TUER UN TYRAN N’EST PAS UN MEURTRE
Les tyrans
appartiennent à l’Antiquité, les dictateurs à la période moderne. Aujourd’hui,
l’annuaire des seconds a tendance à s’épaissir. Jusqu’au XVIIe, il
était aussi mince qu’une feuille volante. « Où apparaît le premier
dictateur du type contemporain ? se demandait Jacques Bainville dans Les
Dictateurs, publié en 1935. En Angleterre. Et qu'est-ce que
l'Angleterre ? La « mère des Parlements », le pays qui a adopté
pour lui-même et, par imitation, répandu chez les autres le régime des
assemblées. Cromwell tend déjà à laisser croire que la dictature est un
phénomène qui accompagne les révolutions, la démocratie et le système
parlementaire. »
Oliver Cromwell (1599-1658) serait donc le premier dictateur des temps
modernes. Les Conventionnels ne s’y sont trompés en invectivant Robespierre,
lors de la séance du 8 Thermidor An II (26 juillet 1794), et en criant :
« A bas, à bas le Cromwell ! » et en le qualifiant de « nouveau Cromwell ». Il est
tout de même intéressant de les entendre s’invectiver et s’appuyer sur Oliver
Cromwell. Ce n’était plus Robespierre qui était le père de la Révolution et eux
ses thuriféraires, mais Cromwell, le comploteur, le régicide, l’incorruptible.
Cromwell, ce puritain radicalisé, vouait une haine profonde à Charles Ier qu’il
soupçonnait de tenter de soumettre l’Angleterre à Rome. Ses violences verbales
et guerrières dont l’Irlande catholique se souvient encore, ainsi qu’une bonne
partie de l’Angleterre et de l’Écosse, provoquèrent une parenthèse sanglante et
noire dans l’Histoire de l’Angleterre, quoiqu’il ait fait développer la marine
et le commerce et sans doute permis au Royaume Uni d’entrer dans la modernité.
Nous pourrions nous étonner qu’un tel personnage n’ait pas fait l’objet
d’attentat, de tentative de renversement ? Il eut des opposants. Notamment
Edward Sexby (1616 -1658). Ce
personnage était ce que l’on nommait un « niveleur », c'est-à-dire
appartenant à un groupe réclamant une égalité de tous devant la loi, et prônant
la communauté des biens. Sexby était surnommé « l’Oiseau tempête ».
Excédé par Cromwell, il composa un pamphlet intitulé Killing No Murder qu’il publia sous le pseudonyme de William Allen
(Londres, 1656). Cette apologie du tyrannicide recommandait l’assassinat de
Cromwell. Car tuer un tyran n’est pas un meurtre. On rapporte
que le futur Lord Protector, devant la verdeur des propos publiés et le
succès remporté par l’opuscule, ne dormit plus jamais deux nuits de suite au
même endroit et planifia minutieusement ses déplacements. Ce pamphlet, bien que
publié sous le pseudonyme de William Allen, peut être attribué aux plumes de
Silius (ou Silas) Titus (1623–1704), Edward Sexby ou celle du véritable William Allen ; soit à une savante
combinaison des trois. Titus revendiqua la paternité du texte et on y trouve
effectivement son écriture sarcastique ; il fut par ailleurs nommé plus
tard nommé par Charles II, gentilhomme de la chambre du roi. Sexby pour sa part
n’admit sa participation que sous la pression alors qu’il se mourrait
emprisonné à la Tour de Londres ; quant à William Allen, farouche opposant à
Cromwell, on a pensé qu’il avait pu l’écrire en toute liberté sachant sa mort
prochaine.
Cet ouvrage a été réimprimé avec des additions en 1659, en 1743, puis
en 1775, par les soins du petit-fils d’Algernon Sidney 2e comte
de Leicester (1622-1682) qui après avoir suivi Cromwell, s’opposa au procès de
Charles Ier et poursuivit de sa haine le Lord Protector. Il s’exila, rentra en
Angleterre lors de la Restauration, mais soupçonné d’avoir participé au complot
de la Rye-House, il fut décapité. La
première édition française de ce Killing
No Murder est parue sous le titre complet : « Traicté politique,
composé par William Allen, Anglois, et traduit nouvellement en françois, où il
est prouvé par l'exemple de Moyse, et par d'autres, tirés hors de l'écriture,
que tuer un tyran titulo vel exercitio, n'est pas un meurtre » (Lugduni,
Anno, 1658, [en fait imprimée à Compiègne pour Mercier, en 1793], In-16 carré).
Nous en avons vu un exemplaire dans une
reliure plein papier rose, pièce de titre manuscrite sur papier vergé
(1). La date de parution de cette traduction, n’est naturellement pas innocente
quoiqu’en dise le traducteur. Au contraire de Cromwell qui est mort d’une
fièvre maligne, Robespierre a été décapité. Ce n’était pas un crime.
(1) A la librairie Villa Browna (Paris), et sera présenté au
Salon international du Livre ancien au grand Palais du 26 au 29 avril 2012.
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