dimanche 16 décembre 2012




LE GOÛT DU MELON DE M. DE SAINT-AMANT

                        S’il était nécessaire de donner un signe distinctif pour définir Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (1594-1661), il suffirait de dire : « Malherbe ne l’aimait pas ». Il n’était pas le seul,  Boileau aussi : « Saint-Amand n'avait rien ; Mais quoi ! Las de mener une vie importune,/ Il engagea ce rien pour chercher la fortune », disait-il, dans son Art poétique à propos de Moïse sauvé (1653, in-4°) une longue idylle héroïque, qu’il qualifiait à tort d’épopée. On ne badinait pas avec les règles poétiques au dix-septième siècle et Boileau qui appréciait Malherbe, le chantait : « Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, /
Fit sentir dans les vers une juste cadence, /d'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, / Et réduisit la muse aux règles du devoir. / Par ce sage écrivain la langue réparée. / N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée ».
                        Original, fantasque et capricieux, celui qui était le fils d’un officier de marine qui voulait en un marchand verrier préféra d’abord voyager. Il visita quelques pays de l’Europe du Nord, mais aussi le Sénégal, les Indes et même l’Amérique du Nord. De quoi remplir des carnets et composer des vers et quelques autres bigarrures, sans se préoccuper de la versification classique. Saint-Amant a notamment  publié un  Rome ridicule, petit poème burlesque (1643, in-4°) dans lequel on peut lire, par exemple que le Tibre était « un mauvais petit fleuve, un ruisseau qu’un nain franchirait d’une demi-enjambée » et dans lequel « une canepetière ne pourrait nager que d’une patte ». On lui doit encore des  Stances sur la grossesse de la reine de Pologne (1650, in-4°), et aussi des Stances à M. Corneille sur son Imitation de Jésus-Christ (1656, in-4°), ainsi que la Génération (1658, in-4°). On ne sait finalement pas grand-chose de sa vie, sinon, et ceci grâce à Théophile Gautier qui lui consacra un chapitre dans ses  Grotesques (Lévy, 1853),  qu’il appréciait le vin, enfin qu’il aimait boire. Il ne pouvait pas écrire sans un grand verre de vin « tourné/ Dans le cristal, que l’art humain, / A fait pour couronner la main ».
                        L’insolence et l’élégance, autrement dit la liberté de Saint-Amant transparaissent dans ses œuvres, pour une part réunies par l’éditeur Robert Daré dont la librairie Villa Browna propose un exemplaire relié en vélin d’époque (1). Le titre complet en vaut la peine et ne laisse pas compter, comme le souligne Valentine del Moral qui a rédigé la notice de présentation de l’ouvrage, que «  la bonne chère paraît indissociable du vin : l’un conforte l’une, l’un appelle l’autre » :   Les œuvres du sieur de Saint-Amant, Augmentées de nouveau. Du Soleil Levant, Le Melon, Le Poëte Croté, La Crevaille, Orgye, Le Tombeau de la Marmousette, Le Paresseux, Les Goinfres. (Rouen, Robert Daré, dans la Court du Palais, 1649. In-12,) relié, comme on l’a dit, en  plein vélin souple, titre à l’encre sur le premier plat, dos muet.
                        Ce titre est un menu à lui tout seul, une invitation à goûter et à boire. À propos du fromage, Saint-Amant souhaite que « la seule mémoire le provoque jamais à boire ». Et le melon dont on se détournerait aujourd’hui rue des Martyrs, car il y est vendu au prix des œufs d’esturgeon, si on ne l’aimait tant, on se prosterne devant lui parce que « ni le cher abricot qu’il aime, ni la fraise avecque la crème, ni la manne qui vient du ciel, ni le pur aliment du miel, ni la poire de Tours sacrée, ni la verte figue sucrée, ni la prune au jus délicat, ni même le raisin muscat, ni les baisers d'une maîtresse quand elle-même nous caresse, ne pourraient détrôner. »
                        A l’origine du genre burlesque, Saint-Amant fut aussi celui qui introduisit les cinq sens dans la poésie française. De nombreux poèmes vantent les produits, les joies et les excès de la table. Introduit dans des milieux aussi opposés que ceux des jansénistes et des libertins, il fut avant tout et toute sa vie, homme de cabarets. D’inspiration essentiellement bachique, ses satires, mais aussi ses odes et ses sonnets qui ne doivent rien aux règles classiques, tombèrent du coup dans un semi-oubli jusqu’au XIXe siècle qui redécouvrit leur liberté de ton et remis à l’honneur ses pièces telle son  Paresseux : « Accablé de paresse et de mélancolie, /  Je rêve dans un lit où je suis fagoté, / Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté/ Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie ».
Librairie Villa Browna, 27 avenue Rapp, Paris 75007. http://villabrowna.free.fr/


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