dimanche 15 mai 2016



SELON L’ÉGALITÉ DES SEXES


                        François Poullain de la Barre (1647-1723) étudia pour commencer la philosophie, les belles-lettres et la théologie. Quoi de plus naturel pour un futur prêtre. Nommé curé de paroisse à Flamengrie près de Laon, il exerça son ministère avec toute la foi qui l’animait. Cet ecclésiastique aimait toutefois les femmes, non pas selon leur matérialité charnelle, mais leur esprit. La fameuse maxime que les féministes ont reprise à l’envie, « L’esprit n’a pas de sexe », est de lui. Convaincu que les femmes étaient victimes de préjugés sociaux, il composa un traité fondé  sur le postulat de Descartes, à savoir le dualisme de l'âme et du corps. Cet ouvrage  intitulé : De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugez parut anonymement en 1673,  à Paris  chez  Jean Du Puis (in-12) (1).
                        Dans cet essai, l’auteur y démontrait que l’inégalité de traitement que subissent les femmes n’avait pas de fondement naturel, mais procédait d’un préjugé culturel. Il préconisait que les femmes reçoivent une véritable éducation, mais aussi de leur ouvrir toutes les carrières, y compris les carrières scientifiques : « Les aptitudes étant de tout point semblable, il faut bien reconnaître que l'intelligence n'a pas de sexe. Les deux sexes ont donc un droit égal sur les sciences, et les femmes peuvent apprendre la métaphysique, la physique, la médecine, la logique, les mathématiques, l'astronomie, la grammaire, l'éloquence, la morale, la politique, la géographie, l'histoire profane, l'histoire ecclésiastique, la théologie, le droit civil et le droit canon. Ce n'est pas tout : elles ne sont pas moins capables que les hommes des emplois de la société. Donc elles peuvent enseigner, elles peuvent être reines, générales d'armées (sic), elles peuvent enfin exercer les charges de judicature. »
                         De l’égalité des deux sexes remporta un certain succès, quoiqu’un peu sulfureux pour un homme d’église.  On cite généralement une seconde édition, publiée chez le même éditeur Dupuis en 1676. L’ouvrage a, en réalité, été réédité plusieurs fois, d’abord en 1679 par Antoine Dezallier, (Paris, in-12). Nous avons eu entre les mains, une autre édition, non signalée, toujours chez Dupuis, datée de 1692 et bien reliée en veau d’époque, sur le stand de Sébastien Miraglia Hille d’Oslo Rare Books, lors du Salon du livre rare qui s’est tenu du 22 au 24 avril 2016 au Grand Palais.
                        Allant jusqu’au bout de ses idées, l’abbé de La Barre, publia un second traité intitulé De l'éducation des dames pour la conduite de l'esprit dans les sciences et dans les mœurs ; entretiens (Paris, Jean Dupuis, 1674 in-12). Cet  ouvrage est dédié à Son Altesse Royale Mademoiselle, duchesse de Montpensier. Et, l’année suivante, comme mû par une étrange contradiction,  il proposa un Discours de l'excellence des hommes contre l'égalité des femmes (Paris, Jean Dupuis, 1675, in-12).  Une seconde édition « officielle » sortit chez Antoine Dezallier, en 1679. L'auteur y soutient la contre-partie de la thèse de son premier traité.  Ce qui a laissé dire à des critiques que « ce procédé, qui sent son dialecticien défendant tour à tour le pour et le contre pour le seul plaisir d'argumenter, nous fait voir que les ouvrages de Poullain de la Barre doivent plutôt être considérés comme des jeux d'esprit ». Selon son contemporain, Pierre Bayle (1647-1706), ce revirement aurait été inspiré par La Barre, car il se sentait menacé. Toujours est-il qu’en 1688, il  jeta sa soutane aux orties et se convertit au protestantisme. Ce qui démontre une certaine liberté d’esprit ou de frondeur, car La Révocation de l’Édit de Nantes avait été signée en 1685 par Louis XIV. Toujours est-il que deux ans plus tard, en 1690, il se réfugia  à Genève où il enseigna. Un cours que l’on retrouve dans son dernier ouvrage : La Doctrine des protestans sur la liberté de lire l’Écriture sainte, le service divin en langue entenduë, l’invocation des saints, le sacrement de l’Eucharistie, (Genève, 1720). Simone de Beauvoir voyant en La Barre, un prophète du féminisme, le cite a contrario  en épigraphe au Deuxième Sexe (1949) : « Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie »
                                                          
(1)       Réédité par les éditions Fayard (1984)





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