nom de plume de Pierre Saintyves, et ensuite à Jules Thiébaud, le bibliographe de la chasse. Ils viennent de réapparaître sur les rayons de la librairie Thomas Scheler et ont été présentés à la dernière Biennale des Antiquaires, avec trois autres exemplaires « échappés à la sagacité des bibliographes », selon le mot de Michel Scognamillo, auteur d’une élégante plaquette « Nostradamus et son siècle », présentant ces éditions antérieures à 1600 (1).
La première édition des Prophéties est sans doute l’un des livres les plus lus à travers le monde. Les deux premiers cahiers contiennent l’épître adressée par l’auteur à son fils, César de Nostredame. Le texte qualifié pudiquement d’obscur, autrement dit complètement incompréhensible, « constitue, selon Michel Scognamillo, un précieux témoignage sur la personnalité et la méthode divinatoire de Nostradamus. » L’exemplaire figurant dans le catalogue de la librairie Thomas Scheler, le seul donc encore en main privée, est relié en maroquin aubergine, orné avec pièces, bande mosaïquée, fleurons dans les angles, etc. par Thierry, Successeur de Petit-Simier.
Le personnage s’inscrit dans la lignée des devins qui jalonnent l’histoire de l’humanité. Or, des prophéties, il y en a toujours eu, depuis les oracles des Sybilles, les prophéties du fameux « Merlin l'enchanteur », sans oublier celles de Malachie et combien d’autres. Nostradamus les domine tous. Il a même prédit l’avènement de Napoléon. Témoin cet ouvrage intitulé Napoléon, Premier Empereur des Français, prédit par Nostradamus par J.P.B. (Bellaud) (Paris, Desenne et Tardieu, 1806, in-12) complété par une Notice Historique sur Nostradamus par F .d.S.M. Un exemplaire relié en plein maroquin à long grain rouge orné, attribuée à Jean-Claude Bozérian, ayant appartenu à Cambacérès, a été présenté à la vente avec une estimation de 1.000 €, à Drouot le vendredi 18 juin 2010 par la svv Kapandji Morhange assistée par Christian Galantaris. On ignore qui était ce Bellaud, mais ils furent tellement nombreux à s’intéresser aux prophéties de Nostradamus et à prendre en compte ses quatrains, y compris ses détracteurs comme La première invective du seigneur Hercules le François contre Monstradamus (sic) (Lyon, Michel Jove, 1558, in-8) que l’on a pu voir à la Biennale des antiquaires !

Nostradamus en son siècle, avant-propos de Michel Scognamillo, Librairie Thomas Scheller (HC).

mardi 2 novembre 2010

Une histoire de saints pour les reconnaître

Allons consulter ce blog : http://villabrowna.blogspot.com/ et soyons sanctifiés

lundi 25 octobre 2010

UNE RELIURE « PEAUX-ROUGES »



Jacques Cartier (1491-1557), lui aussi, cherchait un passage afin de « découvrir certaines ysles et âys où l'on dit qu'il se doibt trouver grant quantité d'or et autres riches choses ». Mandaté par François Ier, ce malouin prit, le 20 avril 1534, la route de l’Ouest et parvint le 10 mai face à Terre-Neuve, puis longea le Labrador, des lieux déjà connus, et pénétra dans ce qu’il pensait être une mer intérieure. Ce fleuve qu’il appela d’abord « La grande Rivière » était le Saint-Laurent que nous connaissons. Face au littoral, Cartier constata : « Il y a des gens à ladite terre, qui sont d'assez belle corpulence, mais ils sont farouches et sauvages. Ils ont leurs cheveux liés sur leur tête, à la façon d'une poingée (sic) de foin tressé, et un clou passé parmi, ou autre chose ; ils y lient des plumes d'oiseaux. Ils se vêtent de peaux de bêtes, tant hommes que femmes ; mais les femmes sont plus closes et serrées en leurs dites peaux et ceinturées par la taille. » Au cours de cette première expédition, Cartier emmena avec lui ou les enleva, les historiens ne sont pas d’accord sur l’évènement, deux fils du chef Iroquois Dannacona, dans le dessein d’en faire des interprètes
De retour en France, le 5 septembre, le navigateur fit baptiser les deux garçons et les présenta au roi François Ier Nous connaissons cette histoire grâce au Discours du voyage fait par… J. Cartier aux terres neufves du Canada, (Paris, 1538). Ce qui n’est pas dit est sans doute l’engouement que la cour eut vis-à-vis de ces sauvages venus du Nouveau monde. L’indiamania a laissé peu de traces et les chroniques de l’époque n’en font pas état. Il en subsiste néanmoins une trace dans des reliures dites « Peaux-Rouges ». L’une d’entre elles a été adjugée 6.000 €, à Drouot, le jeudi 17 juin 2010 par la svv Audap-Mirabaud, assistée par Christian Galantaris. L’expert la décrit ainsi : « La plaque gravée, dont le cuir porte l'empreinte profondément enfoncée, se distingue par un large entrelac serti de filets dorés, dans les échancrures duquel s'inscrivent, dans la partie supérieure, le visage vu de face d'un vieil indien grimaçant coiffé d'une corbeille de fruits et doté de deux longues cornes horizontales ; sur les côtés deux profils symétriques de Peaux-Rouges aux traits accentués et largement parés de plumes sur le crâne ; au centre un visage de femme de face avec un croissant dans la chevelure et un drapé sur le buste ; il y a encore des guirlandes de fruits liées à des draperies et, dans le bas, une tête de buffle de face un peu stylisée. »
Quoiqu’un peu défraîchie, cette reliure est remarquable car on ne connaît que trois autres spécimens de la même reliure et avec, comme celui-là, des rehauts polychromes : sur les Commentaire sur le Banquet de Platon par Ficin (Poitiers, 1546) conservé à la Bibliothèque Mazarine ; sur les Heures à l'usage de Paris. (Paris, Th. Kerver, 1551) à la Bibliothèque de Versailles et sur Des guerres des Romains, par Appien, (Paris, 1552), vendu à Versailles, le 7 nov. 1993, en présence de l’expert Bernard Clavreuil. Ces reliures décorées portant ce décor ont, semble-t-il, été exécutées à Paris dès la fin de la première moitié du XVIe siècle et dans les années qui ont suivi.
Quant à l’ouvrage recouvert de ce décor, vendu en juin, il s’agit du Sommaire des Histoires du royaume de Naples… par lequel on peut congnoistre clairement les raisons de ceulx qui par cy devant l'ont querelé. (Paris, Arnoul L'Angelier, 1546, in-8), par Pandolfo Collenuccio (1444-1504), un jurisconsulte né à Pesaro, fils d’un maître de grammaire. Cette histoire de Naples, en fait un abrégé, parut, pour la première fois, en langue italienne, sous le titre Compendio delle historie del regno di Napoli (Venetia, Michele Tramezzino, 1539, in-8). Cet ouvrage connut un réel succès et a été réimprimé plusieurs fois, à partir de 1541, avec, précise le bibliographe J-Ch. Brunet, « des augmentations successives de Mambrino Roseo et de Th. Costo ». On cite ainsi au moins les éditions de 1548 et 1559. On en connaît une autre vénitienne pour Giusti, en 1613, en 3 volumes in-4.
« Quant à la traduction française, dit le bibliographe J-C. Brunet, qu’en a donnée Denis Sauvage, c’est un livre plus rare que recherché ». La reliure Peaux-Rouges, étonnante sur une histoire de Naples, lui, a apporté un petit air d’exotisme.

dimanche 17 octobre 2010

LE COQ MARIN/ CELUI QUI LE DIT, IL L’EST

Dans les cours de récréation, les petites bagarres sont sans gravité ; les mots lancés à l’occasion sont le plus souvent empreints de bon sens. Ecoutons l’une de ces petites voix lancer un qualificatif peu amène vers un autre écolier qui vient de le dénoncer pour un méfait jugé gênant pour les autres. Il y a quelques jours, Michael O’Leary, le Pdg de Rayanair traitait, non sans raison, les aiguilleurs du ciel en grève, de « bandits de grand chemin ». Si je jouais dans la même cour que le petit Michael, je lui dirais, « celui qui le dit, il l’est ». Car lui aussi, il rançonne les voyageurs. Des passagers qui se protègent comme ils le peuvent des différentes textes semés sur leur chemin, compensées – pas toujours – par des prix hors compétition. Gare à celui qui aurait un malaise à bord des avions de sa compagnie. Au cas, ou son étourdissement aurait été provoqué par une crise d’hypoglycémie, et qu’une petite collation (gâteaux et thé) lui auraient été recommandée par un médecin présent, il serait contraint de régler le coût de ces aliments. Ce qui vient d’arriver sur un vol Marseille-Edimbourg. Nous savons que cet incident ne surviendra plus, du moins sur les vols en partance de Marseille, car la compagnie Rayanair quitte Marseille afin de fuir ces bandits d’aiguilleurs du ciel en grève. Sans doute le petit Michael a-t-il peur de la concurrence sur ses propres pratiques dans la même cour de récréation ?

LE COQ MARIN/ LES BANDITS DE GRAND AIR

Durant la période médiévale et même bien plus tard, il ne faisait pas bon, emprunter des chemins déserts, à la tombée de la nuit et même en grand jour. Des bandits guettaient les voyageurs imprudents et les dépouillaient sans vergogne, les laissant le plus souvent morts que vifs. Ces pratiques ont heureusement disparu, nous ne sommes plus au Moyen-Âge, n’est-ce pas ? Oh ! de temps à autre, sur certaines autoroutes, des automobilistes se font rançonner par quelques malfrats. On évoque l’affaire en quelques lignes dans les journaux et l’on oublie. Michael O’Leary, le Pdg de Rayanair sait que les bandits de grands chemins sévissent toujours. Il vient de les désigner sous leur nom de code : « les aiguilleurs grévistes ». Nous, pauvres voyageurs de banlieue et d’autres voies ferrées en France, connaissons d’autres bandits qui prennent fréquemment des otages qui, il convient de le reconnaître, les relâchent au bout de une ou deux journées… Nous ne pouvons les nommer ici sous le nom de leur bande, car ils ont obtenu l’autorisation de pratiquer régulièrement leurs méfaits grâce à une charte nommée « constitution ». S’ils ne chauffent pas comme ceux d’Orgères, sous le Directoire, il reste qu’ils sont, à leur manière leurs descendants.

mercredi 6 octobre 2010

LE COQ MARIN/ LE DROIT D’OFFENSER

« Le Droit, le Droit ! » vociférait un juriste. Apprends-le avant d’en parler ». Le Droit est partout, comme la justice d’ailleurs. Le plus célèbre de ses composants est celui de l’homme, au pluriel, brandi en toute occasion afin de masquer une idéologie défaillante. Le droit d’ingérence possède également une bonne cote. Le droit de se taire, le bon droit et quelques autres sont inscrits dans un catalogue dans lequel on peut piocher à tout moment. Manque toutefois dans cette panoplie, le droit d’offenser.
S.S. Benoît XVI a dernièrement évoqué dans l'abbaye de Westminster, ceux qui militent contre certaines fêtes religieuses, comme celle de Noël, car elle pourrait « offenser ceux qui professent une autre religion, ou ceux qui n’en n’ont pas ». Revendiquons le droit d’offenser. Après tout il n’y a de vérité qui offense.

samedi 4 septembre 2010

LE COQ MARIN/ LA LÉGION D’HONNEUR SOUTENUE

La Légion d’honneur bénéficie depuis quelque temps d’une campagne inespérée. Elle fait l’objet de polémiques à propos d’un ministre qui a écrit au président de la République, grand maître de l’Ordre, afin d’appuyer la nomination d’un chef d’entreprise qui a priori qui avait un casier judiciaire vierge. La belle affaire ! S’il fallait publier toutes les lettres de toutes origines qui sollicitent le premier ordre national pour un tiers connu ou inconnu, nous n’aurions pas assez d’une forêt pour en fournir le papier. Il ne se passe pas de mois sans que le ruban rouge ne fasse l’objet de commentaires pour le défendre contre des irrégularités apparentes. C’est très bien, même parfait. Cela prouve que l’ordre national de la Légion d’honneur crée par Bonaparte, Premier Consul, pour récompenser les mérites civils et militaires rendus à l’Etat par les citoyens, conserve toujours et peut-être davantage, deux siècles après son institution, ses valeurs et son attrait.

dimanche 18 juillet 2010

LE SECRÉTAIRE DE DUMAS FILS



Nous ignorons sur quelle table travaillait Alexandre Dumas fils (1824-1895), lorsqu’il composait ses romans ; il a laissé une quarantaine de titres, même si l’on ne s’en souvient que d’un seul, la fameuse Dame aux camélias. Toujours est-il qu’un secrétaire qui lui a appartenu, a été récemment vendu aux enchères à Paris. Ce meuble d’époque Louis XV estampillé de Pierre Roussel, trônait dans la chambre à coucher de l’écrivain, rue Alphonse de Neuville, à Paris. Il est recouvert de laque de Coromandel, avec un placage de bois de rose, satiné et amarante, ornementation de bronze ciselé et doré ; il est orné de paons parmi des rochers et de branchages de fleurs de pivoines. La laque de Coromandel, par son relief, par la multitude et la vivacité de ses couleurs, offre de grandes qualités décoratives. Elle est, toutefois, difficile à travailler et les pièces de mobilier garnies de ce décor sont rares. Pierre Roussel (1723-1782), ébéniste parisien, connut une longue et brillante carrière. Il travailla pour le Prince de Condé et livra du mobilier pour le Palais Bourbon et le château de Chantilly.
Suivant les traces de son père Alexandre Dumas fils avait donc prit également la plume et se fit remarquer dès la parution de son premier roman : la Dame aux camélias (Paris, Alexandre Cadot, 1848. 2 vol. in-8). Cette édition originale est considérée comme presque introuvable et selon Clouzot*, peut-être le plus rare de tous les romantiques. Le dernier exemplaire que nous ayons vu passer, relié en demi-veau fauve, dos ornés de filets dorés, pièces de titre noires, tranches jaspées a été adjugé 6.000 €, à Drouot, le 28 juin 2004 par Piasa. Dumas fils adapta lui-même son roman, pour le théâtre. La pièce jouée en 1852 fut l’un des grands triomphes théâtraux du XIXe siècle. Giuseppe Verdi était présent dans la salle lors de la Première. Il s’en inspira pour composer son opéra La Traviata que l’on ne cesse de donner sur toutes les scènes du monde.
Marie Duplessis qui portait si bien la fleur de camélias a bel et bien existé. Edouard Vienot (1804- ?) a réalisé le seul portrait que l’on connaisse d’elle qui nous montre une jolie jeune femme très brune. Arrivée à Paris en 1840, Alphonsine Plessis se choisit le nouveau prénom de Marie et devint l'une des plus jolies courtisanes de la ville. Elle rivalisait en élégance avec Alice Ozy, Lola Montés, Atala Beauchêne. On voyait chez elle tous les « lions » du Jockey club, et des écrivains qui, comme Alfred de Musset et Eugène Sue, la jugeaient fort supérieure au métier qu'elle exerçait. Elle rencontra Dumas fils en 1844 et pour lui abandonna ses riches protecteurs. Cependant Dumas, après onze mois de liaison, décida de rompre et lui écrivit la lettre restée célèbre : « ... Ma chère Marie, je ne suis ni assez riche pour vous aimer comme je le voudrais, ni assez pauvre pour être aimé comme vous le voudriez... ».
Franz Liszt lui voua alors une passion très vive, qu'elle partagea, mais qui n'eut qu'un temps. Atteinte de « phtisie galopante », la santé de la belle Marie déclina, ses soupirant la délaissèrent fut peu à peu, et avec eux les subsides, ses dettes s'amplifièrent. Elle mourut âgée de 23 ans, le 3 février 1847. La vente de ses biens fit courir le Tout Paris qui s'arracha meubles, bibelots, vêtements et souvenirs. Mais « la dame aux camélias » était entrée dans la légende. Outre le roman, et l’opéra, son histoire a été portée au cinéma. Parmi les nombreuses reprises et adaptations, les cinéphiles considèrent que l'une des plus belles est Le Roman de Marguerite Gautier, film réalisé en 1937 par Georges Cukor, avec Greta Garbo et Robert Taylor.
On l’ignore souvent Alexandre Dumas, pas le père, le fils, a été membre de l’Académie française. On rapporte que c’est Victor Hugo qui fit campagne pour lui. Il fut élu le 29 janvier 1874 au deuxième fauteuil en remplacement de Pierre-Antoine Lebrun, par 22 voix contre 11 voix données à divers autres candidats. Pour l’occasion Victor Hugo, qui avait été absent de l'Académie depuis 1851, y fit sa rentrée pour voter pour son « poulain ». Celui-ci fut reçu sous la coupole, le 11 février 1875 par le comte d'Haussonville dont la réponse fut, dit-on empreinte d'une courtoise ironie.


* Guide du bibliophile français, XIX° siècle, par Marcel Clouzot, Librairie Giraud-Badin, 1996.

vendredi 2 juillet 2010

Bibliophilie/ LE PLUS RARE VOLCELEST



Les veneurs le savent ; il n’y a que cinq animaux - certains disent improprement bêtes - de vènerie : le cerf, le chevreuil, le sanglier, le lièvre et le loup. « - Vous vous trompez, monsieur. Il en existe une sixième. – Comment ! – Je l’ai chassée. – Pas en Europe du moins. – Dans ma patrie même. – Mais encore dites-nous… - Je ne puis rien vous dire… » affirme a contrario lord Bansborough, l’un des personnages de la nouvelle de Marcel Boulenger (1873-1932), Le plus rare volcelest du monde. Que signifie donc ce mot que l’on prononce vôcelet ? C’est l’empreinte des cervidés sur le sol. « C’est également le cri des veneurs quand ils revoient d’un cerf ou d’un brocard », précise le Dictionnaire cynégétique (1). Une fanfare est encore sonnée à l’occasion du volcelest qui est, en fait, l’abréviation de vois-le, ce l’est autrement dit « il fuit ».
Donc, au cours d’une soirée comptant quelques chasseurs, les convives abordèrent ce cas étrange d’un rare volcelest que, seul, l’un d’entre eux, ce lord à l’élégance complète, au geste hautain, à la dignité accusée, exerçant les fonctions de capitaine de chasse du roi George V, avait vu. « Je vivrais mille ans que j’apercevrais sans cesse devant mes yeux l’empreinte de ce pied-là ». Nous n’en dirons pas plus afin de laisser découvrir ce mystère à ceux qui n’auraient pas encore lu cette histoire. Celle-là parut pour la première fois dans un recueil de nouvelles intitulé Au Pays de Sylvie (Paris, Ollendorf, 1904). Neuf ans plus tard, en 1914, Le plus rare volcelest du monde sortait à Paris chez Devambez (in-4°) illustré par 10 illustrations hors- texte de Pierre Brissaud gravées à l'eau-forte et coloriées au pochoir par Mortier, et des têtes de page gravés en bistre sur bois par E.P. Deloche. L’ouvrage a été imprimé à 10 exemplaires (1 à 10) sur Japon des Manufactures impériales, avec une suite en noir des hors-texte sur japon à la forme, une suite des fumés sur japon et une des aquarelles de Pierre Brissaud ; et à 90 ex. (11 à 100) sur papier d’Arches. Nous n’avons vu passer récemment que deux exemplaires sur Arches dans les ventes publiques. Le premier a été adjugé 396 €, à Drouot, le 11 juin 2001 par la svv Coutau-Bégarie ; le second 480 €, à Nancy, le 5 juin 2004 par la svv Teitgen assistée par Christian Rebert. Lors de la dernière Foire internationale du livre au Grand Palais, la librairie Villa Browna en proposait un, toujours sur Arches, un des rares comportant des dessins originaux, relié en plein maroquin bleu, couvertures et dos conservés.
Une nouvelle édition vient de voir le jour à l’initiative de Didier Dantal qui l’a fait imprimer à 100 exemplaires (H.C) sur papier bouffant, à Chantilly (1) justement chanté par Boulenger dans Le pays de Sylvie, discret hommage à Gérard de Nerval. Dans sa préface l’éditeur rappelle que l’auteur pratiquait la chasse à courre à Chantilly où il vivait entre les champs de courses, le château et la forêt. Dans ce rare volcelest, on « retrouve également le goût de son temps pour le fantastique, les histoires extraordinaires ou «incertaines ». Car, nous pouvons le révéler pour finir, « il s’agit bien d’une chasse d’un type inédit – d’une chasse au centaure – et par conséquent de l’«invention» d’une nouvelle bête de vénerie ». D’Annunzio s’intéressait lui aussi aux centaures. Témoin son ouvrage La Resurrezione del Centauro (Rome, 1907) qu’il dédicacera à Boulenger, « qui sait la trace du sabot non ferré sur le sable noir » (janvier 1909) ;
Marcel Boulenger, par ailleurs auteur de près de cinquante ouvrages sont Nos Élégances (1908) « fut un admirable causeur, féru de beau langage et de querelle orthographique, qui écrivait comme il parlait ». Dans son Histoire de la littérature française, du symbolisme à nos jours Henri Clouard parue en 1949, disait de ses livres : «Qu’ils ne sont guère que chroniques à dialogues et à personnages : originaux qu’il a fait parler comme il parlait et agir comme il aurait voulu agir (…) Mais peut aideront-ils à sauver le souvenir de ce que fut la conversation en France. » La nouvelle Le plus rare volcelest du monde n’est-elle pas finalement, la transcription d’une conversation cynégétique qui demeure malgré tout mystérieuse ?


(1) par Lucien-Jean Bord et Jean-Pierre Mugg, Ed. Gerfaut, 2004 ;
(2) Ed. Horatius & Cie Chantilly.

mardi 15 juin 2010

Le coq marin/ LE FOOT SOLIDAIRE DES RETRAITES

Retraite, retraite… Ils n’ont que cela à la bouche nos dirigeants qui cherchent vainement le moyen d’éviter que toute modification importante de leurs régimes ne conduisent à une déroute électorale. Soixante-deux, soixante trois : ces années sonnent comme des comptes à rebours ; cliquètent comme des tirelires dans lesquelles il ne resterait que quelques pièces de monnaies. Comment remplir ces troncs qui ne parviennent plus à être remplis ? En demandant, notamment, une contribution aux foyers fortunés, pardi. En oubliant de rappeler que les foyers fortunés se sont éloignés sous des cieux moins ombrageux.
Nous proposerions bien une autre solution. Le football est devenu, semble-t-il, une formidable machine à fabriquer des fonds incommensurables. Les clubs se battent à coup de millions d’euros pour attraper tel ou tel joueur qui lui-même sera récompensé de bien battre des pieds par d’autres millions d’euros. Les gains obtenus au cours des rencontres, ceux des paris, les ventes des accessoires rassemblent aussi des millions d’euros. Millions plus millions, plus millions, cela fait beaucoup non ? Même en en laissant un peu afin d’alimenter le coq d’or, n’en resterait-il pas pour contribuer au paiement des retraites ?

vendredi 11 juin 2010

Le coq marin/ LE BÉNÉVOLAT CONTRE SALAIRE

La décision de Mme Boutin de renoncer à son salaire devrait, selon ses propos, faire jurisprudence. Il semblerait qu’elle n’ait pas réellement mesuré la portée de sa décision. Un adage dit que tout travail mérité salaire et à l’inverse tout salaire mérite travail. La question est de savoir si Mme Boutin effectue un véritable travail ? Dans l’affirmative, même si elle dispose par ailleurs de confortables revenus, elle n’avait pas à renoncer à sa feuille de paie. Dans la négative, elle pouvait repousser ces émoluments. Mais alors pourquoi poursuivre bénévolement sa mission ?
C’est à ce moment que la jurisprudence devient dangereuse, car si elle était suivie, elle autoriserait nombre d’employeurs, l’Etat ou non, à confier, non plus des tâches ingrates qui méritent salaires avec toute une multitude de retenues, à leurs collaborateurs, mais des missions. Les employés disparaîtraient du Code du travail, les bulletins de salaires des comptabilités des entreprises. N’existeraient plus que des chargés de mission et des missions. Le sale argent disparaîtrait et avec lui les disparités sociales.

jeudi 27 mai 2010

ON NE DÉPÈCE PAS LA JEANNE D’ARC




Avouez-le, n’avez-vous jamais été séduit par l’élégance et la beauté de certaines dames d’un certain âge ? Elles ont accueilli les effets du temps et les ont cultivés de telle manière que leur beauté naturelle s’en est trouvée magnifiée. Leur allure attire notre regard ; leur maintien les marque mieux qu’une pose ostentatoire ; leur discrétion imprègne leurs gestes. « La Jeanne d’Arc », le navire-école de la Marine Nationale, est une vieille dame. Certes, elle fend les lames de toutes les mers depuis près de cinquante ans. Elle vient de montrer, une dernière fois qu’elle avait encore des capacités techniques en atteignant la vitesse de 30 nœuds ; mais « La Jeanne » doit s’incliner, elle a fait son temps. Les gens de la Royale essuient furtivement une larme. Car elle a accueilli en son sein une quarantaine de générations de futurs officiers de marine. Chacun d’entre eux comme les autres, tous les autres, passagers, visiteurs, marins, Bretons, simplement Français, portent quelque part en lui, son image, même si elle est parfois quelque peu floue. Le porte-hélicoptère bâtiment unique s’en va. Dans quelle direction, dans quel chantier ? Sachez qu’on ne dépèce pas « La Jeanne », elle doit demeurer intacte. Alors, conduisons-là une dernière fois au large et rendons-lui les honneurs, tous les honneurs et laissons la glisser lentement, seule cette fois, dans les grands fonds.


CF (R) Bertrand Galimard Flavigny

dimanche 9 mai 2010

LES CARTES DE RENÉ CHAR



« Je ne suis ni poète, ni surréaliste, ni belge », affirmait Louis Scutenaire (1905-1987) qui était Belge, poète et surréaliste. Il est vrai que bien qu’ayant fréquenté le groupe d’André Breton et participé aux écritures automatiques, il se défendit d’être inféodé au « Pape ». Celui-ci, avec Eluard, tenta de le récupérer en l’inscrivant dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme. Scutenaire parlait de tout, il était davantage chroniqueur, cueillant les aphorismes, et surtout ses impressions personnelles. Il parlait surtout de lui et de ses obsessions érotiques : « J'ai la tête pleine de filles, et le cœur et la peau », écrivait-il dans ses Inscriptions (1964-1973) dont un exemplaire (Bruxelles, Brassa, 1981) un des 100 sur papier vergé, a été adjugé 130 €, à Bruxelles, en janvier 2006. Ces Inscriptions parurent dans une douzaine de plaquettes, puis dans cinq volumes successifs. L’écrivain n’acceptait pas le monde tel qu’il était et se disait volontiers marxiste mais de tendance Groucho. « Je veux l'égalité sociale absolue jusqu'à l'absurde parce que cet absurde le sera toujours moins que celui que je connais », lançait-il encore.
Louis Scutenaire qui avait épousé en 1930 Irène Hamoir, elle-même écrivain surréaliste sous le nom d’Irine, commença à publier en 1937, à peu près au même moment où le couple séjourna à Céreste chez René Char. De cette période, ils rapportèrent un « Poème-Veston d’intérieur indifféremment pour Scut et Irène ». René Char composa ce « poème-objet » sur sept enveloppes de bulletin de vote (9.5 x 12 cm) qu’il leur expédia sous des feuillets à en-tête de la mairie de Céreste. Cet ensemble a été adjugé 2.300 €, à Drouot, le lundi 23 novembre 2010 par la svv Binoche, Renaud, Giquello. Georges-Louis Roux, alors âgé de quinze ans a raconté dans ses Témoignages, la visite des Scutenaire-Hamoir. Cette visite fut entachée par la mort du grand-frère de Georges-Louis, René, d’une tuberculose pulmonaire. Char décida de faire publier les poèmes du jeune homme complétés par des textes de ses frères, sous le titre Quand le soir menace, qui sera inséré dans Dehors la nuit est gouvernée. Ce recueil est également le résultat d’une autre histoire.
Toujours en 1937, Char se saisit d’un « Album souvenir de l’Ile-sur-Sorgue » (Vues, Monuments, Sites, Curiosités, Costues édité par J. Brun & Cie à Carpentras, et le commenta en ajoutant à la plume le titre Le trousseau de Moulin Premier. Le poète se promène ainsi parmi les vues anciennes de sa ville natale. En face de la carte représentant une « Vue de Saint-Martin et de la Sorgue », il a écrit : « Au liège rendu par la mer/ Couleur de l’étourdissement du linge/ J’ai donné l’étape de sa source/ Le phénix du sel s’est déployé sur elle/ Elle a joui ». Et il achève ce recueil si particulier par ces mots : « Eclaireur comme tu surviens tard », suivi comme sous chaque commentaire d’une vue par : (Moulin Premier). Ce livre manuscrit, composé en novembre 1937 et dédié à Greta Knuston-Tzara (1899-1983) qui avait alors une liaison avec René Char, est en fait la première version d’un poème intitulé Moulin Premier d’où le titre de l’album de carte postale : Le trousseau de Moulin Premier. Il est conservé dans la bibliothèque Jacques Doucet. Marie-Claude Char vient de le faire éditer en fac-similé à la Table Ronde (1) ; ce qui permet au lecteur de saisir sur le vif, l’écriture et la spontanéité du poète qui s’adresse à sa maîtresse grâce à des images somme toutes banales, qui deviennent par la magie de ses mots, uniques.
René Char mit au net ce texte et aux huit strophes d’origine, y ajouta une autre. Le tout fut repris l’année suivante dans Dehors la nuit est gouvernée (G.L.M, 1938). C’est dans ce recueil que ce poème initialement intitulé Versions qu’il sera publié après quelques ajouts et remaniements sous le titre Dent prompte. Le manuscrit (10 feuillets) du Trousseau du Moulin au titre raturé et remplacé par Versions, non signé, daté « Mougins-Cérseste 1937 » a été adjugé 5.250 € le mercredi 21 avril 2010, à Paris par Christie’s.. Finalement le poème achevé sera inclus à la suite de la seconde édition de Marteau sans maître publié chez José Corti, en 1945, orné d’une pointe sèche de Pablo Picasso pour les exemplaires de tête.
Le titre est directement puisé de la tradition de la ville natale de Char. Les « moulins premiers », moulins à papier d’origine très ancienne, étaient établis sur la Sorgue dite de Velleton, dans un quartier de l’Isle-sur-Sorgue qui porte encore ce nom.

vendredi 30 avril 2010

QUE MES BIBLIOFOLIES VIVENT !


Et toujours mes "bibliofolies" ! ne pas les oublier pour qu'elles continuent à vivre, à forcer, grandir et prendre du poids et ainsi se multiplier dans les bibliothèques des amis du livre et les miens aussi par la même occasion.

Les billets de La Bibliothèque, 175 p.14 €.

mardi 27 avril 2010

NOUVELLE EDITION DE "HISTOIRE DE L'ORDRE DE MALTE


Une nouvelle édition revue et augmentée de "Histoire de l'ordre de Malte" vient de sortir dans la collection Tempus (Perrin) en librairie.

UNE HISTOIRE COMPLETE ET THEMATIQUE DE L’ORDRE DE MALTE
Depuis 1113, l’année de la promulgation d’une bulle du pape Pascal II, consacrant la congrégation de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, comme un ordre religieux, exempt de l’Eglise, jusqu’à nos jours, l’histoire de cette institution s’est confondue avec celle de l’Europe. Cette histoire-là est autant religieuse ou maritime, que militaire ou artistique. Sa vocation première, c'est-à-dire le soin donné aux malades, complétée par la défense de la foi chrétienne, par les armes durant plusieurs siècles, a été doublée par d’autres actions que nos contemporains peuvent contempler, tant à Rhodes, qu’à Malte et dans toute l’Europe. Les traces ou les marques de l’ordre de Malte, puisque c’est ainsi qu’on le nomme familièrement, sont encore présentes dans les arts. Il est aussi intéressant de savoir que le « Code Rohan », établi à la fin du XVIIIe siècle, a pu inspirer le Code civil.
Les ouvrages inspirés par l’ordre de Malte, sont nombreux. Ils évoquent des commanderies, des faits d’armes, de la vie des saintes de l’Ordre, de l’architecture. Les histoires complètes de l’Ordre sont plus rares. Sans doute, parce que neuf siècles, si riches, sont difficile à contenir dans un volume. Pour la première fois, l’aventure ou l’épopée ou simplement la mission des Hospitaliers, est abordée, dans cet ouvrage, d’une manière chronologique et thématique. Les hôpitaux et la médecine, la marine, les arts, les saints et les saintes, se détachent et complètent les chapitres plus traditionnels. Nous découvrons qu’à la suite des ingénieurs italiens qui bâtirent la cité de la Valette, des ingénieurs français, de l’école de Vauban construisirent des fortifications nouvelles. C’est ainsi que Malte peut être considérée à la fois comme un conservatoire de l’art militaire et de l’art baroque.
Des annexes donnent toutes les informations sur l’état de l’Ordre aujourd’hui, ses membres, ses costumes, ses charges et même la littérature. Une annexe est, par exemple, consacrée au « Caravage, chevalier de Malte ».
L’auteur a, également, remis en place quelques idées reçues, donnant tout son sel, à un livre, important, certes, mais qui se lit mieux qu’un roman.

Histoire de l’ordre de Malte, par Bertrand Galimard Flavigny, collection Tempus, 450 p. 10.50 €.

dimanche 11 avril 2010

BIBLIOFOLIES


le Salon international du livre ancien se déroule les 16, 17 et 18 avril 2010, sous la verrière du Grand Palais, à Paris. Voici l'occasion de reprendre en main ou de découvrir les "Bibliofolies".

Le dernier né des ouvrages des Editions La Bibliothèque « Bibliofolies », Chroniques d’un bibliophile » avait sa place toute trouvée parmi les parutions de ces Editions et plus particulièrement dans cette collection, bien connue des amateurs, « Les Billets de la Bibliothèque ». Que pouvait-on, en effet, offrir de mieux à ce recueil de chroniques bibliophiliques signées Bertrand Galimard Flavigny que ces Editions de La Bibliothèque connues et nées sous le signe de l’amour des beaux livres, des livres anciens et des bibliothèques !
Charmantes invites à la passion des livres, à la bibliophilie, aux « Bibliofolies », ce sont, en effet, plus de soixante digressions que nous offre amoureusement dans ce dernier ouvrage Bertrand Galimard Flavigny. Il nous entraîne ainsi dans ce monde un peu baroque, parfois un peu foutraque, des livres, des éditions et rééditions, dans ce monde fabuleux qu’est la bibliophilie ; glissant du livre rare ou précieux, aux éditions originales, aux livres anciens, truffés ou encore peints, cet opuscule n’est pas réservé aux seuls bibliophiles qui apprécieront bien sûr la saveur de ces pages. Ils y liront ainsi avec délice par exemple cette chronique consacrée à l’ouvrage de William Blades « Les livres et leurs ennemis » paru pour la première fois à Londres en 1880, et trois années plus tard à Paris chez A. Claudin, et dans laquelle Bertrand Galimard Flavigny nous rappelle que Voltaire réduisait à quelques dizaines de pages seulement des volumes entiers pour faire relier ensemble, véritable bibliothèque portative, ces pages arrachées ! Ou encore, cette chronique consacrée à la traduction du premier traité sur l’amour des livres composé au XIVème siècle par R.d’Aungerville de Bury, intitulé « Philobiblion », publié pour la première fois à Cologne en 1473, et dans lequel l’auteur recommandait pour le prêt des livres d’exiger en échange un gage d’une valeur supérieure !
On entre dans « Bibliofolies » comme on entrerait à pas feutrés tout emprunt de curiosité dans une belle bibliothèque, et on se surprend après avoir saisi parfois « au hasard » une chronique à la reposer pour en choisir une autre dont le titre – « un scarabée sur chenilles », « Noire tulipomania »… - comme une jolie reliure nous interpelle, nous séduit… On y apprend ainsi que l’ouvrage de Michel Déon portant le titre « Dernières nouvelles de Socrate » dont l’édition originale fut dirigée par Marie-Claude Char et illustrée par Jean Cortot est une merveille pour le bibliophile ; de même, ce projet de tableaux parisiens entre le graveur Charles Meryon et Charles Baudelaire avorté de leur vivant, mais qui verra néanmoins le jour cent quarante ans plus tard pour la plus grande joie des bibliophiles aux Editions de La Bibliothèque sous le titre « Paris 1860 ». ; ou encore, la publication du recueil « Escales » de Jean Cocteau tirée à 440 exemplaires et considérée comme l’une des impressions les plus réussies de son époque.
Témoignage de bibliophile, ce recueil se laisse lire comme un léger et savoureux divertissement. Tous les amoureux ou amateurs de livres en général ne manqueront pas de sourire en y découvrant l’histoire des parutions et traductions de « Hidalgo Don Quixote de la Mancha » de Cervantès qui dû être piqué au vif pour daigner enfin en écrire la seconde partie ! Le lecteur y croisera des lieux étranges, parfois imaginaires comme l’Isle aux hermaphrodites... Il y rencontrera également entre deux ouvrages anonymes des personnages illustres, Honoré de Balzac, Pierre Corneille, Alexandre Dumas… des oeuvres aux amours passionnelles avec notamment George Sand et Alfred de Musset…
« Bibliofolies » ravira, aussi, les collectionneurs les plus pointilleux qui pour leur part ne manqueront d’y trouver de petites curiosités notamment ce premier ouvrage imprimé en 1808 à Marseille, intitulé « Traité théorique de l’art du savonnier » et exposant les secrets de fabrication du savon de Marseille, ou ce petit traité intitulé « Instruction populaire sur le blanchissage à la vapeur, imprimée et publiée par ordre du gouvernement » publié en 1805 et que possédait Napoléon dans sa bibliothèque... Les véritables bibliomanes, enfin, ne demeureront pas en reste, et trouveront dans cet ouvrage des chroniques dignes de leur passion avec notamment la fabuleuse histoire de Jean-Népomucène-Auguste Pinchaud de Fortsas… Ce sont là, rassemblés, des récits extraordinaires du monde fabuleux de la bibliophilie, on y rit, sourit, rêve surtout… que d’aventures, de périples pour ces héros, ces compagnons fantastiques que sont les livres…
Cette « Bibliofolies » à la couverture couleur coquelicot est sans conteste un biblion savoureux par « ce presque rien », cette délicatesse de choix éditorial, qui fait des Editions La Bibliothèque une édition privilégiée des bibliophiles…On en deviendrait pour un peu Bibliotaphe !

Bertrand GALIMARD FLAVIGNY : « Bibliofolies ; Chroniques d’un bibliophile », Paris, Editions de La Bibliothèque, 2008, 172 p.

Article paru sur le site : www.lexnews.fr

mercredi 7 avril 2010

LES PASSAGERS DU VENT ET LES ESCLAVES



L’une des bandes dessinées parmi les plus mythiques de son histoire trouve sa consécration au musée de la Marine.

« A l’origine, je ne pensais pas réaliser une histoire purement marine, sans songer composer une histoire consacrée à la traite négrière », confie François Bourgeon auteur et illustrateur qui a imaginé cette histoire des « Passagers du vent » vers la moitié des années 1970, sans imaginer qu’elle deviendrait l’une des plus mythiques de celle de la bande dessinée marine et de la BD tout court, car elle rompt les digues qui la séparait de la littérature. Quatre albums devaient suivre jusqu’en 1984, puis plus rien. Le récit s’achève lorsque l’héroïne, dépouillée de tout, s’élance, sous la pluie, sur une plage de Saint-Domingue, le vendredi 29 mars 1782, en disant : » Ce jour-là, j’ai failli oublier que je n’avais, sommes toute, que dix-huit ans…et encore toute la vie devant moi ». Vingt-cinq ans plus tard, François Bourgeon vient de donner une suite à ces Passagers du vent, sous le titre La Petite-fille Bois-Caïman (1).
Le musée national de la Marine (2) présente aujourd’hui des planches originales, des objets et maquettes sortis de l’atelier de cet auteur qui a connu la mer et surtout les bâtiments de haut bord et autres navires, en lisant Le vaisseau de 74 canons, traité pratique d'art naval, 1780 par Jean Boudriot (3). Cet ouvrage est pratiquement le seul qui explique et décrit d’une manière précise l’architecture, la composition de ce type de vaisseau de ligne et également la vie à bord. « En refermant le livre, j’ai éprouvé le désir, comme lorsque l’on vient d’assister à un bon film et que l’on incite ses amis à aller le voir, de partager cet univers », dit François Bourgeon. Sans coup férir, il réalisa une maquette de la frégate baptisée « La Marie-Caroline » afin d’en apprendre et les gréements. Entre temps, il eut entre ses mains l’ouvrage de Pierre Verger, Flux et reflux de la traite des nègres entre le golfe de Bénin et Bahia de Todos Os Santos du XVII° au XIX° siècle ». C’est ainsi que s’est orienté son récit. Il découvrit dans les archives coloniales, rue Oudinot, à Paris, le plan du fort de Saint-Louis de Juda, réalisé en 1776 par l’abbé Bullet. Relevant leurs cotes, il les a reproduits en maquette, notamment pour étudier les ombres, utilisant si besoin était, des miroirs afin de suivre le déplacement des personnages. François Bourgeon est un grand lecteur qui ne cesse de croiser et recroiser les informations qu’il glane çà et là. Les maquettes font partie de ces croisements. Retrouvant des aquarelles figurant les plantations de la Louisiane au milieu du dix-neuvième siècle, l’illustrateur a su placer son décor principal de La Petite-fille Bois-Caïman.
L’histoire des Passagers du vent est double. Elle est celle d’Agnès de Roselande dont l’identité a été volée à cause d’un jeu d’enfants. Devenue, malgré elle Isabeau, dite Isa, elle se retrouve embarquée sur un vaisseau du roi. Les aventures mèneront la jeune femme en Angleterre puis en Afrique et enfin à Saint Domingue, avant que nous la retrouvions, en présence de son arrière-petite-fille, en Louisiane, au moment de la Guerre de Sécession. Nous sommes en présence d’un roman dans lequel les femmes jouent le principal rôle au centre d’un conflit qui dura, celui de la traite des noirs, jusqu’à sa suppression. François Bourgeon conduit son récit avec des allers et retours, fournissant au lecteur les explications qui lui semblent manquer un moment. Rien de linéaire chez lui, il mène pourtant à bien sa bataille pour la liberté. Les deux derniers tomes composés dans un format plus grand que celui des cinq premiers, et grâce aux nouvelles techniques avec une colorisation plus intense, et un jeu de vignettes superposées, sont, le mot n’est pas trop fort, remarquables.


(1) les Passagers du vent, « la Fille sous la dunette », « le Ponton », « l’Heure du serpent », « le Comptoir de Juda », « le Bois d’ébène », - La Petite-fille Bois-Caïman, livre 1, et 2, 70 p. ,Editions 12Bis,
(2) Musée national ce la Marine, place du Trocadéro, Paris, jusqu’au 3 mai 2010.
(3) Ed. Ancre (Nice) 4 to. 416 €.


On eut lire aussi : Bourgeon, par Christian Lejale, Ed. Imagine & Co -
– François Bourgeon, le passager du temps, par François Cortegianni, Glénat

dimanche 28 mars 2010

L’HEURE N’EST PAS CELLE QU’ON CROIT



Les Suisses se sont bien amusés, dans les années soixante-dix, lorsque la France institua les heures d’été et d’hiver. « Nous fabriquons les montres, dit l’un d’eux. Et vous, vous changez les heures ! » Depuis, l’Europe entière est passée sous le joug de cet arbitraire. Le changement d’heures est peut-être une coutume française. Avant le XIXe siècle, chaque ville y avait son heure propre, mais le développement des moyens de communication, notamment du chemin de fer, nous a obligés à adopter une heure unique. Elle fut d’abord celle du méridien de Paris. Un certain Collin publia, en 1880, une plaquette de 21 pages, intitulée : L’unification de l’heure à Paris et dans toute la France, qui faisait le tour de la question. Puis, en 1911, on s’aligna sur Greenwich. Aujourd’hui, nous nous alignons sur un décret. De ces textes qui empoisonnent la vie des citoyens et que les politiques justifient parce qu’un conseiller technique leur a prouvé que leur idée était bonne.
Bien avant tout cela, Henri Sully (1680-1729) avait étudié la Règle artificielle du temps. Son traité parut une première fois, en Autriche à Vienne, en 1714, sous ses seules initiales. Ce savant d’origine anglaise, devait créer en 1718, une manufacture d'horlogerie à Versailles. Il entreprit aussi, en 1727, la construction de la méridienne de l’église Saint-Sulpice à Paris. Cette œuvre fut achevée par l’astronome Pierre- Charles Le Monnier (1715-1799). Mais c’est son ouvrage qui l’occupait le plus. Il y revint plusieurs fois, en ajoutant, en 1717, à sa « Règle », le traité de la division naturelle et artificielle du temps, des horloges et des montres de différentes constructions, de la manière de les connoître et de les régler avec justesse. Tout ceci en près de deux cents pages. Cette édition, était, en outre, augmentée par un Extrait de la lettre du R.P. Kresa S.L. écrite à M. Williamson, Horloger du cabinet de sa Majesté Impériale du 9 janvier 1715, et par la Description d’une montre d’une nouvelle construction présentée à l’Académie royale des Sciences au mois de juin 1716. Il s’agit sans doute de son chronomètre de marine destiné à la détermination des longitudes. Une nouvelle édition sortit, en 1737, sous le même titre (1).
Aujourd’hui, tout est simple à effectuer. On nous dit : avancez d’une heure vos montres, ou, à l’inverse, reculez-la d’une heure. Et l’on gagne ou perd à chaque fois du sommeil. Tandis qu’autrefois, la longueur du temps était plus affinée. Grâce à Sully et quelques-uns autres, nous savions que la différence entre le temps solaire moyen et le temps solaire vrai était appelée « équation du temps ». Celle-là varie chaque jour et atteint –16 minutes en novembre et +14 minutes en février. Ce décalage horaire est quand même plus supportable.

(1) L’éditeur belge, Machiavel, a réimprimé cette édition, à 1000 exemplaires.

samedi 20 mars 2010

Bibliofolie / LE MOINE ET LES VAMPIRES


Les vampires sont entrés dans la quatrième édition, celle de 1762, du Dictionnaire de l’Académie française, avec cette définition : « Nom qu'on donne en Allemagne à des êtres chimériques, à des cadavres qui, suivant la superstition populaire, sucent le sang des personnes qu'on voit tomber en phthisie (sic). » Ces êtres venus de l’au-delà avaient déjà été examinés par le frère bénédictin Dom Augustin Calmet (1672-1757). Après avoir séjourné dans plusieurs abbayes de son ordre, et de multiples recherches philosophiques et théologiques en bibliothèques, il fut élu abbé de Sénone, la capitale de la principauté de Salm dans les Vosges. C’est là qu’il écrivit la Dissertation sur les apparitions des anges, des démons et des esprits et sur les revenans, et vampires de Hongrie, de Bohême, de Moravie et de Silésie (Paris, de Bure, 1746, in-12). Voltaire, après lu cet ouvrage, s’écria : « Quoi ! C’est dans notre XVIIIe siècle qu’il y a eu des vampires ! C’est après le règne des Locke, des Shaftesbury, des Trenchard, des Collins ; c’est sous le règne des d’Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos qu’on a cru aux vampires, et que le RPD Augustin Calmet, prêtre, bénédictin de la congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hidulphe, abbé de Sénone, abbaye de cent mille livres de rente, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a imprimé et réimprimé l’Histoire des Vampires, avec l’approbation de la Sorbonne, signée Marcilli ! ». Tout rationaliste qu’il était Voltaire ne manqua pas d’examiner ce traité des vampires et de l’exploiter à sa façon. Bien plus tard, le libraire Dorbon, dans son catalogue, Bibliotheca Esoterica mettait l’accent sur d'assez curieux chapitres renfermés dans l’ouvrage : "Sentiment des anciens Grecs et Latins sur le retour des Ames et sur leurs évocations par la Magie ; Evocation des Ames des trépassés ; Apparitions des Spectres ou des Démons, et des Esprits Spectres ou Démons qui causent la tempête ; Feu de S. Elme ou de S. Germain ; Apparitions d'hommes vivans à d'autres hommes vivans et éloignés […]; Les Démons sont ils gardiens des trésors cachés […] ;Morts de Hongrie qui sucent le sang des vivans […] ; Les excommuniez pourrissent ils en terre […] ; Morts qui mâchent comme des porcs dans leurs tombeaux » , etc.
La « Dissertation », très vite épuisée, fut réimprimée en 1749 à Eindieseln. Si ce "Traité" connut un succès véritable, il provoqua quelques réactions, notamment celles dom Ildephonse Cathelinot, un ami de Calmet : « Je vous dirai franchement que cet ouvrage n’est point du goût de bien des gens, et je crains qu’il ne fasse quelque brèche à la haute réputation que vous vous êtes fait jusqu’ici dans la savante littérature. En effet, comment se persuader que tout ces vieux contes dont on nous a bercés dans notre enfonce sont des vérités ? » De son côté l’abbé Nicolas Lenglet-Dufresnoy (1674-1755), un érudit polémiste qui disait de lui-même : « Je veux être franc Gaulois dans mon style, comme dans mes actions », stigmatisa le manque d’authenticité et de certitude dans l’examen des faits soulevés par Calmet. Son Traité historique et dogmatique sur les apparitions, les visions et les révélations particulières, avec des observations sur les dissertations du R.P. dom Calmet,… (Avignon ; et Paris, J.-N. Leloup, 1751. 2 vol. in-12.) est pour le moins assez violent. En toute humilité, Calmet reprit son texte, tenant compte de tous les reproches qui lui avaient été faits et sortit une nouvelle version corrigée et augmentée, toujours chez de Bure, en 1751 en 2 volumes in-12, sous le nouveau titre : Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenans de Hongrie, de Moravie, & c. […] Avec une lettre de M. le marquis de Maffei sur la magie. Ce dernier, auteur italien né à Vérone (1675-1755) fut un esprit éclairé et un érudit célèbre dans toute l’Europe. Cette nouvelle édition fut traduite en allemand à Augsbourg dès 1752 et en italien à Venise en 1756. « Je n’écris que pour des esprits raisonnables, et non prévenus qui examinent les choses sérieusement et de sang-froid », écrivit dom Calmet dans sa nouvelle préface.


Vu à la librairie Villa Browna, à Paris, un exemplaire relié en plein veau, comportant l’ex-libris gravé de Germain Barré, curé de Mouville près de Rouen, et de Monsieur [Michel] Cousin, avocat du Roi au balliage de Caus, Dieppe, affiché 950 €. - http://www.villabrowna.blogspot.com/ - www.villabrowna.com

Le « Traité » a été réédité sous le titre Dissertation sur les vampires par les Ed. Jérôme Million, 1998

mercredi 17 mars 2010

UN BON SAUVAGE DANS LA BELLE PROVINCE



Le baron de Lahontan vécut dix ans Québec, à partir de 1683 et en rapporta un récit précieux pour l’histoire du Canada.

Les voyageurs en Nouvelle France, autrement dit le Québec ont rapporté des récits qui furent repris par d’autres auteurs, à un tel point que l’on ne sait plus, parfois, qui en fut le véritable. Lors de notre visite dans le centre de conservation de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), nous avions tenu entre nos mains les Voyages dans l'Amérique septentrionnale (sic), par le baron de Lahontan, dans l’édition de 1706 à La Haye. Un exemplaire de celle de 1703 parue la même année que l’originale, a été adjugée 2.200 €, à Drouot, le lundi 7 décembre 2009 par la svv Guillaume Le Floc’h, assistée par Emmanuel de Broglie. Cet ouvrage important pour l’histoire du Canada à la fin du XVII° siècle, est également intéressant pour sa description des mœurs et des coutumes des Indiens. Comme le souligne le bibliographe Charles Chadenat (1859-1938), « les cartes et planches sont très curieuses ». Cet ouvrage est orné d’un frontispice et de 25 planches et comprend un « Petit dictionnaire de langue sauvage ». Son titre complet se décline ainsi : Nouveaux Voyages de Mr le Baron de LAHONTAN dans l'Amérique septentrionale, qui contient une relation des differens peuples qui y habitent ; la nature de leur gouvernement ; leur commerce, leurs coutumes, leur religion,&leur maniere de faire la guerre [...]. et Mémoires de l'Amérique septentrionale, ou la Suite des Voyages deMr le baron de LAHONTAN qui contiennent la description d'une grande étendüe de païs de ce continent [...]. À La Haye, Chez les Frères L'Honoré, 1703. Les deux tomes sont réunis en un volume in-12.
De son vrai nom, Louis Armand de Lom d’Arce (1666-1716), Lahontan fut le premier auteur d’une ethnologie sur l’organisation en nations politiques des différents peuples du Québec. Il débarqua en Nouvelle France, le 8 novembre 1683 et passa l’hiver sur la côte de Beaupré. « Sans mentir [...] les paysans y vivent plus commodément qu’une infinité de gentilshommes en France. Quand je dis paysans, je me trompe, il faut dire habitants, car ce titre de paysan n’est pas plus reçu ici qu’en Espagne [...] », écrivait-il le 2 mai 1684. Lahontan séjourna dix ans en Nouvelle France, après avoir atteint le lac Ontario, puis le lac Champlain, et exploré la région des Grands lacs. Il se retira ensuite en Hollande, d’où il publia ses ouvrages qui remportèrent un certain succès. Ses « Nouveaux voyages dans l’Amérique septentrionale » parurent donc, pour la première fois en 1703, à La Haye, sous son nom. Il existe une quatrième édition de cet ouvrage imprimée à Amsterdam en 1728, « pour la Vve de Boeteman ».
Selon certains, leur auteur serait en réalité Nicolas Gueudeville (1652-1721), un bénédictin de Saint-Maure défroqué, proche des philosophes, qui publiait des ouvrages polémiques. Il semblerait pourtant ou à cause de cela que ces Nouveaux voyages furent les plus lus, parmi les récits du genre, au XVIII° siècle. On attribue au même Gueudeville un autre écrit, toujours paru en 1703, les Dialogues avec un Sauvage dans l’Amérique, et dans lesquels « Lahontan » met en scène une discussion entre lui-même et un « Sauvage de bon sens » nommé Adario. Ces « dialogues » furent repris bien plus tard en n1931, par Gilbert Chinard (Paris, A. Margraff, in-8) sous le titre complet : DIALOGUES CURIEUX entre l’auteur et un sauvage de bon sens qui a voyagé et Mémoires de l’Amérique Septentrionale, orné de 7 reproductions de gravures originale hors texte.
Surnommé le « soldat inconnu des Lumières » Gueudeville s’était lui aussi établi à La Haye. Malgré la décision de l’ambassadeur du roi de France de l’interdire de séjour, il passa outre, se convertit à la religion Réformé, se maria et publia les Nouvelles des cours d’Europe de 1698 à 1710 qui remportèrent un grand succès. On lui accordait une grande originalité. Nul n’a réussit à prouver qu’il ait été le véritable auteur des voyages de Lahontan. Il semblerait qu’il ait en effet rédigé les « dialogues » qui préfigurent le mythe du bon sauvage mis en avant par Rousseau, ce qui aurait entraîné la confusion.

Bertrand Galimard Flavigny

article paru dans la Gazette de l'Hôtel Drouot du 12 mars 2010

jeudi 11 mars 2010

LE COQ MARIN (humeur) MOBILISEZ-VOUS

A quelques jours de la fin de la campagne des élections régionales, les groupements politiques – ne parlons pas de partis, leurs membres sont tellement peu nombreux au regard de la population tout entière – lancent des cris d’alarme. Il faut se battre, disent-ils.
- Contre qui ?
Contre les autres, ces gens qui ne pensent pas comme eux, mais qui leur ressemblent tant ?
- Non, contre un véritable ennemi, un autre groupe insaisissable, mouvant mais qui fait peur. - A qui ?
- Pas à la population bien qu’elle soit responsable de cette crainte qui semble agiter les responsables politiques. Ceux-là agitent des foulards rouges, oranges u verts afin d’éloigner ce monstre qui a pour nom : Abstention. Si celle-là s’impose, nous courons à la catastrophe, proclament-ils.-
Ah !
Interrogeant l’un de ces vaillants combattants, je lui demandais d’exprimer sa crainte vis-à-vis d’Elle. Il haussa les épaules et me répondit : « On s’en fout pourvu qu’on soit élu ».

lundi 8 mars 2010

CONFUCIUS, CE GÉANT



A l’occasion de la publication des Philosophies confucianistes, dans la collection de la Pléiade, nous nous sommes demandés, quand les occidentaux ont-ils eu accès à la pensée du sage chinois.


La pensée confucéenne se cristallisa au seuil de l’Empire, avant de connaître une véritable transmutation au XII° siècle, en réaction à la montée du bouddhisme et du taoïsme. Confucius (vers 551-vers 479) était le fils d’un noble Song, affirmant descendre de la dynastie royale Shang, et d’une jeune concubine. Son patronyme était Kong mais il fut familièrement appelé Qiu, ce qui signifie « colline » ; son nom social était Zhongni. Lorsqu’il commença à enseigner, on le désignait comme Kong zi (maître Kong) ; après sa mort, il devint Kong Fuzi (l’illustre maître Kong). C’est ce dernier nom, qui, latinisé par les Jésuites au XVII° siècle, a donné Confucius.
Il semblerait que fort pauvre, le jeune Kong Qiu n’ai pas fréquenté d’école, ni avoir eu de précepteur, quoique certains auteurs comme Eulalie Steens, assurent « qu’il put sans doute fréquenter une école réservée aux nobles, mais on ignore qui fut son directeur spirituel » (1). Toujours est-il que, particulièrement doué, il parvint à maîtriser les écris anciens et peu à peu à gravir les échelons de la vie publique, jusqu’à devenir ministre de la justice du duc Ding de Lu, non sans avoir été plusieurs fois envoyé en exil et avoir pérégriné dans les huit principautés de l’Empire. Pendant tout ce temps, ce géant – il aurait dépassé les deux mètres - formait des disciples et mettait au clair ces écrits anciens dont il s’était nourri, ses réflexions et ses enseignements. « Durant les deux millénaires que dura l’Empire, la vision de la fonction impériale, s’articula toujours dans un contexte confucéen », souligne encore Eulalie Steens. Il ne nous appartient pas ici de décrire, ni de résumer la pensée de Confucius. Sachons toutefois que le Lunyu, les « Entretiens », comme le soulignent Charles Le Blanc et Rémi Mathieu, traducteurs et préfaciers des Philosophes confucianistes dans la collection de La Pléiade (2), « façonna le cœur et l’esprit non seulement de la Chine, mais aussi de la Corée, du Japon et du Vietnam ». En réalité, six textes et cinq auteurs forment le socle sur lequel s’est bâti, au long des siècles, l’école de Confucius. Le Lunyu se complète par deux autres textes majeurs : le Meng zi et le Xun zi et par trois brefs traités, le Dagxue, « la grande étude », le Zhongyong, « la Pratique équilibrée », et le Xiaoking, « le Classique de la piété filiale ». Les auteurs de la collection de la Pléiade les ont traduits à partir des éditions parue à Pékin en 1954 et réimprimée à Taipei en 1972.

GRÂCE AUX JESUITES

La pensée de Confucius est parvenue en Occident grâce aux Jésuites installés en Chine dès le début du XVII° siècle. Le P. Prosper Intorcetta (1625-1696) qui, se conformant à l’usage de ses confrères avait pris le nom chinois de Yin-to-thse, et le surnom de Kiosse, fut d’abord l’éditeur de la traduction en latin par le jésuite portugais Ignace de Costa du Taï-hio, nom donné au premier livre de Confucius. Il a été imprimé à la chinoise, avec le texte original, à Kian-tchang-fou, dans la province de Kiang-si, en 1662. Le père Intorcetta publia ensuite Le Tchoung-young, traduit en latin sous le titre de Sinarum Scientia politico-moralis, qui imprimé moitié à Canton, moitié à Goa, (petit in-fol. 1669). Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832) décrit ces ouvrages, dans Les Nouveaux mélanges asiatiques (1829) : « Les douze premiers feuillets sont imprimés avec des planches de bois sur papier de Chine plié double. Les feuillets 13 à 26 sont sur papier d’Europe et en caractères mobiles, aussi bien que quatre feuillets non numérotés et ayant pour titre : Confucii vita. On voit sur la dernière page le sceau du P. Intorcetta, en anciens caractères chi¬nois, et ces mots : Goæ iterum recognitum, ac in lucem editum, et la date du 1er octobre 1669. Il semblerait qu’il existe une réimpression de Goa, faite en 1671, (in-8°). On n’en connaît aucun exemplaire. Il y en aurait une autre imprimée à Nankin en 1679. Toujours est-il que le seul exemplaire connu de l’édition de 1669, est conservé à la bibliothèque de Vienne.
La véritable première édition européenne des œuvres de Confucius est l’édition latine imprimée à Paris en 1687 pour Daniel Horthemers (in-folio) sous le titre complet : Confucius Sinarum philosophas, sive scientia sinensis latine exposita, studio et opéra PP. soc. Jesu (Prosp. Intorcetta, Christ Herdtrich, etc.) orné d’un portrait de Confucius et d’une carte gravée par François de Louvemont. Le dernier exemplaire que nous ayons vu passer en vente a été adjugé l’équivalent de 18.000 € en 1987. Cet ouvrage, largement diffusé en Europe, a eu une répercussion importante sur les intellectuels de l’époque et du siècle suivant. Presque aussitôt, l’année suivante sortait, sans nom d’auteur, la Morale de Confucius, philosophe de la Chine, à Amsterdam, chez Pierre Savouret. Cet essai n’est pas une traduction des œuvres de Confucius, mais un commentaire. Il est attribué à Jean de La Brune dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’il est l’auteur de La Vie de Charles V, duc de Lorraine et de Bar… (Amsterdam, J. Gand, 1691 ; in-12). Cette attribution est contestée par plusieurs bibliographes car La Brune était protestant et l’Avertissement qui précède le texte ne peut avoir été composé que par un catholique. On l’attribuerait de préférence au président Cousin (1627-1707) qui fut, de 1687 à 1701, le rédacteur du Journal des scavants… La Morale de Confucius est suivie par une Lettre sur la morale de Confucius par l’abbé Simon Foucher, datée du 23 janvier 1688. Ce titre a été réédité par Cazin à Paris et Valade à Londres, en 1783 (in-8) puis à Paris, à nouveau, chez Caille et Ravier en 1818.

UNE TRADUCTION INÉDITE

Il semble malaisé de définir quelle est la première traduction française des œuvres de Confucius. Il est toutefois certain que le Chou-King ou Shū Jīng, le premier des cinq livres sacrés chinois recueilli par Confucius a été traduit, revu et corrigé sur le texte chinois par le Père Antoine Gaubil, lui-même complété de l’histoire des princes omis dans le Chou-King par le M. de Guignes, plus un discours du Père de Prémare et autres annexes (Paris, N.M. Tilliard, 1770, in-4). Le Père Gaubil ne serait pourtant pas le premier à avoir interprété dans notre langue les textes du philosophe chinois. La bibliothèque de l’Arsenal conserve deux exemplaires manuscrits non signés contenant « les principes de la religion de la morale particulière et du gouvernement politique des anciens magistrats de la Chine abrégé et mis en français par M. Bernier, docteur en médecine de la Faculté de Montpellier » Selon José Frèches, auteur d’un article consacré à ce Bernier, dans la revue Persée, ses biographes ont, à tord, ignoré ces essais. François Bernier (1620-1688) un fils d’agriculteur, réussit à passer son doctorat en médecine en 1622 et voyagea dans de nombreux pays dont la Syrie, les Indes et le Cachemire. Il devint le médecin attitré du Grand Mogol, avec rang de vizir. Des intrigues de cour l’obligèrent à rentrer en France, et c’est là qu’il s’attela aux textes de Confucius, à partir de la version latine des pères jésuites : « J’ay cru que sans m’arrêter à dire tel interprète dit ceci, tel interprète dit cela, les colons ajoutent ceci et cela, ce qui rend la lecture ennuyante, principalement, principalement à nous qui demandons qu’on aille au fait et qu’on nus mène juste à ce qu’il y de bon et d’instructif », écrivait-il agacé, semble-t-il par les tours et détours des jésuites. Comme le souligne José Frèches, l’ignorance de Bernier de la langue chinoise, lui a enlevé tout scrupule et lui a permis de s’effacer devant Confucius. Est-ce pour cette raison que sa traduction n’a jamais vu le jour ? Il a tout de même publié une dizaine d’ouvrages, dont son Histoire de la dernière Révolution des Etats du Grand Mogol (Paris, 1670) et ses Lettres sur le café (Lyon, 1685) mais rien sur Confucius. Il n’appartenait pas à la Compagnie de Jésus.
Pendant ce temps, le Père François Noël (vers 1640- vers 1715) entreprenait une nouvelle traduction en latin des œuvres de Confucius, intitulée Libri classici sinensis imperii qui fut publiée à Prague en 1711. C’est à partir de cet ouvrage que l'abbé François-André-Adrien Pluquet, 1784, (Debure, 7 volumes in-18.) réalisa une traduction en français des ouvrages si chers à Confucius. Le bibliographe J-C Brunet cite David Clément auteur de la Bibliothèque curieuse, parue en 1759, selon lequel « ces pères [jésuites] ont tronqué d’une manière très sensible la traduction du philosophe chinois qu’ils ont publiée »
Après cela, nous entrâmes dans la « sphère » de Jean-Pierre Abel-Rémusat qui se pencha sur Confucius sans parti pris. Il donna le Zhōng Yóng en chinois, avec traduction latine et française, en 1817 (in-4). Ce fut ensuite le tour du Ta-hio, par Guillaume Pauthier (chinois, latin et français), en 1837 (in-8). Ce même auteur devait parachever les études sur les textes philosophiques avec la publication sous le titre complet : Confucius et Mencius, les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine traduits du Chinois (Paris, Charpentier, 1841, gr.in-8), édition qui sera reprise en 1858.



(1) Dictionnaire de la civilisation chinoise, Ed. du Rocher, 1996
(2) Philosophies confucianistes, collection de la Pléiade, Ed. Gallimard, 1536 p. 52,50 €.
Le RP Thierry Meynard (s.j) a donné au Collège de France, le 16 février 2010, une conférence sur « La première traduction des Entretiens de Confucius, en Europe »

samedi 6 mars 2010

LE COQ MARIN (humeur) – UN TOUR DANS LA CAMPAGNE

« La campagne pue ! » a lancé un vice-ministre chargé, je crois de la ville. Une découverte pour elle, pas pour nous ; nous en avons battu de la campagne depuis notre enfance. Nous en avons senti les odeurs et il est vrai qu’elles ne sont guère comparables eaux de toilettes et aux parfums qui apportent toujours, selon les petits films qui les vantent, la joie de vivre et de grandes et tendres amours. Oui, elle pue la campagne, elle empeste ceux qui s’en approchent. Ce qui est tout de même curieux, car le mot campagne vient de campania, la plaine. Cette plate étendue permet toutes les manœuvres car elle ne présente pas d’aspérité. Par quel hasard, est-il devenu synonyme d’expédition ? Les militaires et désormais les hommes politiques partent en campagne. Si les premiers en reviennent souvent avec des lauriers, les seconds y ramassent des ornions de toute sorte. A la différence des militaires qui, ayant pris un coup tombent au champ d’honneur, les politiques parviennent toujours à se relever et à quitter le champ au plus vite, laissant l’honneur sur le sol.

mardi 2 mars 2010

LETTRES DE LA JEANNE D'ARC VIII


- LE RETOUR -

Le pilote de l’hélico est particulièrement de bonne humeur ; tandis que l’engin s’incline et file, dans les airs, laissant en bas, sur la surface de l’eau, le bâtiment poursuivre sa route, il jubile. Sa voix transformée dans le casque, décrit à l’avance sa maison que nous allons survoler tout à l’heure. Il sera le premier de tous les membres de l’équipage de la Jeanne à apercevoir son toit. A-t-il prévenu sa famille ? Non, mais le simple bruit des rotors, devrait la faire sortir dans le jardin. Nous distinguons les côtes de plus en plus précises. L’écume bat les rochers, les bandes blanches s’opposent aux rocailles brunes qui cèdent la place aux champs verts cloisonnés de petites murailles grises. La Bretagne vibre sous nos pieds, comme si l’appareil demeurait immobile. « C’est là, à droite ! » entendons-nous hurler dans le casque. Une maison toute simple, ceinte d’une haie et d’un grillage. Un portique se dresse solitaire parmi les jouets oubliés. C’est l’heure de l’école, la maison est vide. Le pilote est déçu. Nous avec lui.
Au large, La Jeanne a poursuivi sa route, encore trente-six heures, elle accostera et se remettra de ses huit mois passés en mer. Nous allons à sa rencontre ; parvenue à son niveau au-dessus de la mer, la Gazelle se met en position stationnaire, le temps de prendre plusieurs photos.

Dans le téléobjectif, je vois soudain la proue prendre une taille inquiétante. Le bâtiment approche, tandis que nous sommes à l’arrêt. Un léger mouvement du manche et l’appareil s’élève au-dessus de la Jeanne qui, majestueuse, glisse en dessous de nous. Nous détaillons les moindres détails de ses structures, depuis ses quatre tourelles posées comme de gros insectes au dard vigilent, sa cheminée accotée au mât hérissé de branches, de fils et autres grillages qui sont des antennes de radar. Les « étuis à canote » tout blanc encadrent le pont d’envol et lui donnent un petit air apprêté. Les cinq cercles marqués d’un chiffre destinés à marquer la place des hélicos, font songer à un parcours de golf. Un signal, il est temps d’apponter. Le « chien jaune »* guide l’appareil à l’aide de ses gros gants blancs. Nous nous posons, l’homme croise les deux mains : c’est bon. Les hélices en profitent encore et tournent comme poussés par le vent.
Nous sentons un frémissement nouveau à bord. Le service se poursuit implacable avec ses appels dans le haut-parleur, ses alertes, ses courses dans les coursives, ses descentes ou montées dans les escaliers… Dans les postes de l’équipage, comme dans ceux des élèves-officiers, ceux qui ne sont pas de service bouclent leur sac, ajoutent des paquets. En huit mois d’absence et bon nombre d’escales, on a accumulé objets et souvenirs. Au carré des officiers subalternes, le président dudit carré pose devant lui les « attributs » de sa fonction : « la gaffe », le « brancard » et autres objets bizarres ; le plus jeune des midships se lève et lit le menu du jour – le dernier – en se conformant au cérémonial que l’on dit être immémorial, sans oublier les titres les plus ronflants, le nom du saint du jour, la fête à souhaiter le lendemain et de dire l’heure qui ne peut être que « midi, selon la montre en or massif du commandant ». Bref, le maître d’hôtel se précipite pour servir enfin, tandis que nous songeons devant la fresque qui orne la cloison, composée par Claude Schurr, peintre officiel de la marine (P.O.M) que la France n’est pas composée de superpositions colorées qui donnent un peu le tournis.
Les sacs des permissionnaires sont bouclés, les valises des élèves-officiers fermées. Les caissons ont été vidés. « Au poste de bande » ! La Jeanne doit être belle pour son retour à Brest. Les hommes et les femmes, casquette blanche et coiffe blanche sous le pompon rouge forment une longue chaîne le long de tout le bord. La musique de la flotte prend place sur le pont d’envol. La flamme de guerre claque au vent et file vers l’arrière. Le P.H.Jeanne d’Arc flanquée de sa conserve habillée dans la même tenue, franchit le Goulet et pénètre majestueuse dans la rade. Des dizaines de petits bateaux, toutes voiles dehors s’approchent pour l’escorter, les sirènes mugissent, les autres bâtiments saluent, les trilles des sifflets des boscos passent par-dessus les bords, la musique joue, quel est ce sonneur de cornemuse, le toubib ? De deux lourds canotes ont en entend des cris et l’on voit des femmes surtout et des enfants agiter les bras : les familles. Le dernier accostage de la campagne est terminé, les passerelles relient le bâtiment à la terre… (fin)



* nom donné à l‘apponteur, vêtu d’un casque et d’un chemise ou blouson jaune.

lundi 1 mars 2010

LE COQ MARIN (humeur) - Césars en toute famille -

Césars, vous avez dit Césars ? De quoi s’agit-il. Ah, oui, de cette petite réunion des membres de la famille-film. Il y avait là, le père, la mère, les frères, les sœurs et les cousins. Sur scène, les comiques, du moins les avons-nous toujours désignés ainsi, s’agitaient avec beaucoup de conviction en tentant surtout de ne jamais élever leur esprit de peur de ne pas être compris par les parents et alliés présents dans l’assemblée. On distribuait des petits prix, souvent aux mêmes, qui remerciaient leur papa, leur maman et leurs petits camarades, dans l’ordre ou le désordre. Il y eut même des larmes et des bégaiements… Bref une fête pour eux-mêmes. Il est tout de même surprenant d’apprendre que 1,7 millions de Français, ont supporté, devant leur écran de télévision, et sur la chaîne payante Canal+, diffusée en clair, de suivre ce long chapelet de sketchs dignes d’une fête d’un patronage des années 50. Cela nous rassure qu’ils furent 500 000 de moins que l'année dernière, 1, 6 million de moins qu’il y a cinq ans.
Allons, messieurs et mesdames les responsables de l’Académie des Césars, pensez d’abord aux familles des acteurs, faites un geste envers eux. Tous les primés n’ont pas d’autres mots à la bouche que pour les remercier. Louez le Parc des Prince et invitez-les également, chacun pourra s’embrasser sans le truchement de la caméra de télévision. La pelouse y trouvera son compte grâce aux larmes qui vivifieront les herbes. Cette manifestation privée évitera encore aux enfants des lauréats de se priver d’un match de foot pour suivre les exploits de leur mère-monteuse. Le but sera atteint.

LETTRES DE LA JEANNE D'ARC VII


- SOUS-MARIN EN SURFACE -

Nous sommes en exercice, certes, mais la vie à bord est semblable à celle de la veille. Dans les coursives, le même défilé des hommes se poursuit sans interruption. Cuisiniers, membres de la sécurité, secrétaires, fourriers, hommes de quart, élèves-officiers, officiers mariniers et officiers se croisent, montent ou descendent les échelles, s’interpellent, dans une rumeur ordinaire. En bas, au PC machine, on est simplement plus attentif aux ordres plus fréquents ; au PC opération, les dépêches se suivent à un rythme plus important. Sur le pont les mécanos entourent avec plus de vigilance les hélicos. Les haut-parleurs diffusent les ordres habituels. Le temps n’est pas excellent, la Jeanne roule tranquillement.
Dans l'après midi, le PC radio lance sur la passerelle un appel du Lynx : panne décelée à 30 nautiques au Nord. Le commandant saute de son fauteuil: « Montez la vitesse maximum sur 2 chaudières ». Les ordres sont répétés à voix hau¬te, des sonneries les accompagnent. La vitesse du vent est de 27 noeuds. Il faudra rabattre et donner le vent à midi au dernier moment. Sur le pont, les dispositions anticrash sont lancées. Les équipes de sécurité dans leur combinaison ignifugée, les médecins et les infirmiers dans leur tee-shirt blanc à croix rouge sont prêts. Nous distinguons depuis l’aileron à bâbord, un point dans le ciel qui grossit de plus en plus vite ; c’est lui. Chacun suit, avec une attention accrue, l’appontage. Plus de peur que de mal. A peine vingt minutes après l'appel, nous sommes revenus « au 300 » et à la vitesse moyenne de 15 noeuds. Le réel et l’exercice se côtoient à tout moment » constate le pacha, qui tente de ne pas laisser transparaître son inquiétude.
Deuxième phase. Tous les bâtiments de sur¬face deviennent Bleu, les sous marins et les avions, Orange. Nos devons assurer la protec¬tion d'un convoi figuré par quatre petits ba¬teaux se dirigeant vers les côtes du pays Bleu. Les menaces sont encore aériennes et sous¬ marines. Le principe est de déconcentrer les forces et d'effectuer des recherches dites à « grande maille », dans des secteurs donnés suc¬cessifs. En cas de guerre, les perdants mourraient. Beaucoup d’heures de veille et peu d'événe¬ments, c'est cela la situation de crise. « L'une des spécificités du marin est la durée, » me souffle le commandant en second. «Un exercice com¬me celui là aurait pu se dérouler en 36 heures et dans un espace plus restreint, note t il. Mais cela n'aurait pas été un reflet de la réalité. Il ne semble rien se passer. Il faut savoir que tout peut se dérouler très vite. Une torpille coule un bâtiment en 2 minutes ».
Un Breguet de la PATMAR (patrouille mari¬time) a repéré la Jeanne. Quelques instants plus tard des chasseurs tournent autour d'elle « afin de faire monter la pression ». N'oublions pas que nous sommes en situation de crise. Et... l'incroyable se produit. L’un des bâtiments de la force bleue « investigue » un sous marin en sur¬face. Un soviétique*. Un vrai, son pavillon flotte au sommet de sa tourelle. Les officiers présents se refusent à tout commentaire. Ne sommes¬-nous pas dans les eaux internationales ? Ce sub¬mersible de type Tango dont on ne connaît que 14 modèles aurait été mis en service en 1973. Il est très rare d'en rencontrer en surface. Subit il une avarie, recharge t il ses batteries ? Pour cer¬tains, la présence de cet « intrus », si elle n'est pas due au hasard, ne peut que valoriser l'exer¬cice en cours. « Le réel le côtoie à tout moment ». Les ailerons et la passerelle sont envahis par tous les membres du personnel qui ne sont pas de services. Les téléobjectifs sont braqués vers cette tache noirâtre qui flotte entre deux lames. Ce n’est pas tous les jours que l’on distingue de si près, l’adversaire. Les clichés pris ainsi à la sauvette constitueront le témoignage d’un souvenir insolite.
Aujourd’hui, déjeuner au « château », c'est-à-dire dans la salle à manger du commandant. Un jeune officier moqueur, me conseille de prévoir, à l’avance, un en-cas dans l’après-midi, car le pacha, adepte de la nouvelle cuisine, propose des menus qui ne nourrissent pas son homme. Il est vrai que le contraste est saisissant entre le protocole légèrement guindé de la table du maître à bord et celui plus relâché de celui des officiers mariniers supérieurs. Sortant de chez eux, nul besoin de goûter, voire de dîner. Chacun, depuis les officiers mariniers subalternes, jusqu’aux officiers supérieurs, en passant par les officiers subalternes, et l’équipage, dispose de son propre carré, avec ses usages. Nous avons eu le privilège d’être invité par tous. A quand le guide des meilleures tables de la Royale ?