samedi 28 avril 2012


                               TUER UN TYRAN N’EST PAS UN MEURTRE


 
                        Les tyrans appartiennent à l’Antiquité, les dictateurs à la période moderne. Aujourd’hui, l’annuaire des seconds a tendance à s’épaissir. Jusqu’au XVIIe, il était aussi mince qu’une feuille volante. « Où apparaît le premier dictateur du type contemporain ? se demandait Jacques Bainville dans  Les Dictateurs, publié en 1935. En Angleterre. Et qu'est-ce que l'Angleterre ? La « mère des Parlements », le pays qui a adopté pour lui-même et, par imitation, répandu chez les autres le régime des assemblées. Cromwell tend déjà à laisser croire que la dictature est un phénomène qui accompagne les révolutions, la démocratie et le système parlementaire. »                  
              Oliver Cromwell (1599-1658)  serait donc le premier dictateur des temps modernes. Les Conventionnels ne s’y sont trompés en invectivant Robespierre, lors de la séance du 8 Thermidor An II (26 juillet 1794), et en criant : « A bas, à bas le Cromwell ! » et en le qualifiant  de « nouveau Cromwell ». Il est tout de même intéressant de les entendre s’invectiver et s’appuyer sur Oliver Cromwell. Ce n’était plus Robespierre qui était le père de la Révolution et eux ses thuriféraires, mais Cromwell, le comploteur, le régicide, l’incorruptible.                      
              Cromwell, ce puritain radicalisé, vouait une haine profonde à Charles Ier qu’il soupçonnait de tenter de soumettre l’Angleterre à Rome. Ses violences verbales et guerrières dont l’Irlande catholique se souvient encore, ainsi qu’une bonne partie de l’Angleterre et de l’Écosse, provoquèrent une parenthèse sanglante et noire dans l’Histoire de l’Angleterre, quoiqu’il ait fait développer la marine et le commerce et sans doute permis au Royaume Uni d’entrer dans la modernité. Nous pourrions nous étonner qu’un tel personnage n’ait pas fait l’objet d’attentat, de tentative de renversement ? Il eut des opposants. Notamment Edward Sexby (1616 -1658). Ce personnage était ce que l’on nommait un « niveleur », c'est-à-dire appartenant à un groupe réclamant une égalité de tous devant la loi, et prônant la communauté des biens. Sexby était surnommé « l’Oiseau tempête ». Excédé par Cromwell, il composa un pamphlet intitulé Killing No Murder qu’il publia sous le pseudonyme de William Allen (Londres, 1656). Cette apologie du tyrannicide recommandait l’assassinat de Cromwell. Car tuer un tyran n’est pas un meurtre.  On rapporte  que le futur Lord Protector,  devant la verdeur des propos publiés et le succès remporté par l’opuscule, ne dormit plus jamais deux nuits de suite au même endroit et planifia minutieusement ses déplacements. Ce pamphlet, bien que publié sous le pseudonyme de William Allen, peut être attribué aux plumes de Silius (ou Silas) Titus (1623–1704), Edward Sexby ou  celle du véritable  William Allen ; soit à une savante combinaison des trois. Titus revendiqua la paternité du texte et on y trouve effectivement son écriture sarcastique ; il fut par ailleurs nommé plus tard nommé par Charles II, gentilhomme de la chambre du roi. Sexby pour sa part n’admit sa participation que sous la pression alors qu’il se mourrait emprisonné à la Tour de Londres ; quant à William Allen, farouche opposant à Cromwell, on a pensé qu’il avait pu l’écrire en toute liberté sachant sa mort prochaine.                 
              Cet ouvrage a été réimprimé avec des additions en 1659, en 1743,  puis  en 1775, par les soins du petit-fils d’Algernon Sidney 2e comte de Leicester (1622-1682) qui après avoir suivi Cromwell, s’opposa au procès de Charles Ier et poursuivit de sa haine le Lord Protector. Il s’exila, rentra en Angleterre lors de la Restauration, mais soupçonné d’avoir participé au complot de la Rye-House, il fut décapité. La première édition française de ce Killing No Murder est parue sous le titre complet : « Traicté politique, composé par William Allen, Anglois, et traduit nouvellement en françois, où il est prouvé par l'exemple de Moyse, et par d'autres, tirés hors de l'écriture, que tuer un tyran titulo vel exercitio, n'est pas un meurtre » (Lugduni, Anno, 1658, [en fait imprimée à Compiègne pour Mercier, en 1793], In-16 carré). Nous en avons vu un exemplaire dans une  reliure plein papier rose, pièce de titre manuscrite sur papier vergé (1). La date de parution de cette traduction, n’est naturellement pas innocente quoiqu’en dise le traducteur. Au contraire de Cromwell qui est mort d’une fièvre maligne, Robespierre a été décapité. Ce n’était pas un crime.
                                              
(1)   A la librairie Villa Browna (Paris), et sera présenté au Salon international du Livre ancien au grand Palais du 26 au 29 avril 2012.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire