DE LA BANNIÈRE AU
DRAPEAU
Capitaine de frégate (R) Bertrand Galimard Flavigny
Je ne vous apprends
rien, le drapeau national français est bleu blanc rouge. La plupart de ceux qui
ont étudié les origines de ces couleurs nationales ont dû avouer la difficulté
de l’entreprise. Dans son Dictionnaire de l’armée de Terre, paru en
1841, le général Bardin faisait remarquer, je cite, que
« l’histoire
des couleurs nationales est une question difficile à éclaircir parce que rien
ne révèle que leur admission ou leur suppression ait tenu à un plan
déterminé ».
Cette histoire
est mêlée de légendes et de coïncidences qui ont conduit à des hypothèses. Un
certain Marius Sépet composa ainsi un essai de trois cent dix-sept pages sur le
drapeau français paru en 1873. Selon cet auteur la substitution du drapeau
blanc au drapeau bleu s’est opérée par gradations successives.
Avant d’être
doté d’un drapeau, nous avions des bannières.
La première
était la chape de saint Martin. Martin, évêque de Tours, fut le saint le plus
populaire durant la période médiévale. Sa chape provenant de la moitié de son
manteau partagée avec le pauvre d'Amiens, était conservée dans l'oratoire de la maison du roi qui lui
donna son nom: chapelle.
Lors des
expéditions militaires, les rois emportaient avec eux cette chape, comme
relique tutélaire. À quel moment, la chape de saint Martin est-elle devenue
la bannière des rois de France ? Aucun texte ne nous est parvenu sur le
sujet. Elle était destinée à protéger le
monarque et, par conséquent l'accompagnait partout où il se trouvait. Elle
devint ainsi et surtout un signe de ralliement visible par tous ceux qui
appartenaient au même camp.
Nos souverains,
à partir de Philippe Ier, vers 1160, se firent aussi précéder par l'oriflamme
de saint Denis dont on assurait qu'elle possédait des dons surnaturels.
Il s'agissait
semble-t-il d’une bannière rouge ou vermeille, supportée par un bâton doré,
découpée à sa partie inférieure en deux ou trois pointes et parsemée d'étoiles
ou de flammes d'or, d'où son nom, oriflamme.
Le dernier porte-oriflamme, Guillaume Martel, sire de Bacqueville fut tué,
en 1415 à la bataille d'Azaincourt. Cinquante ans plus tard, Louis XI se fit encore
accompagner par l'oriflamme à Saint-Denis pour aller combattre les
Bourguignons.
On sait moins
que l'enseigne des rois de France portait la croix rouge sur fond blanc. Cet
usage emprunté à Pierre Lhermite tire son origine des croisades. À l'inverse
les rois d'Angleterre arboraient la croix blanche sur fond rouge. Ces enseignes n’avaient alors aucune
signification nationale.
Ces signes
furent intervertis durant la guerre de Cent Ans. Les Bourguignons alliés des
Anglais prirent la croix rouge de saint André, les Armagnac, représentant du
parti national français, la croix blanche. Charles VII l'adopta définitivement
et la fit traverser d'azur au semis de fleur de lys d'or des ducs de France. Ce
grand étendard royal précédait encore, comme les gardes-francs de Charles VII,
les gardes françaises de Louis XV, le premier régiment de France.
Entre temps
l'héraldique avait été codifiée. Elle a trouvé ses sources dans ces bannières
et les enseignes du Haut-Moyen-âge et repose sur de "saines conceptions de
visibilité". La tapisserie de Bayeux tissée tout au début du XI° siècle,
montre des boucliers décorés et peints
qui ne constituaient pas encore des armoiries. Comme les bannières (écu de
forme rectangle dont le grand côté constitue la hauteur), ces signes peints sur
les boucliers étaient faits pour être vus de loin sur les champs de bataille et
plus tard dans les tournois. Ils marquaient
les différences de camps et évitaient que l'on se frappât dessus entre
soi.
II
À l’origine, donc dans la seconde
moitié du XII° siècle,
le mot bannière
était employé dans un sens générique regroupant les étoffes vexillaires, les
gonfanons et les bannières proprement dites. Elles ont fourni les couleurs
associées à certaines compositions
géométriques qui ont fourni les armoiries primitives. Mais les figures peintes
sur les bannières différaient de celles reproduites sur les écus. Ces dernières
étaient un emblème décoratif individuel ou familial correspondant à son goût et
non pas à des considérations symboliques comme on l'a trop souvent écrit,
tandis que les premières, les bannières,
étaient un emblème collectif de ralliement appartenant non pas à
l'individu qui en fait usage, mais au fief dont il était le possesseur. Par
ailleurs les émaux autrement dit les couleurs, répondaient à de simples
questions de goût, mais aussi à celles de la fabrication chimique et des
techniques de la peinture. Michel Pastoureau, l’un des meilleurs chercheurs en
la matière, a souligné que la rareté de
l'azur (le bleu) dans les armoiries primitives devait être rapprochée de celle
du bleu dans le costume. Ce n'est qu'à partir du règne de saint Louis que cette
couleur commença en effet à teindre les vêtements d'apparat et à figurer sur
les blasons.
Au fait qu’elle
est le premier de tous les pavillons nationaux ? C’est une oriflamme rouge
à croix latine blanche (d’argent). Cette bannière avait été approuvée en 1130,
à la demande de Raymond du Puy, maître des Hospitaliers de Saint-Jean de
Jérusalem par le pape Innocent II. Elle deviendra l’emblème de l’Ordre sur
terre comme sur mer, et constitue le premier de tous les pavillons nationaux.
Les chevaliers de cet Ordre, seuls, revêtaient pour la bataille, par-dessus
leur cote d'armes, une soubreveste en forme de dalmatique écarlate meublée
d'une croix latine de laine blanche. Cette soubreveste fut fixée par le grand-maître
Hugues de Revel (1258-1277). Dans la mêlée, ces insignes étaient "comme un
drapeau". Plus tard sur mer, on distinguait d’abord les navires de
l'Ordre par la bannière de gueule à
croix blanche. D'une façon générale, il était admis par les princes chrétiens
que l'étendard de la Religion – un surnom donné à l’Ordre - en mer devait
toujours être salué le premier. Il est à noter que la croix à huit pointes,
dite croix de Malte, est l’insigne d’appartenance à l’Ordre et non son emblème
national que nous décrivions plus haut.
Nous avons vu
que Charles VII adopta au début du XVe siècle, adopta définitivement
la croix blanche et la fit traverser d'azur au semis de fleur de lys d'or des
ducs de France. Ce fut le premier grand étendard royal. Il subsista jusqu’au xviiie siècle.
L'étendard blanc,
la cornette de France, était, quant à
elle, à l'origine, l'insigne du
colonel-général de la cavalerie. Il tenait son autorité du roi lui-même. Plus
tard, au milieu du XVIII° siècle, tous les régiments d'infanterie ou de
cavalerie possédèrent, outre leur propre drapeau, un étendard blanc. Chargé de
l'écusson de France, il devint l'enseigne de la Maison du roi - colonel-général
de toutes les armées - de l'état-major général et des troupes qui en faisaient
partie.
Le blanc est un
des signaux qui se distinguent le mieux. Louis XIV ne fit pas un caprice en
associant voire en substituant la cornette blanche au penon de France pour
signaler sa présence parmi ses troupes, mais parce que ce drapeau se
distinguait de loin.
Par ailleurs, la
plupart des pavillons de Marine étaient blancs chargés de l’écu des armes des
royaumes auxquels appartenaient les vaisseaux. Sous Louis XIII, les bâtiments
commerciaux français avaient en revanche interdiction d’arborer le pavillon
blanc, « ils ne doivent porter qu’un pavillon bleu avec la croix blanche
au milieu » c’est-à-dire la croix de France ou de saint Michel, disent les
ordonnances de l’époque.
Le caractère
particulier du pavillon blanc réservé aux vaisseaux des armées navales du roi
cessera en 1765, lorsque les navires marchands français seront autorisés à le
porter. Le pavillon blanc sera celui de la nation française en mer seulement
durant vingt-cinq ans (1765-1790) jusqu’à ce que la Révolution le fasse
modifier.
Après les
désordres du 14 juillet 1789, fut formée La Garde nationale. « Le
Comité permanent » de Paris, une
autorité de fait et non de droit, lui donna les couleurs bleu et rouge de la
ville de Paris, portée depuis la période médiévale.
Le 17 juillet à
l’Hôtel de Ville, le maire élu de Paris Jean-Sylvain Bailly, présenta à Louis XVI, la cocarde nationale. On
a raconté que le roi l’avait fixée à son chapeau. En fait, il l’aurait retenue
sur son cœur avec son chapeau.
Un an plus tard,
le 14 juillet 1790, lors de la Fête de la Fédération, les délégations des
départements étaient conduites chacune par un drapeau blanc à cravate
tricolore.
« Celles
des forces armées, conduites par une oriflamme blanche, faisaient un contraste
voulu avec la série multicolore à dominante bleu, blanc, rouge des drapeaux de
la Garde nationale », rapporte l’historien Jean Ducros.
Il en a résulté
un grand désordre. De plus en plus, à l’étranger, les navires français
arboraient des pavillons « de fantaisie ». La Constituante décida de soumettre à l’approbation du roi un
changement de pavillon français. Il ne supprimait pas le drapeau blanc. Il
devait remplacer les nombreux pavillons bleu et blanc de la marine marchande et
le pavillon blanc des vaisseaux de guerre.
C'est le premier
emblème national tricolore et pour la première fois dans l'histoire, tous les
bâtiments d'un même pays, qu'ils soient marchands ou militaires arboraient un
même pavillon national. Ce projet de pavillon national, décrété le 24 octobre
1790, prévoyaient que les trois couleurs s'inscrivent dans un cadre formé par
une bande bleue continuée de rouge, lui-même inscrit dans le côté supérieur
gauche d'un pavillon blanc.
Après la chute
de la monarchie, la Convention nationale le 27
pluviôse an II (15 février 1794) institua un pavillon aux bandes bleu blanc, rouge, « bleu au mât,
blanc au centre, et rouge flottant », imaginé par le peintre Jacques-Louis
David. Ce fut l'acte de naissance du pavillon
national actuel. Il sera arboré sur tous les vaisseaux le 1er jour de prairial
(20 mai 1794). Enfin pas par tous, puisque lors de la bataille
d’Ouessant le 13 prairial An II ou mieux
1e juin 1794, seuls le Redoutable et
la Montagne portaient
le pavillon réglementaire. Tous les autres navires sans exception
arboraient encore le pavillon blanc à
quartier tricolore.
Le pavillon tricolore, donc un pavillon de marine passa à
terre pour remplacer les flammes tricolores sur les bâtiments publics, et on le
vit sur les Tuileries lors de l'installation du Premier Consul le 19 février
1801. Cependant, les drapeaux et étendards des régiments présentèrent toutes
les formes géométriques possibles, et en particulier en 1804 un carré blanc
encadré aux coins par des triangles bleus et rouges opposés. En 1812 cependant,
les trois bandes verticales devinrent officielles pour les drapeaux carrés militaires.
La
restauration rétablit le drapeau blanc portant les grandes armes de France.
L'ère du drapeau national avait supplanté celle de la bannière sacrée. Louis-Philippe, encore Lieutenant-général du
royaume rétablit le drapeau tricolore par ordonnance
du 1er
août 1830.
Huit ans plus tard, la marine de guerre obtint pour des
raisons pratiques de visibilité, que les bandes aient sur 100 des
largeurs inégales 30 pour le bleu, 33 pour le blanc et 37 pour le rouge.
Un mot encore, La nuance des couleurs n’a jamais été
précisée dans aucun texte. Cependant, à partir de juin 1976, la nuance du bleu
en fut éclaircie afin de le rendre plus “lisible” ou plus “télégénique” tandis
que le rouge devenait plus vif.
Vous m’avez entendu évoquer simultanément les termes pavillon
et drapeau. Il convient de ne pas les confondre. Le premier est un terme de
marine, est toujours frappé à une drisse ; un drapeau est fixé sur une
hampe. Comme le drapeau des fusiliers marins, le premier qui ait été remis à
une troupe de Marine, ceci depuis le 11 janvier 1915, après la bataille de
Dixmude dont nous commémorons le centenaire.
III
Il convient de
nous replacer dans le contexte du début de la Première Guerre mondiale.
Quelques jours après le début des hostilités, constatant qu’un certain nombre
de marins étaient inemployés, l’État-major décida de constituer une nouvelle
brigade de fusiliers marins. Cette brigade était plutôt disparate ; elle
était composée de 6 500 hommes âgés de 16 à 50 ans, dont seulement quelques-uns brevetés
fusiliers. Ils étaient tous coiffés du bonnet bleu marine à houppette (le
pompon) ce qui les fit surnommer par les Parisiens : « les
Demoiselles de la Marine ».
Le commandement de cette brigade fut confié au
contre-amiral Pierre-Alexis Ronarc’h. À peine âgé de 49 ans, et, alors, le plus jeune officier général de la Marine,
il insufflera à ses hommes, un esprit de résistance hors du commun. Ces hommes
durent faire face, quelques semaines plus tard, aux côtés de 5 000 Belges et
1 200 tirailleurs sénégalais, à 40 000 Allemands dans ce que l’on
appellera la bataille de Dixmude en Belgique.
Après la
bataille de la Marne, remportée le 12 septembre 1914, les Allemands tentèrent
de contourner les armées françaises par les Flandres. Ce fut « la course à
la mer » afin de bloquer au plus vite ce contournement. La brigade de
fusiliers marins gagna la Belgique, se battit les 9, 10 et 11 octobre devant
Gand pour permettre aux troupes belges d’évacuer Anvers prise par les
Allemands, puis se rendit à Dixmude qu’elle atteignit le 15 octobre. Cette ville
était considérée comme un carrefour stratégique de routes, voies ferrées et
canaux de l’Yser. C’est là, le long de ce fleuve que les Allemands tenteront
une percée entre Nieuport et Dixmude. Nous n’allons pas ici, vous raconter le
déroulement de cette bataille qui dura du 16 octobre au 10 novembre et fut
acharnée.
Mais sachons que
le général Foch, alors commandant en chef adjoint de la zone nord, avait
adressé ses ordres à l’amiral Ronarc’h en ces termes : « Dans les
circonstances où nous sommes, la tactique que vous avez à pratiquer ne comporte
pas d’idée de manœuvre, mais simplement et au plus haut point, l’idée de
résister où vous êtes ».
Ronarc’h avait
demandé à ses hommes de tenir quatre jours, ils auront résisté trois
semaines ! Mais à quel prix : 2000 hommes tués, blessés ou disparus.
Les Sénégalais ne revinrent que 500, les Belges, 200 et les fusiliers marins
500. Les Allemands furent stoppés ; Dixmude marqua le basculement d’une
guerre de mouvement, à une guerre de positions.
Un tel exploit
méritait un drapeau. Ce fut le capitaine de vaisseau Julien Viaud, plus connu
sous le nom de Pierre Loti, qui le réclama dans un article paru dans
L’Illustration du 12 décembre 1914. Jusque là, les troupes de marine n’avaient
pas de drapeau, les bâtiments disposaient de pavillons. Le ministre de la Marine
de l’époque, Jean-Victor Augagneur signa un arrêté attribuant un drapeau aux
formations de marins qui interviennent à terre.
Ce drapeau se
distingue de ceux de l’armée de Terre, par les ancres de marine inscrites dans
les couronnes d’angles du tablier et de la cravate. On peut y lire sur son
avers : « République française, Régiment de marins » et sur son
revers : « Honneur et patrie », ainsi que « Dixmude
1914 ». Depuis ont été ajoutés dans ses plis les noms de nombreuses
batailles dans lesquelles les marins ont combattu (1). Le drapeau des fusiliers
marins est aujourd’hui le troisième drapeau le plus décoré de l’armée
française, notamment de la Légion d’honneur, de la Croix de la Libération et de
la Médaille militaire. Il est confié à l’école des fusiliers marins à Lorient.
Chef d’État-major
de la Marine, en 1919, le vice-amiral Ronarc’h quitta le service actif en 1920
et mourut à Paris en 1940.
Il devait écrire
dans ses souvenirs : « la Marine doit se tenir toujours prête à aider
l’armée, soit en Europe, soit ailleurs, et non pas seulement par des moyens
maritimes, mais en lui fournissant au besoin, à terre, des troupes solides,
bien encadrées, et bien au fait de la guerre moderne. »
Ajoutons en
citant le capitaine de vaisseau Sébastien Houël, commandant de l’école des
fusiliers marins que « le drapeau est le symbole de cohésion de la
troupe, de la gloire et du sacrifice des marins de toutes origines ».
BGF
(1)
Dixmude 1914 – Yser : 1914-1915 – Longewaede 1917
– Hailles 1918 – Moulin de Laffaux 1918 -
Bir Hakeim 1942 – Garigliano 1944 – Montefascione 1944 – Toulon 1944 –
Vosges 1944 – L’Ill 1945.
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