mercredi 17 février 2010
LETTRES DE LA "JEANNE D'ARC" I
- LA JEANNE D’ARC ET LES DOGES -
J'ai eu la chance d'embarquer à plusieurs reprises à bord du PH Jeanne d'Arc. j'ai participé à la fin de la campagne 1988, depuis Venise jusqu'à Brest.
Du pont de l'Académia, le Grand Canal s'ouvre sur ce qui pourrait être une petite baie longée par la Riva degli Schiavoni. La Jeanne d'Arc, le porte-hélicoptères, navire-école de la Marine nationale, y est amarrée à la hauteur de l'Arsenal. Elle domine de toute sa hauteur l’hôtel qui lui fait face. Les galères vénitiennes, même palamente (1) levée, n’auraient pu rivaliser avec sa hauteur. Seul peut-être le Campanile pourrait s’incliner devant le bâtiment de guerre.
La nuit, à bord, est bruyante et le sommeil se rompt au même rythme que celui des machines. Le branle-bas sonné par un clairon, me jette hors de ma bannette. Il convient de s'y habituer ; je ne suis pas encore familier de la "maison". Sur le pont, l'équipage, aligné au poste de bande, décore le bâtiment, tandis que la musique de la flotte joue "Ce n’est qu'un au revoir". La Jeanne s'éloigne lentement du quai. Quitter Venise, à son bord frise l’élégance. Cela aurait plus à Paul Morand. Des mains s'agitent. Le Campanile s'affaisse derrière un nuage de fumée ; une manière pour le navire de guerre de prendre sa revanche ! De la passerelle, nous dominons la cité des Doges. Un adieu au Lion juché sur sa colonne, et le navire croise la proue de l’île S.Gorgio Maggiore avant de gagner le large suivi de sa conserve fidèle. Nous aurions un regret, celui de ne pas avoir été à bord de celle-là, afin de contempler la Jeanne dans toute sa splendeur vénitienne.
Sur le pont d’envol, la présentation des officiers à l'amiral, les ramène au rang de potaches. Ils se tiennent droit, tenant une distance règlementaire entre eux et regardent, lorsqu'il les interroge, dans les yeux l'officier général. Ce qui leur évite de remarquer que l'amiral a perdu une étoile, sur son épaulette.
Le silence règne dans l'ombre compète sur la passerelle. On ne reconnaît personne, sinon les voix. Les deux veilleurs, à l'extérieur, dans leur nacelle de fer, guettent la surface de l'eau, à peine éclairée par quelques crêtes bordées d'écume. Il est loin le temps où le guetteur était oublié, perdu dans la mâture des voiliers jusqu'à ce qu'il se mette à crier ce mot magique : "Terre !" Les deux midships, sans songer cette image, sans cesse répétée dans des films convenus, surveillent l'affluence sur la mer, en consultant les radars. Nous sommes au large des côtes italiennes, au bas de la botte. Nous distinguons, à quarante kilomètres, les lumières de villes. Un peu de vent s'est levé, il s'agit de corriger la route. Derrière, le barreur tire légèrement sur sa manette. Ce matin, peu après sept heures, au moment où l'amiral quitte le bord, nous voyons fumer l'Etna. Calme Adriatique, elle ressemble à un lac ; nous glissions sur cette surface limpide et bleue.
Le détroit de Messine fait songer à un canal, il ne manque qu’une écluse. Les uns et les autres ont rédigé qui une lettre, qui une ou plusieurs cartes postales, et les ont glissées, avec pièces et billets, dans une bouteille afin de la jeter à l'eau. Le Pacha sacrifie lui-même à cette tradition. Des pêchous siciliens iront les ramasser et poster les lettres, une fois revenus à terre. Dans le sillage de la Jeanne, nous voyons, ces bouteilles à la mer, se bousculer dans ses remous.
Des fumerolles s’échappent discrètement des pentes du Stromboli. En éruption permanente depuis 3000 ans, il constituait un repère pour les navigateurs de l’Antiquité. Il offre, aujourd’hui, un spectacle, presque tranquille, à tout le personnel de bord qui a le loisir de se pencher sur les rambardes des passavants. Songent-ils ces hommes qu’ils naviguent sur « un pétard ambulant », selon le mot du CSI, chef du service intérieur, un capitaine de frégate : 6 rampes de missiles MM 38 Exocet, 4 tourelles de 100 mm avec le stock de munition, le gaz oil. Justement, à la machine, les mécaniciens en combinaison bleue, veillent sur les chaudières. La pression de la vapeur est à 45 bars. C'est là, « rue du chaud » où on « morfle » le plus. Un raclement suivi d'un coup sourd provient du pont. Les « aéros » sortent un hélico du hangar. Des silhouettes s'af¬fairent autour de l'appareil hissé par l'ascenseur. Les tenues en amiante de l'équipe de sécurité se reflètent dans la vitre bombée de l'Alouette 111. Au signal du « chien jaune », le directeur du pont, elle se tend sur ses pattes et file vers tribord en direction du Commandant Bourdais. Opération, hélitreuillage de matériel. Routine.
(1) L’ensemble des rames
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