LE DESTIN DE FANNY HILL
Quel destin que celui de
Fanny Hill ! Cette jeune orpheline originaire du Lancashire, échouée à
Londres durant la première moitié du XVIIIe siècle, crut d’abord
avoir été engagée comme servante, dans la maison de Mrs. Brown. Nous devinons
la suite, Fanny devint « femme de plaisir ». Elle a laissé ses
mémoires qui, depuis, n’ont cessé d’être reprises par de nombreuses éditions,
illustrées pour le plus grand nombre et ont même inspiré le cinéma et la
télévision. Les aventures de cette jeune femme sont nées, en fait de la plume
de John Cleland, (1707 ou 1709-1789), le fils d’un officier supérieur sans
fortune. Consul à Smyrne en 1722, puis à partir de 1736 au service de la
Compagnie des Indes de laquelle il fut destitué, il se retrouva sans emploi et connut
la misère. Perclus de dettes, il fut mis en prison, et c’est pour se libérer
que, sur la proposition d’un libraire, il écrivit les Memoirs of a woman of pleasure, autrement Fanny Hill, « œuvre remarquable ; libre, mais délicate »,
rapporte Guillaume Apollinaire. »
La première édition
publique très adoucie, loin des trois précédentes clandestines a été imprimée
en 1750 sous le titre complet de Memoirs
of a woman of pleasure (London, R.
Griffiths, in St. Paul’s church-yard, sans date, in-12).
Le
Monthly Review fit l’éloge de cet
ouvrage, ce qui n’est pas étonnant car Griffiths en était aussi l’éditeur. Ce
renvoi personnel fait encore sourire, car il est quasiment certain que c’est
lui qui imprima les éditions clandestines. Les essais bibliographiques
indiquent pour commencer Memoirs of **** (vol. I [II] London, G.
Fenton, s.d. 2 volumes in-12) parue en 1747 ou 1748 ; puis Memoirs
of a woman of pleasure. (London, G.Fenton, 1749, 2 vol. in-12), et encore à
la même date, sous le même titre et avec
la même adresse, mais ornée de gravures dont quelques unes ne se rapportent pas
au sujet. Toujours est-il que Cleland fut poursuivi pour avoir écrit un tel
texte licencieux. Le président du tribunal, le comte Granville, au lieu de le
condamner, lui fit une pension de 100 livres sterling par an, à la seule
condition de ne plus écrire d’ouvrages libres. Il « observa cette
condition » et toucha se pension jusqu’à la fin de sa vie. Sa véritable
condamnation fut sa mise à l’écart de la société qui lui pardonnait pas d’avoir
écrit ces Memoirs.
Les français ne
tardèrent pas à en prendre connaissance sous le titre de La Fille de joye, ouvrage quintessencié de l’anglais. (A.
Lampsaque, 1751, in-8). On dit généralement que cette traduction abrégée fut
réalisée par le fils du banquier Lambert, ce que dément Pascal Pia qui l’attribue à Fougeret de Monbron.
Celle-là fut réimprimée sous un nouveau titre : Apologie de la fine galanterie de Mlle Françoise de la Montagne, (A Todion, chez
Barnabas Condomine, 1766, in-8). Si l’on y suit bien le titre courant, il
devient à la page 97 : La fille de joye. Il semblerait que la
première édition illustrée en France figure dans la Nouvelle traduction de Woman of Pleasur [sic], ou Fille de Joie par M.
Cleland, contenant les Mémoires de Mademoiselle Fanny, écrits par elle-même.
(Londres, chez G. Fenton, 1776 ; in-18 [en fait Paris, probablement
imprimée par Cazin]) qui contient le premier tirage des 15 gravures
libres non signées, de Borel, gravées par Elluin.
Le
nom de Fanny apparut en France dix ans plus tard avec La Fille
de joie ou Mémoires de Miss Fanny, écrits par elle-même (Paris, chez Madame
Gourdan, 1786, in-8) illustrée par 33 planches libres. On compte encore deux éditions
à la fin du XVIIIe siècle et une au XIXe, jusqu’à la
traduction d’Isidore Liseux (1887) tirée à 165 exemplaires et réimprimée en
1906 ([Hirsch] petit in-4) illustrée par 12 héliogravures libres d’après Paul
Avril.
Puis vint Apollinaire
avec sa collection « les Maîtres de l’amour » : Mémoires de Fanny Hill, Femme de Plaisir,
avec des documents sur la vie à Londres au XVIIIe, etc. avec
introduction, essai bibliographique, plus six compositions d’après la suite de
William Hogarth,( Paris, Bibliothèque des Curieux, 1910 in-8° carré). De
nombreuses éditions diverses et variées ont suivi tout au long du XXe siècle,
dont une de Mac Orlan, sous le titre des Dés
pipés (1951).
On sait depuis longtemps que Cazin n'était pas imprimeur, mais libraire.
RépondreSupprimerEt en 1776, il était à la Bastille.
L'adresse "G. Fenton" doit se lire "Griffiths et Fenton", qui ont éffectivement existé et qui sont les véritables éditeurs de ces "Mémoires".