Á
TRAÎNE QUI VOUDRA TENIR
Le
père Claude-François Ménestrier (1631-1705) était un personnage respectable
d’autant plus qu’il était lyonnais et appartenait à la compagnie de Jésus. Sa
bibliographie comporte plus de 144 titres, essentiellement inspirés par
l’héraldique. Le plus célèbre est La méthode du blason, éditée la
première fois, à Lyon et à Paris par Michallet, en 1688 et qui bénéficia de huit réimpressions
jusqu’en 1780. Nous avons relevé huit exemplaires de ces différentes éditions passées
en vente au cours des dix dernières années, adjugés entre 90 € et 220 €.
Le
moins connu des titres de ce religieux érudit est une Dissertation sur
l’usage de se faire porter la queue… Un tiré à part des deux exemplaires
justifiés, mais celui-ci non numéroté, extrait
du tome VIII de la « Collection des meilleurs (sic) dissertations, notices
et traités particuliers de Constant Leber, qui parut en 1838 chez Dentu »
(s.l.n.d. [vers 1838] in-8, broché à l’époque sous couverture d’attente, non
rogné, a été adjugé 320 €, à Drouot, le 13 décembre 2011 par la svv Alde,
assistée par Dominique Courvoisier. Selon cet expert, Paul Allut, auteur des Recherches
sur la vie et sur les oeuvres du P. Claude-François Menestrier,.... (Lyon, N. Scheuring, 1856) mentionne
la « Collection de Leber », mais pas de tiré à part.
Toujours est-il qu’à la
lecture de ce titre, on se demande ce qu’était
donc allé faire ce grand blasonneur dans cette étude qui laisse, à première
vue, songeur ? Il devait « répondre aux demandes qu’un chanoine,
docteur de Paris, avoit faite sur cet usage » ( sic). Les longues queues,
tous les hommes d’église et les robins, le savent ce sont des habits et des
manteaux de cérémonie. Selon le P. Ménestrier, cet usage est fort ancien
puisqu’il cite des « habits trainans » (sic) chez les Grecs ; puis
« la queue traînante des habits des tragédies » chez les Romains et
enfin des « porteurs de queues aux cérémonies funèbres »,
essentiellement celles des princes chrétiens. Il vint la coutume de les porter
dans d’autres cérémonies chez les personnes de qualité, souverains, princes et
princesses, grands officiers, dignitaires des compagnies ecclésiastiques et
séculières. « C’est ce qui fit donner le nom de queue à la suite des
courtisans, officiers et domestiques qui accompagnaient ces personnes ».
Il y eut, naturellement, des abus. Le concile de Tolède condamna, en 1324, ces
« superfluités ». Les cardinaux passèrent outre et en firent une
distinction. Ils ne sortirent plus qu’avec des porte-queue, les « caudataires ».
Quant aux souverains, ne revêtent-ils pas un manteau à longue traîne, le jour
de leur sacre ?
Une
première édition de cette intéressante Dissertation, fut donnée à Paris,
chez Jean Boudot, en 1704, sur 51 pages. Son texte – « avec quelques
retranchemens » (sic) - fut repris dans le Journal ecclésiastique
de l’abbé Dinouart, en mai 1764 ; puis dans la Collection de pièces
relatives à l’histoire de France, publiée en 1826, notamment par Constant
Leber. L’éditeur d’une édition, imprimée par J.M. Barret, à Lyon, en 1829,
explique avec précaution que ce C. Leber
« a accompagné cette dissertation d’un petit nombre de notes, la
plupart intéressantes, que nous croyons devoir lui emprunter, et auxquelles
nous en avons ajouté quelques-unes, sans prétendre (non plus que lui) au mérite
d’épuiser la matière, et encore moins de mettre la dernière main à l’œuvre du
savant auteur ». Dans ses descriptions, le P. Ménestrier a, en effet, omis
la queue des robes des magistrats et des avocats. Elles existent toujours, mais
elles sont « retroussées à l’intérieur ».
Cette
robe-là, celle des avocats se dessina à partir du XVIIe siècle et
peu à peu devint semblable à celle que portent les membres du barreau de nos
jours. Au grand siècle, ils en
étaient constamment vêtus « Elle était pourvue d’une queue rabattue à
l’intérieur et attachée en tortillon à un ruban
accroché à l’échancrure de la manche droite. La queue est détachée dans
les grandes occasions et traîne à même le sol », précise Jacques Boedels,
dans son étude sur Les habits du pouvoir,
la justice (1). Aujourd’hui, la robe s’est raccourcie et la traîne a
diminué d’ampleur au profit du cordon qui a grandi en proportion. On ne la
détache plus. « Elle s’est atrophiée, dit-il encore, à l’instar de ces
oiseaux dont les ailes finissent en
moignon faute d’être utilisées ».
(1)
Ed.
Antébi,1992.
A noter également l'indispensable Traité des Queues de G.C. Lichtenberg (1742-1799), dont on trouvera une traduction dans le N°9 des Dossiers du Collège de 'Pataphysique.
RépondreSupprimer