dimanche 6 novembre 2016



UNE COQUINE RELIURE DE DÉZÉ





                        Félicien Champsaur  (1858-1934), un auteur quelque peu oublié par le public, mais non des bibliophiles, était un défenseur des thèses hardies. Il était à la fois un feuilletoniste caractéristique d’une époque, un polémiste et  pornographe ?  Pour Léon Bloy (1846-1917) qui l’avait choisi comme modèle pour son Félix Champignolle dans Le Désespéré (1886), il était un «personnage des plus remarquables en ce sens qu’il a l’air d’un parfait scélérat ». La plume de Bloy était celle d’un polémiste et, qui se trouvait sur son chemin, ne s’en relevait jamais sans être couvert de taches d’encre. Il reste que Champsaur avait un formidable talent de conteur, un esprit éblouissant, un style vif et novateur, une imagination illimitée. Il était en somme de la race des grands écrivains… détesté. Jean Ajalbert (1863-1947), auteur et critique et encore anarchiste, a, un jour, lancé, à son propos : « Félicien Champsaur, littérateur à tout faire, sauf de la littérature ». Soyons plus aimable envers lui et conservons davantage cette autre  définition : « il était un polisson pas sérieux ». Au regard de sa bibliographie qui comporte plus de cinquante romans, pièces et ballets, sans compter les nouvelles, on peut considérer avec son biographe  Paul Adamy qu’il était « un singulier mégalomane des lettres » [Plein Chant, 2013].

                        Voilà qui est dit. Parmi la collection de ses titres, il en est un que l’on rencontre peu : Le Butineur (Paris, Jean Bosc & Cie, 1907, in-8). Un titre qui laisse penser à toutes les interprétations. Elle est pourtant simple, cet ouvrage est un recueil de nouvelles sur le thème de rencontres galantes. Leurs titres sont évocateurs : « Sauvé par l’Amant », « La Faute des lilas », « la Belette », « l’Amant posthume », « La Mystérieuse », « La plus heureuse des femmes », etc. La couverture représente un homme le nez dans une rose à l’instar d’une abeille… butinant. ».  Seules leurs illustrations font en réalité rechercher aujourd’hui ces livres  par les bibliophiles, et parfois leurs reliures. Le Butineur a été illustré par Manuel Orazi (1860-1934) qui a réalisé 18 lithographies en couleurs. On dit qu’il convient de lire les histoires de Champsaur dans « leur habit d’époque ».  Seules leurs illustrations font rechercher aujourd’hui ces livres  par les bibliophiles, et parfois leurs reliures.

                        C’est le cas d’un exemplaire, l’un des 20 de tête sur Japon dans une « coquine reliure » dans un décor créé par Louis Dézé (1857-1930) pour son exemplaire personnel, dont le corps a été façonné par Émile Babouot. En pleine basane dans les teintes bleu et rouge, elle montre sur le premier plat de cuir repoussé, une femme allongée sur une tête de démon, les jambes levées au ciel vers un petit ange ; sur le second plat, on voit une danseuse avec le monogramme L [ouis]. D[ezé] ; au dos figure un ange dans les teintes marron avec une palette de peintre. Cet exemplaire qui  comporte un envoi de l’auteur au relieur - « A Louis Dézé, sympathie personnelle et artistique » - était récemment présenté par Éric Grangeon Rare Books.

                        Les reliures de Louis Dézé présentent le plus souvent de forts reliefs, sa marque de fabrique, dans des décors d’inspiration symboliste, ou alliant la fantasmagorie au fantastique. « Ses œuvres... sont peut-être moins parfaites techniquement parlant que celles des maîtres de l’heure... mais elles sont autrement surprenantes, et elles vont infiniment plus loin dans notre sensibilité... », a écrit Henri Pollès dans un article rendant hommage à ce relieur. « Génie véritable, génie surabondant, il inventa ou perfectionna une technique très particulière, très savante », poursuivait-il en précisant que, contrairement à la plupart de ses confrères, il lisait sûrement les livres avant de les habiller. Cet artiste singulier était également illustrateur. On lui doit, par exemple 13 planches pour Dieu de Victor Hugo (Paris, Hetzel, 1891).
                                              
Infos : Éric Grangeon Rare Books : www.ericgrangeon.com


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