UNE
COQUINE RELIURE DE DÉZÉ
Félicien Champsaur (1858-1934), un auteur quelque peu oublié par
le public, mais non des bibliophiles, était un défenseur des thèses hardies. Il
était à la fois un feuilletoniste caractéristique d’une époque, un polémiste et
pornographe ? Pour Léon Bloy (1846-1917) qui l’avait choisi
comme modèle pour son Félix Champignolle dans Le Désespéré (1886), il était un «personnage des plus remarquables
en ce sens qu’il a l’air d’un parfait scélérat ». La plume de Bloy était celle
d’un polémiste et, qui se trouvait sur son chemin, ne s’en relevait jamais sans
être couvert de taches d’encre. Il reste que Champsaur avait un formidable
talent de conteur, un esprit éblouissant, un style vif et novateur, une imagination
illimitée. Il était en somme de la race des grands écrivains… détesté. Jean
Ajalbert (1863-1947), auteur et critique et encore anarchiste, a, un jour,
lancé, à son propos : « Félicien Champsaur, littérateur à tout faire, sauf
de la littérature ». Soyons plus aimable envers lui et conservons davantage
cette autre définition : « il
était un polisson pas sérieux ». Au regard de sa bibliographie qui comporte
plus de cinquante romans, pièces et ballets, sans compter les nouvelles, on
peut considérer avec son biographe Paul
Adamy qu’il était « un singulier mégalomane des lettres » [Plein Chant, 2013].
Voilà qui est dit. Parmi
la collection de ses titres, il en est un que l’on rencontre peu : Le Butineur (Paris, Jean Bosc & Cie,
1907, in-8). Un titre qui laisse penser à toutes les interprétations. Elle est
pourtant simple, cet ouvrage est un recueil de nouvelles sur le thème de
rencontres galantes. Leurs titres sont évocateurs : « Sauvé par
l’Amant », « La Faute des lilas », « la Belette »,
« l’Amant posthume », « La Mystérieuse », « La plus
heureuse des femmes », etc. La couverture représente un homme le nez dans
une rose à l’instar d’une abeille… butinant. ».
Seules leurs illustrations font en réalité rechercher aujourd’hui ces
livres par les bibliophiles, et parfois
leurs reliures. Le Butineur a été
illustré par Manuel Orazi (1860-1934) qui a réalisé 18 lithographies en
couleurs. On dit qu’il convient de lire les histoires de Champsaur dans
« leur habit d’époque ». Seules
leurs illustrations font rechercher aujourd’hui ces livres par les bibliophiles, et parfois leurs
reliures.
C’est le cas d’un
exemplaire, l’un des 20 de tête sur Japon dans une « coquine
reliure » dans un décor créé par Louis Dézé (1857-1930) pour son
exemplaire personnel, dont le corps a été façonné par Émile Babouot. En pleine
basane dans les teintes bleu et rouge, elle montre sur le premier plat de cuir
repoussé, une femme allongée sur une tête de démon, les jambes levées au ciel
vers un petit ange ; sur le second plat, on voit une danseuse avec le
monogramme L [ouis].
D[ezé] ; au dos
figure un ange dans les teintes marron avec une palette de peintre. Cet
exemplaire qui comporte un envoi de
l’auteur au relieur - « A Louis Dézé, sympathie personnelle et
artistique » - était récemment présenté par Éric Grangeon Rare Books.
Les reliures de Louis Dézé
présentent le plus souvent de forts reliefs, sa marque de fabrique, dans des
décors d’inspiration symboliste, ou alliant
la fantasmagorie au fantastique. « Ses œuvres... sont peut-être moins parfaites
techniquement parlant que celles des maîtres de l’heure... mais elles sont
autrement surprenantes, et elles vont infiniment plus loin dans notre
sensibilité... », a écrit Henri Pollès dans un article rendant hommage à
ce relieur. « Génie véritable, génie surabondant, il inventa ou
perfectionna une technique très particulière, très savante »,
poursuivait-il en précisant que, contrairement à la plupart de ses confrères, il
lisait sûrement les livres avant de les habiller. Cet artiste singulier était
également illustrateur. On lui doit, par exemple 13 planches pour Dieu de Victor Hugo (Paris, Hetzel,
1891).
Infos : Éric Grangeon Rare
Books : www.ericgrangeon.com
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