vendredi 2 juillet 2010

Bibliophilie/ LE PLUS RARE VOLCELEST



Les veneurs le savent ; il n’y a que cinq animaux - certains disent improprement bêtes - de vènerie : le cerf, le chevreuil, le sanglier, le lièvre et le loup. « - Vous vous trompez, monsieur. Il en existe une sixième. – Comment ! – Je l’ai chassée. – Pas en Europe du moins. – Dans ma patrie même. – Mais encore dites-nous… - Je ne puis rien vous dire… » affirme a contrario lord Bansborough, l’un des personnages de la nouvelle de Marcel Boulenger (1873-1932), Le plus rare volcelest du monde. Que signifie donc ce mot que l’on prononce vôcelet ? C’est l’empreinte des cervidés sur le sol. « C’est également le cri des veneurs quand ils revoient d’un cerf ou d’un brocard », précise le Dictionnaire cynégétique (1). Une fanfare est encore sonnée à l’occasion du volcelest qui est, en fait, l’abréviation de vois-le, ce l’est autrement dit « il fuit ».
Donc, au cours d’une soirée comptant quelques chasseurs, les convives abordèrent ce cas étrange d’un rare volcelest que, seul, l’un d’entre eux, ce lord à l’élégance complète, au geste hautain, à la dignité accusée, exerçant les fonctions de capitaine de chasse du roi George V, avait vu. « Je vivrais mille ans que j’apercevrais sans cesse devant mes yeux l’empreinte de ce pied-là ». Nous n’en dirons pas plus afin de laisser découvrir ce mystère à ceux qui n’auraient pas encore lu cette histoire. Celle-là parut pour la première fois dans un recueil de nouvelles intitulé Au Pays de Sylvie (Paris, Ollendorf, 1904). Neuf ans plus tard, en 1914, Le plus rare volcelest du monde sortait à Paris chez Devambez (in-4°) illustré par 10 illustrations hors- texte de Pierre Brissaud gravées à l'eau-forte et coloriées au pochoir par Mortier, et des têtes de page gravés en bistre sur bois par E.P. Deloche. L’ouvrage a été imprimé à 10 exemplaires (1 à 10) sur Japon des Manufactures impériales, avec une suite en noir des hors-texte sur japon à la forme, une suite des fumés sur japon et une des aquarelles de Pierre Brissaud ; et à 90 ex. (11 à 100) sur papier d’Arches. Nous n’avons vu passer récemment que deux exemplaires sur Arches dans les ventes publiques. Le premier a été adjugé 396 €, à Drouot, le 11 juin 2001 par la svv Coutau-Bégarie ; le second 480 €, à Nancy, le 5 juin 2004 par la svv Teitgen assistée par Christian Rebert. Lors de la dernière Foire internationale du livre au Grand Palais, la librairie Villa Browna en proposait un, toujours sur Arches, un des rares comportant des dessins originaux, relié en plein maroquin bleu, couvertures et dos conservés.
Une nouvelle édition vient de voir le jour à l’initiative de Didier Dantal qui l’a fait imprimer à 100 exemplaires (H.C) sur papier bouffant, à Chantilly (1) justement chanté par Boulenger dans Le pays de Sylvie, discret hommage à Gérard de Nerval. Dans sa préface l’éditeur rappelle que l’auteur pratiquait la chasse à courre à Chantilly où il vivait entre les champs de courses, le château et la forêt. Dans ce rare volcelest, on « retrouve également le goût de son temps pour le fantastique, les histoires extraordinaires ou «incertaines ». Car, nous pouvons le révéler pour finir, « il s’agit bien d’une chasse d’un type inédit – d’une chasse au centaure – et par conséquent de l’«invention» d’une nouvelle bête de vénerie ». D’Annunzio s’intéressait lui aussi aux centaures. Témoin son ouvrage La Resurrezione del Centauro (Rome, 1907) qu’il dédicacera à Boulenger, « qui sait la trace du sabot non ferré sur le sable noir » (janvier 1909) ;
Marcel Boulenger, par ailleurs auteur de près de cinquante ouvrages sont Nos Élégances (1908) « fut un admirable causeur, féru de beau langage et de querelle orthographique, qui écrivait comme il parlait ». Dans son Histoire de la littérature française, du symbolisme à nos jours Henri Clouard parue en 1949, disait de ses livres : «Qu’ils ne sont guère que chroniques à dialogues et à personnages : originaux qu’il a fait parler comme il parlait et agir comme il aurait voulu agir (…) Mais peut aideront-ils à sauver le souvenir de ce que fut la conversation en France. » La nouvelle Le plus rare volcelest du monde n’est-elle pas finalement, la transcription d’une conversation cynégétique qui demeure malgré tout mystérieuse ?


(1) par Lucien-Jean Bord et Jean-Pierre Mugg, Ed. Gerfaut, 2004 ;
(2) Ed. Horatius & Cie Chantilly.

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