VOUS
AVEZ DIT BIGARRURES ?
Nous sommes bien prudes
face à nos aïeux au XVIe siècle. Lisez plutôt : « Votre fillette en ses écrits/
Recherche trop ces appétits/ Elle met trop d’ancre en son nid/ Et laisse trop
les huis ouverts… » Afin de connaître la suite, il suffit de se plonger
dans Les Bigarrures du Seigneur des
Accords, dont la première édition date de 1582, et que l’on ne rencontrait
déjà plus au XIXe siècle. Les Bigarrures revêtent toutes les formes de la
poésie, les équivoques, les antistrophes,
les accrostiches, les vers rétrogrades et léonins, tous
chargés de la grivoiserie chère au XVIe siècle, sans oublier les
contre-petteries.
Le Seigneur des Accords a bel et bien existé, il s’agissait
du pseudonyme d’Étienne Tabourot (1547-1590). Celui-ci s’était fait connaître
en composant des sonnets. Il en adressa à la fille du président Brégat, signé
de la devise de ses ancêtres : « A tous accords ». La jeune
personne l’appela dans sa réponse « Seigneur des Accords ». Tabourot
signa désormais tous ses ouvrages sous ce nom. Il était le fils d’un avocat au
parlement de Paris, et n’était âgé que de dix-huit lorsqu’il composa ces Bigarrures.
On raconte qu’il les apporta chez l’imprimeur puis se ravisa au dernier
moment ; satisfait sans doute d’une nouvelle composition, il finit par
confier son recueil, quatre ans plus tard, au libraire Jean Richer. Entre temps
il avait obtenu une charge de procureur du roi dans le bailliage de Dijon, ce
qui lui donna une certaine position.
Si
l’on ne voit plus, l’édition de 1582 – mais l’a-t-on jamais vue ? – les
bibliographes considèrent que celle de 1583 est l’originale. Un exemplaire de
celle-là (Paris, Jean Richer, 1583, in-16), relié en vélin ivoire souple
d’époque, a été adjugé 1.400 €, à Drouot, le 24 juin 2009 par la svv Choppin de
Janvry, assistée par Emmanuel de Broglie. Les Bigarrures connurent un succès que l’on ne peut
imaginer et furent maintes fois rééditées. Un exemplaire « Reveuës
& augmentées de nouveau par l'Autheur » (Paris, Jean Richer, 1584,
in-16) relié à l’époque, en vélin souple à recouvrement, a été adjugé 3.500 €,
à Drouot, le 22 mai 2012 par la svv Binoche Giquello, assistée par Dominique
Courvoisier. Cette édition est précédée
d'une préface de l'auteur et d'un avis au lecteur dû à André Pasquet, où
celui-ci présente les Bigarrures ;
elle est ornée au verso du titre d’un portrait de Tabourot à l'âge de 35 ans.
Se succéda une dizaine d’éditions, à chaque fois augmentées
de plusieurs épitaphes, dialogues et ingénieuses équivoques, qui n’étaient pas
toujours du fait de Tabourot qui d’ailleurs s’en plaignit. Il composa alors les Touches du Sieur des Accords, toujours chez Jean Richer en
1585. Les deux ouvrages furent réunis pour la première fois, chez le même
éditeur en 1603 et augmentées des apophtegmes du Sieur Gaulard, gentilhomme de la Franche-Comté bourguignotte (sic), des satires composées en épigrammes, et ses Escraignes dijonnoises, des contes en prose. La dernière des éditions collectives fut imprimée
par Arnould Colinet en 1662, et fut partagée entre
plusieurs libraires : Estienne
Maucroy, Jean Promé, Théodore
Girard et Nicolas de
La Coste. Tous ces éditeurs-là sont coupables affirment les
bibliographes : ils ont supprimé le texte latin des épigrammes imitées,
l’explication en prose des Touches et même les épîtres dédicatoires.
Pire, plusieurs pièces présentent des variantes notables. L’auteur lui-même
affirmait pourtant que ces bigarrures
furent composées « pour se chatouiller soi-même et se faire rire le
premier, et ensuite les autres. »
De
nombreux petits motifs gravés sur bois
dans le texte, dans 26 médaillons
gravés, sortes de jeux de mots
illustrés, livrent des informations sur les mœurs anciennes ; sont-elles
celles qui ont incité un père Jésuite à acquérir l’édition de 1584 et à y
inscrire son ex-libris ? Quoi qu’il en soit ces Bigarrures attirèrent la gent ecclésiastique ; un certain
Antoine Dobert, de l’ordre des Minimes, composa en effet, en le signant des
initiales E.T – celles d’Étienne Tabourot - . les Récréations litérales (sic) et mystérieuses pour le divertissement des
savants et amateurs de lettres (Lyon, Antoine Valençot, 1646, in-8). Comme
le soulignait Barbier, déjà cité, « ce livre fait, en quelque sorte,
double emploi avec les Bigarrures de
Tabourot.
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