mardi 20 décembre 2011

L’INSTITUT D’EGYPTE




l'Institut d'Égypte a été ravagé par un incendie, le samedi 17 décembre 2011, au Caire La majeure partie de son fonds constitué d’environ 200.000 ouvrages n'était pas numérisée. Le lundi suivant, près de la place Tah¬rir, les 22 employés ainsi que deux membres de l'Unesco et des volontaires continuaient de mettre sous sacs plastique des pages en partie calcinées et des volumes noircis.




La fameuse phrase : Soldats, du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent", figura pour la première fois dans une Histoire de Bonaparte, premier consul, par un anonyme (en fait O. Guerlac), publié en 1803. Bonaparte ne l’aurait jamais prononcée, mais l’aurait adoptée a posteriori. La campagne d'Egypte débuta en avril 1798 et s'acheva le 14 septembre 1801 après la capitulation du général Menou à Alexandrie.
Lorsque les troupes dites de « l’Armée d’Angleterre » s’embarquèrent à Toulon, le 19 mai 1798, elles ignoraient leur destination. Le secret avait été bien gardé. On imagine la stupéfaction des soldats lorsqu’ils apprirent qu’il s’agissait de l’Egypte ! « La surprise fut si grande qu’un petit nombre seulement s’avisa que Bonaparte qui les commandait avait signé la proclamation que l’on venait de lire aux troupes de son nom suivi de la mention : « membre de l’Institut national, général en chef ».
Bonaparte avait été, en effet, élu le 25 décembre 1797 à l’Institut, au fauteuil de Lazare Carnot, mais n’y siégea n’y ne revêtit jamais l’habit vert. Une aquarelle laisse croire le contraire. Celle-là fut composée par Edouard Detaille (1848-1912). Elle représente Bonaparte revêtu de la redingote brodée, culotte à la française noire, bas noirs, les bras croisés, adossé à un bureau. On distingue sur la gauche des travées et le visage de deux ou trois membres de l’Institut. Cette scène apocryphe est entrée en mars 1997, dans les collections de l’Institut de France, après un achat à l’hôtel des ventes de Drouot.
« Triomphalement élu à l’Institut, Bonaparte poursuit habilement sa cour, signant désormais lettres et proclamations de son nouveau titre, emmenant avec lui en Egypte, Berthollet et Monge, créant au Caire un Institut calqué sur le modèle de celui de Paris, et poussant l’admiration pour les idéologues en allant jusqu’à publier une seconde Décade, égyptienne celle-là... », raconte l’historien Jean Tulard. Cet Institut d’Egypte fut fondé le 22 août 1798, avec pour but « le progrès et la propagation des Lumières ». Emanation de la Commission des sciences et des arts, emmenée par Bonaparte lors de sa campagne, il comptait 36 membres, choisis parmi ses personnalités les plus éminentes. L’Institut comprenait quatre sections de douze membres : mathématiques, physiques, économie politique, littérature et arts. Il se réunit deux fois par décade jusqu'en 1801, dans le palais Hassam Kachef. On y a traité de questions pratiques comme la fabrique de la bière sans houblon, la clarification des eaux du Nil. Et aussi débattu, ce qui fut plus important pour l’histoire des sciences, de l'explication du phénomène des mirages par Gaspard Monge et l'étude de Claude Berthollet sur les lacs de natron - d'où est extraite la soude qu'exporte l'Égypte depuis l'Antiquité -, qui a conduit à remettre en cause la thèse, dominante à l'époque, des affinités électives et à avancer l'idée novatrice d'«équilibre chimique», fondamentale pour l'avènement de la chimie moderne. Ces travaux furent publiés dans La Décade égyptienne. Cette revue prit des allures de bulletin d’information. On lança même une montgolfière, par deux fois, depuis le centre du Caire. Les Egyptiens haussèrent les épaules devant ce ballon qui s’élevait dans les airs… et retombait aussitôt. Les Musulmans furent davantage choqués par l’habit des membres de l’Institut ; il était vert, la couleur réservée aux descendants de Mahomet. Le recueil des communications de l’Institut seront publiées, sous le titre Mémoires sur l’Egypte…(P. Didot l’aîné, an VIII-an XI (1800-1803), 4 vol. in-8°, 2 cartes dépliantes, 2 tableaux dépliants). Une édition anglaise (London, R. Phillips, 1800, in-8°) fut publiée en même temps.
Si la campagne d’Egypte, entreprise insensée, ne rapporta rien sur le plan militaire, elle provoqua, en revanche, une floraison de découvertes archéologiques et une avalanche de mémoires. Philippe de Meulenaere a recensé dans sa Bibliographie raisonnée des témoignages oculaires imprimés de l'expédition d'Egypte, trois cent soixante trois ouvrages composés par autant de militaires, de médecins, chirurgiens, scientifique, ingénieurs et voyageurs français, anglais, arabes (1). Le résultat du travail de tous ces savants se retrouve dans la monumentale Description de l’Egypte, ou « recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition française ….». (Imprimerie Impériale, puis Imprimerie Royale, de 1802 à 1830).
Cette « Description » comprend 9 tomes en 10 volumes, petit in-folio de texte, orné de 36 planches, plus l’Atlas comprenant 11 tomes en 13 volumes, grand in-folio contenant 892 planches dont 72 sont coloriée. Plus de 80 artistes y ont apporté leur concours et, pour imprimer les planches, la plupart en noir, mais certaines en couleur, il a fallu employer plus de 400 graveurs ! A cause du format exceptionnellement grand des planches, Nicolas Conté a dû inventer une presse spéciale qui fut installée dès 1803 au Louvre, avant de gagner, en 1805, le tout neuf Institut de France.
L'ouvrage dont les maîtres d’œuvres furent Gaspard Monge (1746-1818) et Dominique-Vivant Denon (1747-1825), comporte trois parties : Antiquité, Etat moderne et Histoire naturelle. 5 volumes de planches sont consacrées à l'Antiquité ; 4 volumes de texte, 2 volumes de planches et 3 de texte à l'Etat moderne ; 3 volumes de planches et 2 volumes de texte à l'Histoire naturelle. Cette parution nécessita 211 livraisons. Elles ne furent pas régulières, car pour des raisons politiques et financières, la publication dut être interrompue cinq fois et l'ouvrage resta dépourvu de tables. C'est à Charles X que le géographe Edme-François Jomard (1777-1862), secrétaire général de la rédaction, présenta les dernières planches. Le roi offrit quelques exemplaires de cet ouvrage dont un au général de La Ferrière, relié en demi-maroquin rouge, aux plats entourés d’une frise de fleurs de lys. Le plat supérieur est orné de l’inscription suivante « Donné par le Roi au LT. Gl de LA FERRIERE, Grand Croix des Ordres Royaux de St-Louis et de la Légion d’Honneur. 1828 ». (2)
Comment ranger dans une bibliothèque, un ouvrage d’une telle dimension ? Celui du général est présenté dans une meuble-bibliothèque en chêne reposant sur quatre pieds moulurés, présentant cinq compartiments (H. 98, L. 122,5, Pr. 83 cm). En fait Jomard avait dessiné les plans d’un meuble qui pourrait être exécuté sur commande. L’ébéniste parisien Charles Morel réalisa plusieurs modèles de ce fameux meuble « retour d’Egypte ». Nous en connaissons au moins six dont un à la bibliothèque du Sénat offert par Louis-Philippe à la Chambre des Pairs, un autre dans celle de l’Assemblée nationale, un autre encore qui appartenu au Dr Clot-Bey, sans doute offert par le roi Louis-Philippe. Nous en avons la description : « Ce meuble en acajou et placage d’acajou le dessus à plateau basculant à la Tronchin est muni de deux lutrins adaptés aux dimensions des planches et gravures qui se fixent sur le plateau par un axe métallique. Il est composé d’un tiroir et de deux vantaux ; le tiroir démasque un bureau à quatre casiers ; derrière les vantaux apparaissent 14 rayonnages à roulettes. Le meuble est décoré de frises sculptés par Danton aux motifs de papyrus, cobras, bâtons liés, colonnes serpentines à chapiteaux de masques nubiens, de cartouches ailées aux armes du royaume d’Egypte. Jacob conçut aussi un meuble spécial en acajou et bronzes dorés, pour contenir cette « œuvre digne de la grande Encyclopédie du siècle des Lumières ».
Bertrand Galimard Flavigny

(1) Ed. Chamonal
(2) Celui-ci a été adjugé 26.000 €, à Cheverny, le 7 juin 2009 par la svv Philippe Rouillac

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