dimanche 10 mars 2013



bibliophilie
UN FORBAN EST AUSSI UN PHILOSOPHE




              Il n’était pas bon d’être républicain sous le règne de Charles X. Nous pouvons le comprendre, les relents de la Révolution répandaient encore leurs mauvaises odeurs. Le frère de louis XVI, le roi assassiné, n’était pas, non plus connu, pour son ouverture d’esprit. Quoi qu’il en soit, sitôt leur sortie de l’imprimerie, les Mémoires d’un Forban philosophe (Paris, Moutardier, 1829, in-8) furent saisies par la police. Des exemplaires ont toutefois échappé au pilon, car l’un d’entre eux, figurait récemment dans le catalogue d’une vente de livres anciens à Drouot.  
              Ce texte est naturellement anonyme. Jacques Cellard (1920-2004), indique dans son Anthologie de la littérature argotique des origines à nos jours (Éd. Mazarine, 1985) que « L'histoire de l'ouvrage est enveloppée d'obscurité. Sitôt paru, il est saisi et détruit par la police de Charles X; non pas pour des raisons de convenance sociale (l'argot et le récit lui-même), mais pour des raisons politiques. Inconnu de nous jusqu'à de meilleures recherches, l'auteur ne l'était certainement pas de la police royale, qui devait le tenir à juste titre pour un républicain dangereux ».  À lire le résumé du livre, publié dans le catalogue de l’éditeur, daté de 1835,  rien ne semble être particulièrement subversif : « Les Mémoires d'un forban philosophe ne sont autre chose que la vie d'un marin célèbre qui a passé par toutes les étamines : infamie des prisons et des galères, meurtres, crimes, trahisons, assassinats, tout s'y trouve mis au grand jour par l'auteur lui-même, qui rachète en quelque sorte ses forfaits par des réflexions philosophiques, trop hardies, sans doute, mais qui relèvent toujours son récit ». Ce sont celles-là, ces réflexions qui n’eurent pas l’heur de plaire aux services de la censure royale. Il est toutefois qualifié par  Robert-Charles Yves-Plesssis, auteur de la Bibliographie raisonnée de l’argot et de la langue verte en France du XVe au XXe siècle (1) comme « virulent et subversif est, pour partie, rédigé en argot. »
              L’auteur inconnu n’a pas désarmé après la saisie de son ouvrage. Il a repris sa copie et l’a portée chez un autre éditeur, en fait un imprimeur complaisant, qui a ôté les deux feuillets de l’avis de l’éditeur Moutardier, modifié le titre et choisi une nouvelle couverture. Ce qui donne Les Voleurs, les Mouchards et les Pendus. (Paris, chez les marchands de Nouveautés, sans date [1829]. In-8).
              Ce forban philosophe eut des lecteurs qui en ont tiré un bon profit, notamment Victor Hugo qui l’utilisa dans Les Misérables (Bruxelles, Lacroix,  1862, 10 volumes, in-8) et le Dernier Jour d'un condamné (Paris, Charles Gosselin, Libraire - Hector Bossange, Libraire, 1829. In-12). Pour préparer les dialogues argotiques des Misérables, Hugo a, comme le rapporte Jacques Cellard,  « pillé Le Forban philosophe qui est, beaucoup plus que les Mémoires ou Les Voleurs de Vidocq, sa source essentielle pour les personnages de Thénardier, de Gueulemer, de Montparnasse ou de Gavroche. Ce n'est pas un reproche : le choix était heureux, Le Forban philosophe présentant pour lui le double avantage d'être un véritable texte à situations romanesques, et d'être tombé, en 1862, dans un oubli complet. » Hugo a repris aussi l’épisode des retrouvailles, dans l'indifférence, d'un fils et d'un père, tous deux pègres (Taupin et son père pour le premier, Gavroche et Thénardier pour le second) ; et celui de l'évasion. Dans l'inventaire de la bibliothèque de Victor Hugo à Guernesey, rédigé par Julie Chenay, l'ouvrage est attribué à un certain R. Buchez.
                                                
(1)   (Paris, Daragon, 1901), tiré à 175 exemplaires, réédités par Slatkine reprint en 1968.

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