bibliophilie
UN FORBAN EST AUSSI UN PHILOSOPHE
Il n’était pas bon d’être républicain sous le règne de
Charles X. Nous pouvons le comprendre, les relents de la Révolution répandaient
encore leurs mauvaises odeurs. Le frère de louis XVI, le roi assassiné, n’était
pas, non plus connu, pour son ouverture d’esprit. Quoi qu’il en soit, sitôt
leur sortie de l’imprimerie, les Mémoires
d’un Forban philosophe (Paris, Moutardier, 1829, in-8) furent saisies par
la police. Des exemplaires ont toutefois échappé au pilon, car l’un d’entre eux,
figurait récemment dans le catalogue d’une vente de livres anciens à Drouot.
Ce texte est naturellement anonyme. Jacques Cellard (1920-2004), indique dans son Anthologie de la littérature argotique des origines à nos jours (Éd.
Mazarine, 1985) que « L'histoire de l'ouvrage est enveloppée d'obscurité.
Sitôt paru, il est saisi et détruit par la police de Charles X; non pas pour
des raisons de convenance sociale (l'argot et le récit lui-même), mais pour des
raisons politiques. Inconnu de nous jusqu'à de meilleures recherches, l'auteur
ne l'était certainement pas de la police royale, qui devait le tenir à juste
titre pour un républicain dangereux ».
À lire le résumé du livre, publié dans le catalogue de l’éditeur, daté
de 1835, rien ne semble être
particulièrement subversif : « Les Mémoires d'un forban philosophe ne
sont autre chose que la vie d'un marin célèbre qui a passé par toutes les
étamines : infamie des prisons et des galères, meurtres, crimes, trahisons,
assassinats, tout s'y trouve mis au grand jour par l'auteur lui-même, qui
rachète en quelque sorte ses forfaits par des réflexions philosophiques, trop
hardies, sans doute, mais qui relèvent toujours son récit ». Ce sont
celles-là, ces réflexions qui n’eurent pas l’heur de plaire aux services de la
censure royale. Il est toutefois qualifié par Robert-Charles Yves-Plesssis, auteur de la Bibliographie raisonnée de l’argot et de la
langue verte en France du XVe au XXe siècle (1) comme « virulent et subversif est,
pour partie, rédigé en argot. »
L’auteur inconnu n’a pas désarmé
après la saisie de son ouvrage. Il a repris sa copie et l’a portée chez un
autre éditeur, en fait un imprimeur complaisant, qui a ôté les deux feuillets
de l’avis de l’éditeur Moutardier, modifié le titre et choisi une nouvelle
couverture. Ce qui donne Les Voleurs, les
Mouchards et les Pendus. (Paris, chez les marchands de Nouveautés, sans
date [1829]. In-8).
Ce forban philosophe eut des
lecteurs qui en ont tiré un bon profit, notamment Victor Hugo qui l’utilisa
dans Les Misérables (Bruxelles, Lacroix, 1862, 10 volumes, in-8) et le Dernier Jour d'un condamné
(Paris, Charles Gosselin, Libraire - Hector Bossange, Libraire, 1829.
In-12). Pour préparer les dialogues argotiques des Misérables, Hugo a, comme le
rapporte Jacques Cellard, « pillé
Le Forban philosophe qui est,
beaucoup plus que les Mémoires ou Les
Voleurs de Vidocq, sa source essentielle pour les personnages de
Thénardier, de Gueulemer, de Montparnasse ou de Gavroche. Ce n'est pas un
reproche : le choix était heureux, Le
Forban philosophe présentant pour lui le double avantage d'être un
véritable texte à situations romanesques, et d'être tombé, en 1862, dans un
oubli complet. » Hugo a repris aussi l’épisode des retrouvailles, dans
l'indifférence, d'un fils et d'un père, tous deux pègres (Taupin et son père
pour le premier, Gavroche et Thénardier pour le second) ; et celui de
l'évasion. Dans l'inventaire de la bibliothèque de Victor
Hugo à Guernesey, rédigé par Julie Chenay, l'ouvrage est attribué à un certain
R. Buchez.
(1)
(Paris, Daragon, 1901), tiré à 175 exemplaires,
réédités par Slatkine reprint en 1968.
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