LA JOYEUSE GRAMMAIRE DES DAMES
Le salon international
du livre ancien qui est devenu le Salon du livre rare – de l’autographe, de
l’estampe et du dessin – organisé par le SLAM (Syndicat de la librairie
ancienne et moderne) se tiendra sous la
verrière du Grand Palais du 22 au 24 avril (1). Cette manifestation qui réunit
près d’une centaine de libraires français et étrangers et près d’une trentaine
de galeries, accueille aussi la Bibliothèque nationale de France qui présente
des ouvrages et documents peu connus tirés de ses réserves. Seront également
présents des ouvrages publiés par Louis Jou (1881-1968) « architecte du livre
et des Baux », selon la formule de Pierre Seghers ; une présentation de la
Fédération des huit villages, villes ou
cités du Livre, en France ; l’Association Culturelle des Bouquinistes des quais
de Paris ; les ateliers Moret ; les papiers du Moulin Richard de bas. Bref,
tout ce qui tourne autour de la bibliophilie, l’autographe et l’estampe. Un
monde qui n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, fermé. Si quelqu’un en douterait, des animations et
initiations sont prévues tout au long de ces quatre jours consacrés au livre.
Cette année, le Salon du
livre rare reçoit comme invité la bibliothèque « l’Heure Joyeuse » qui fut la première
bibliothèque consacrée à la jeunesse en France. Inaugurée en
1924, elle a constitué au fil des décennies un très riche fonds
patrimonial de livres pour enfants datant du XVIe siècle à nos jours (2). A
l’heure où quelques Trissotins ont entrepris de ressortir une énième réforme de
l’orthographe, en oubliant que mal parler une langue ou l’écorcher, c’est
attenter à la logique et même à la raison, il semble intéressant de se pencher
sur la grammaire. Ce mot est issu du latin grammatica, lui-même du grec
gramatikhtexnh, c’est-à-dire à proprement parler la connaissance des lettres, l'art
de lire et d'écrire, avec toutes les règles que cela suppose pour une bonne
compréhension de la langue et conforme à son usage. La triturer, la malmener et
vouloir la transformer par des édits relève en effet de la « trissotinerie » voire d’une idéologie
mal placée ; elle est suffisamment libre d’évoluer, de grandir et aussi de se
trahir. La bibliographie des grammaires est d’importance, ce qui ne doit pas
surprendre. Mais le plus curieux est
d’apprendre que la plus ancienne de nos grammaires françaises Lesclarcissement
de la langue francoyse, (John Haukyns, 1530, in-folio gothique) a été écrite en… anglais par John Palsgrave (1480-1551), « natyf de
Londres, et gradue à Paris ». Ce qui n’a pas lieu d’être étonnant, car l’élite
anglaise était francophone. Ce traité comporte plus de 1000 pages (3).
S’il semble donc utile à quelques lexicographes de réformer la
langue, encore convient-il de la connaître et au moins de l’enseigner. Sans
remonter jusqu’à Plutarque dont l’édition princeps de son traité « d’Education
et nourriture des enfants » fut imprimé à Paris, en 1509, nous pensons
immédiatement, en songeant aux « livres d’éducation », à celui destiné à Henri
de Bourgogne, composé par Erasme (1467-1536), De Civilitate morum puerilium
(Bâle, 1530, in-8), qui servit de références à plusieurs générations. À propos
de l’apprentissage de la lecture, nous n’en citerons qu’un sortant de
l’ordinaire, mais qui pourrait peut-être aujourd’hui être utile dans bon nombre
de classes primaires. Grammaire des dames, où l'on trouvera des principes sûrs
& faciles, pour apprendre à orthographier correctement la langue française,
avec les moyens de connaître les expressions provinciales, de les éviter, &
de prévenir, chez les jeunes demoiselles, l'habitude d'une prononciation
vicieuse, dédiée à Son Altesse sérénissime madame la princesse de Lambale
(sic), surintendante de la maison de la reine. Par Mr. De P*** [Prunay],
chevalier de l'ordre royal & militaire de St Louis. (Paris, Lottin l'aîné,
1777, in-12). Le frontispice gravé par Duclos montre des demoiselles à
l’ouvrage. Outre l’orthographe, on trouve dans ce volume des conseils pour la
correspondance et l’art de bien parler, bref tout ce qui forme le bon ton.
Le chapitre sur les « expressions
provinciales à éviter » est savoureux : à la cour, on ne dit pas apprentisse
maie apprentie ; « avé moi » mais « avec moi », cacaphonie mais cacophonie,
Missipipi mais Mississipi, tant pire mais tant pis, &c. »
(1) www.salondulivrerare.fr
(2) Fonds patrimonial
Heure Joyeuse - Médiathèque Françoise Sagan, 8, rue Léon Schwartzenberg, 75010
Paris. bibliotheque.heurejoyeuse-patrimoine@paris.fr
(3) Réédité
pour la première fois en 1852 par
l’Imprimerie nationale, une nouvelle traduction a été éditée en 1972, par la Librairie Honoré Champion,
(4) Présenté
par la librairie Villa Browna, Paris.
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