jeudi 28 juin 2012





 
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DES LIVRES ET NOUS !


Lettres de Venise

Postées depuis le Rialto

Il faut glisser ce petit livre dans sa poche, comme un enfant enfouit dans la sienne un trésor. Pour l'avoir à portée de rêverie. Pour respirer cet éther à la fois marin et citadin que Venise diffuse et dilue au‑dessus des toits de tuiles aux tons parfois carmin, parfois corallin qui couvrent les maisons. Ou plutôt brique, comme la couleur de la couverture qui donne à ce recueil ses tonalités. Il peint en effet dans tôutes ses gammes la Sérénissime qui est d'abord une palette ancrée au fond de la Baltique. Maurice Barrès le rappelle : "Tous les sons courent nets et intacts dans cet air limpide où les murailles les rejettent sur la surface de la lagune qui elle‑même, les réfléchit sans les mêler." Balades imprévues, navigations fortuites, rencontres inopinées De page en page, il semblerait que l'on s'engage dans le lacis des calli et que des ombres fugaces et inconnues fassent des signes, autant d'invitations à des dialogues, des murmures et des confidences. Se perdre dans le labyrinthe des ruelles et des placettes, passer d'un sestiere à un autre en franchissant des ponts dont on apprend le nom, entrer dans une église pour voir un Tintoret ou un plafond de Véronèse sont'des satisfactions distillées peu à peu, au rythme des jours et des hasards. Venise mérite toujours mieux, en tous cas autre chose. Non pas seulement le sérieux d'un Baedeker, qui enjambe lItalie "des Alpes à Naples", mais les connaissances et les fantaisies d'un accompagnateur qui a appris à déchiffrer la cité dogale ailleurs que dans des guides. Ce volume est donc autre chose. Le récit d'un séjour relaté à la première personne dont nous devenons le double complice. Mais en restant libre citoyen, c'est à dire le temps d'ouvrir la boîte où ce courrier a été livré et de lire une à une ou dans l'ordre que lon souhaite, ces trente deux lettres envoyées sans date aucune mais ayant toutes beaucoup de cachet. Comme Stendhal dans Rome, le na'rrateur offre ses Promenades et les transforme en vedute.

Cet épistolier est un cicérone averti. Il a navigué sur la Lagune à maintes reprises. Il détient les clés de plusieurs palazzi, il possède celle d'une charmante trattoria où les spaghettis se dégustent al nero di sepia. Il a en réserve des passe‑partout qui nous font entrer dans des demeures privées où le dîner se célèbre à la chandelle en compagnie de Giorgione et de Guardi. Il convoque des amis, d'hier ou d'avant‑hier et leurs mots, leurs tableaux et leurs partitions s'intercalent avec bonheur entre la mélodie et les images de ses propres phrases pour y ajouter quelques notes supplémentaires. Paul Morand, Canaletto, Hemingway, Donizetti, George Sand, Félix Ziem, Monteverdi, Julien Gracq, Henri de Régnier, qui séjourna treize fois à Venise, où "il fut heureux car il lui semblait à chaque fois retrouver sa patrie" entrent en scène, sassoient dans la gondole ou le motoscafo, lâchent les amarres, écartent les rideaux de ce merveilleux théâtre sur l'eau et nous attirent dans les coulisses. A ceux qui ne connaissent pas Venise comme à ceux qui aiment éperdument cette cité et en font une occasion renouvelée de voyage, ces lettres adressent tous les mots qu'ils souhaiteraient pouvoir lire ou entendre. Trente deux missives rédigées au fil des canaux, au gré de leurs remous. Signées par une main amoureuse.

Rédigées dans une langue élégante et pourtant simple ‑ on serait tenté de faire de certains passages une dictée, comme un jour un critique, bel éloge, l'avait dit des romans de Marcel Pagnol ‑ ces lettres décrivent une Venise de linstant qui déjà n'est plus, annoncent celui qui va venir et dont on se délectera tout autant, aimantent tels des joyaux des petits faits et les relient à l'histoire locale, les agrègent à sa couronne comme s'assemblent les pigeons sur la Piazza pour roucouler avant de s'envoler vers le ciel comme une poignée de pièces d'or, d'émeraudes, de saphirs, de rubis. On craint que tout ne se disperse et ne s'égare. Soudain, le décor est monté, peint par touches délicates, par attraction >de souvenirs et de citations et s'illumine, comme chez Tiepolo quand toute une fresque se dévoile, solide, légère, évidente. Uéventail est large. Parler avec le poissonnier de la Pescheria qui lance : "Ici le poisson a vingt‑quatre vies et il en perd une par heure" ou côtoyer la haute société. "Vous ne pouvez rien imaginer de plus drôle qu'une crinoline entrant dans une gondole" disait Mérimée à l'impératrice Eugénie relève de votre choix.

Citons à nouveau Henri de Régnier, pour qui "Venise ne s'impose pas, elle se prête. Contentez‑vous d'être heureux des beautés qu'elle vous propose. Ne vous efforcez pas à l'évoquer dans son passé plus ou moins lointain si elle vous suffit dans son présent." Sage conseil. Bibliophile reconnu, historien de l'Ordre de Malte, critique d'art, romancier, globe trotter artistique, l'auteur fait de Venise le but de son Grand Tour. On le suit volontiers.

Dominique Vergnon, le 22 juin 2012

Bertrand Galimard Flavigny, Lettres de Venise, coll. "L'écrivain voyageur", 13 dessins de l'auteur, La Bibliothèque, mai
2012, 160 p. ‑ 14,00 C


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