dimanche 5 janvier 2014


                                                    MES VŒUX ET LES ÉTRENNES




vu dans le catalogue de la librairie Saint-Lambert, à Saint-Juste d’Avray (69871)

                        « L’usage de donner des étrennes lorsque l’année se renouvelle et de s'adresser réciproquement des vœux de santé, de bonheur, de longue vie, remonte à la plus haute antiquité. Ce n’est pas ici le lieu d'en rechercher l’origine ; il existe de nombreuses dissertations sur ce sujet, et quand on les a lues, on n'est pas plus avancé qu'auparavant, pour écrire des lettres de bonne année à ceux envers lesquels c'est un devoir à remplir », écrivait Louis Philipon de la Madelaine (1734-1818), auteur d’un Manuel épistolaire à l’usage de la jeunesse, dont la première édition date de 1804 et la quinzième et dernière de 1843.
                        Le long sous-titre «  ou instructions générales et particulières sur les divers genres de correspondance, suivies d’exemples puisés dans nos meilleurs écrivains », donne déjà le ton du livre qui n’avait rien de commun affirmait son auteur avec Le Secrétaire de la cour, l’Art de la correspondance, la Rhétorique épistolaire, etc. Il reprochait à leurs auteurs de se donner eux-mêmes comme modèle, alors que lui avait demandé à Madame de Sévigné, La Motte, Bussy-Rabutin, Rousseau, Voltaire, le cardinal de Bernis, de donner « la leçon et l’exemple du style ». Parmi les seize sections qui partagent les pages de son livre, quelques unes sont donc consacrées aux lettres de bonne année.
« Mais plus un sujet pareil est usé, plus il est difficile de le traiter ; on a épuisé tout qui peut se dire en ce genre, poursuit Philipon de La Madelaine (…) Dans une lettre de bonne année, l’enfant exprime aux auteurs de son être son tendre attachement pour eux, son désir d'obtenir la continuation de leurs bontés, ses vœux ardens (sic) et sans cesse renouvelés pour leur conservation. Le protégé fait parler sa reconnaissance et ses souhaits empressés pour la prolongation des années d'un mortel à la vie duquel est attachée sa propre existence.
Si la lettre est de nature à prendre une teinte sérieuse, alors on porte sa pensée sur la rapidité du torrent qui nous entraîne vers cet océan des âges ou tout s'abîme sans retour ; on emprunte à la morale, à la philosophie, à la religion surtout, ces idées, soit fortes, soit consolantes, qui raidissent notre âme contre les coups de ce vieillard dont la faux n'épargne personne, ou qui nous disposent à les souffrir sans murmurer. Au contraire, si la lettre permet le badinage, on y regarde le renouvellement comme la passation d’un nouveau bail avec la vie, et l'on s'exhorte à semer de fleurs la route du temps; à laisser au peuple et aux enfans (sic) les complimens (sic) et les dragées et à ne compter pour le vrai jour de l'an que celui où l'on est heureux. Enfin, dans une lettre de pure étiquette, on se contente de souhaiter à la personne qui en est l'objet des jours aussi nombreux que ses grandes ou ses bonnes qualités, que ses bienfaits ou ses vertus ; on ajoute même que ces longs jours lui sont dus pour le bien de sa famille, de ses amis, de ceux qui l'entourent, et surtout pour l'intérêt des infortunés , dont sa sensibilité et ses largesses sont le soutien, etc., etc.
                        « Mais, quelque style que l'on emploie, à quelques lieux communs qu'on ait recours, il ne faut jamais oublier que les fadeurs du jour de l'an sont ce qu'il y a de plus fastidieux au monde ; que les complimens (sic) de cette solennité ne sauraient se renfermer dans des bornes trop étroites; qu'enfin, là où une phrase suffit, c'est sottise d'en mettre deux. Voltaire était extrêmement concis sur ce point. A l'impératrice de Russie : « Le public fait des vœux pour votre prospérité, vous aime et vous admire. Puisse l’année 1770 être encore plus glorieuse que 1769 ! ». A Frédéric (de Prusse) : « Alcide de l'Allemagne, soyez‑en le Nestor; vivez trois âges d’homme. ». A M. d'Argental : « Je vous souhaite la bonne année, mon cher ange ; les années heureuses sont faites pour vous etc., etc. »
                        A lire entre les lignes de certaines missives, nous serions enclins à sourire, car les propos des uns et des autres semblent dissimuler des compliments… comment dirions-nous, remplis d’une sainte hypocrisie. Tenez, par exemple, celle-ci adressée par Mg Fléchier, évêque de Nîmes à Madame de Caumartin : « Je vous souhaite, à ce renouvellement d’année, Madame, tout ce qui peut contribuer à votre satisfaction et à votre repos. Notre vie s’écoule insensiblement, et il ne nous reste, de ce temps qui passe, que les moments qui nous seront comptés pour l’éternité : nous ne devons désirer de vivre que pour accomplir ce que Dieu demande de nous, et la tranquillité de la vie doit être regardée comme une grâce et une bénédiction de douceur qu’il répand sur nous, et qui nous engage à le servir avec plus de fidélité. » (1705)
Le duc du Maine qui fut éduqué par Madame de Maintenon devenue sa belle-mère, semble plus sincère : « Il aurait été trop commun, Madame, d’aller ce matin à votre porte pour vous faire, sur la nouvelle année, un compliment d’une sincérité peu commune. Voyez tout ce que je vous dois depuis le moment où je suis né jusqu’au moment où je respire ; rappelez-vous la connaissance que vous avez du cœur que vous avez formé, et puis dites-vous à vous-même tout ce que je voudrais vous dire, qui est fort au-dessous de tout ce que je pense. » (1713)
Le chevalier de Saint-Véran devait éprouver pour cette marquise demeurée anonyme, quelques sentiments (1753) Ecoutez : complimens, des étrennes, des vœux, c’est, Madame, toute la monnaie du jour ; mais comment, avec cela, puis-je m’acquitter à votre égard ?  Des complimens, vous en méritez sans doute plus que personne. : il n’y a qu’un petit malheur, c’est que votre modestie vous les fait toujours refuser, je pourrais ajouter aussi que je n’ai pas le talent de les bien faire. Pour des étrennes, ce n’est pas sans doute à moi d’en offrir à celle que la fortune a comblée de ses dons : il ne me reste que des vœux ; et ceux que je fais pour vous, Madame, sont les plus sincères et les plus étendus ; ils n’ont de terme que votre mérite et mon respect : l’un et l’autre sont infinis. »
                        Heureusement, cet admirable traité épistolaire donne des exemples charmants. Nous en avons retenu un qui ne manque ni de saveur ni de fraîcheur. C’est celui-là qui nous servira de modèle : Lettre de Mlle R. de Ch***, pensionnaire à. P***, 1er janvier 1736. « On veut ma chère tante, que je vous fasse un complimen de bonne année. Je ne le voulais pas ; on m'a tant dit que les faiseurs de complimens étaient des menteurs ! J’obéis pourtant, mais pour vous redire sans cérémonies, sans complimens, sans fadeur, que je vous aime, que je vous aimerai ; que si j'avais la baguette de ces fées dont m'a parlé ma bonne, tous vos vœux seraient bientôt remplis, et que vous vivriez, ma chère tante, longtemps, longtemps, pour continuer à faire le bonheur de tout le monde, et surtout votre petite amie. Signé Henriette ».

                                            Bertrand Galimard Flavigny




mardi 24 décembre 2013


            


                         Conte de Noël
                       LE SAPIN BLEU



                   « Petite feuille verte bouge dans l’arbre, petite feuille jaune vole dans l’air, petite feuille orange dort dans l’herbe, » chantonne Juliette, en saisissant un grand album relié dans un cartonnage rouge foncé. L'enfant le pose sur sa table devant la fenêtre. Dehors, une branche du grand sapin s'ébroue laissant échapper une volée de flocons de neige qui viennent glisser le long des vitres. Elle ouvre le cahier, comme pour lire. Des feuilles, de belles feuilles d'érable aux tons jaune vif, rouge sang ou les deux et aussi dorées surgissent dans les pages que Juliette tourne lentement comme pour mieux en savourer les couleurs. Chaque année au moment du foliage, sa tante Catherine organise pour elle et ses filles, une véritable chasse au trésor. À qui découvrira la plus belle, la plus étincelante ! Elles parcourent les Cantons de l'Est tout autour de Sutton, à la recherche des massifs les plus colorés, sans se lasser jamais de ces décors éphémères qui surgissent pour disparaître seulement quelques jours plus tard.
                   Cette année Juliette  a remporté le prix. Sur la route du retour, elle avait distingué comme une lueur perdue parmi les frondaisons de la lisière d'un bois.  -  " Là, la ! " avait-elle crié en étendant le bras en  direction d’un érable argenté. Tante Catherine avait garé la voiture quelques mètres plus loin, en était sortie et avait réussi à agripper la branche - heureusement pas trop haute - sur laquelle la pépite était suspendue. Les cousines, un rien envieuses, avaient applaudi l'exploit. Après une journée si fructueuse, la petite bande s'était ruée dans la boulangerie croissanterie Abercorn,  pour une distribution de muffins. On venait de loin,  même de Montréal, pour acheter ici ses gâteaux et surtout croissants considérés comme les meilleurs du Québec. Juliette se souvient encore, descendant les marches de la boutique avoir effleuré les poupées en paille posées sur deux madriers formant un banc sous l'enseigne bleu-gris de la boutique. Elles étaient encadrées par deux citrouilles, pas trop grosses et bien rondes dont l’écorce luisait sous les rayons du soleil pâle de l’après-midi. Il fallait bien marquer la fête d’Halloween.
                   Juliette a fixé au centre de l'album,  la feuille couleur argent. Elle semble avoir conservé toute sa fraîcheur. Sur le conseil de tante Catherine, elle a pris le soin de glisser chacune des feuilles entre ses pages puis de les maintenir serrées sous la pression de plusieurs livres très lourds,  afin qu'elles sèchent tout en conservant leur couleur.
                   Une nouvelle ritournelle chantonne dans sa tête. D'où peut venir cette musique ? Son père, la période de Noël approchant, a pris l'habitude de ressortir tous les DVD de  Christmas chorals qu'il a accumulés d'année en année. C'est un jeu, parmi d'autres, entre eux, de les classer lors de chaque période de Noël, dans un nouvel ordre afin de les écouter les uns après les autres. Tendant l'oreille, Juliette comprend que les notes qu’elle murmure lui sont dictées par une mélodie venant d'en bas. Son père est rentré et a allumé la chaîne hi-fi. Elle bondit, manquant de renverser sa chaise et se précipite dans l'escalier pour sauter dans les bras de son père.
- Papa, nous devons aller choisir un sapin.
- Attends un peu, que nous soyons vraiment à la veille de Noël, et puis, il est trop tard, maintenant, la nuit est presque tombée. Je te le promets, nous sortirons d’abord du placard, les ornements, les boules, les guirlandes, puis nous irons dans les bois.
                   Juliette est déçue.  Pourquoi attendre ? Elle se promet d'aller repérer l'arbre, non loin de l'étang, derrière la maison. L'enfant aime se promener dans cette partie des bois laissée libre de tout passage. Elle espère à chaque fois croiser de ces gros animaux qui font peur dans les livres d’images, mais qui s’enfuient à son approche. Déjà autour de la maison, elle a observé des traces de pas que son ami Gros-Louis, le vieil Indien-Huron qui habite là-bas dans sa longue hutte faite d’écorces, lui a appris à reconnaître. Celles qu’elle préfère sont ces deux petites pointes appartenant au cerf de Virginie. Vous savez celui qui a une queue blanche. Celles dont elle doit se méfier sont larges comme des soucoupes hérissées de cinq griffes : l’ours noir. 

                                               **********

                   La neige craque sous la pression des raquettes dont est chaussée Juliette. Elle a discrètement quitté la maison, emmitouflée dans une grosse et longue parka bleue, la tête sous un bonnet  et les mains enfouies dans des moufles. La bise qui a chassé les nuages, pique ses yeux. La fillette se sent bien, elle aime ces promenades qu’elle ne devrait pas faire seule. Elle n’ignore pas qu’elle pourrait croiser sur son chemin, survenant des taillis, un coyote, un caribou et même un ours. Elle ne les craint pas. La déesse Oranda la protège, elle l’a vue en rêve. Gros-Louis, l’ami Huron-Indien le lui a affirmé.

                   Juliette avait eu très peur ce jour-là. La neige n’avait pas encore complètement recouvert la campagne et les bois. Elle chantonnait comme à son habitude : « Neige, neige blanche tombe sur ma manche, et sur mon nez qui est tout gelé… Neige, neige blanche… » De la hutte de Gros-Louis qui apparaissait à travers les branches et les feuillages déjà rares, sortait une fumée blanche. Son grand ami allait lui offrir des gâteaux parfumés au sirop d’érable dont il avait le secret. Elle les savourait à l’avance. Soudain, elle avait entendu comme un claquement, un claquement de dents, suivi d’un grognement. L’enfant avait su à l’instant qu’un ours rodait autour d’elle. Assis sur son postérieur, il devait observer ce qui se passait autour de lui et l’avait sentie. Peu faraude, elle s’était immobilisée. Le grognement avait retenti plus fort. Juliette pétrifiée, avait fermé les yeux, puis un autre grognement moins rauque mais plus puissant avait résonné. Elle avait alors entendu une voix prononcer une phrase qu’elle n’avait pas comprise qui semblait donner un ordre à l’animal qui avait fui dans un fracas de branches brisées. Gros-Louis avait surgi à ses côtés, lui avait pris la main et lui avait expliqué que, désormais Oranda, la divinité de son peuple la protégerait quoiqu’il lui arrivât. De son sac, le vieil homme avait sorti un paquet de gâteaux au bon goût de sirop d’érable.




                   . Gros-Louis a deviné l’arrivée de  la visiteuse avant qu’elle n’apparaisse dans la clairière. Il se tient, un large sourire sur son visage ridé, sur le seuil de sa maison faite d’écorces. Elle semble  fragile, au premier regard, mais résiste autant au froid qu’à la chaleur.
-« Il faut que tu m’aides Gros-Louis, crie-t-elle avant même de l’atteindre. Papa n’a pas encore choisi le sapin. S’il attend trop longtemps, je ne pourrai pas le décorer, nous irons à la messe et la crèche sera toute seule, et quand je reviendrai il n’y aura pas de cadeaux.  »
-« Comment le veux-tu ce sapin », demande l’homme prêt à suivre les caprices de l’enfant ? »
- Oh, grand, grand, aussi haut que ta maison ! »
- « Bien, Et veux-tu que je le décore moi-même », ajoute-t-il avec un air malicieux qui échappe à son interlocutrice.
– « Oui, oui, je le veux tout bleu, avec des guirlandes bleues, des boules bleues ».

                   -« Viens par là ! » le vieil homme et l’enfant s’engagent dans un sentier dont on devine les traces grâce aux arbustes qui le bordent, puis débouchent dans une nouvelle clairière, au fond de laquelle trône un sapin fier de son branchage. Les cristaux de glace forment sur lui comme des éclats d’argent. L’enfant contemple émerveillée ce sapin de Noël, elle


s’apprête à applaudir lorsque Gros-Louis lui intime de ne pas faire de bruit. Il l’entraine dans un abri posé à la lisière et lui dit :
-« Chut ! Tu vas voir ».
 Un silence s’est posé sur la nature qui semble, elle aussi, attendre. Le ciel a pris cette couleur d’un bleu acier qui précède les grands froids. Le vent s’est calmé et les arbres en ont profité pour se reposer un peu de leur mouvement continu. On entend soudain comme un frottement perçant l’air.
-« Ferme les yeux ! » ordonne Gros-louis à Juliette ». Une faible clameur, des sifflements plutôt envahissent la clairière. L’enfant, les moufles posées sur ses yeux, tente de deviner ce qui se passe autour d’elle. « Regarde ! » Elle voit le sapin orné de centaines de petites boules bleues flottant au gré des branches. Gros-Louis avait invoqué Oranda afin d’attirer les geais bleus.
-« C’est mon cadeau de Noël », dit-il à l’enfant.
Sortant  alors de sa poche sa  feuille d’érable couleur argent ;  elle demande timidement, comment la poser au sommet de l’arbre, c’est l’étoile. 




                          Bertrand Galimard Flavigny
                                              2013











jeudi 3 octobre 2013



LA DERNIÈRE ÈPOPÈE DE MAURICE BARRÈS 

              « Les jardins de Qalaat étaient réputés parmi les plus beaux de la Syrie, dans un temps où les Arabes excellaient dans l’art d’exprimer avec de l’eau et des fleurs leurs rêveries indéfinies d’amour et de religion », note Maurice Barrès, dès les premières lignes de son roman Un Jardin sur l’Oronte. Celui-là évoque la Syrie au XIIIe siècle, mettant en scène un jeune Franc chrétien, Guillaume et Oriante, musulmane, favorite de l’ Émir qui vient de conclure un traité de paix avec le comte de Tripoli. Le chevalier tombe amoureux de la jeune femme qui lui envoie « une meilleure qu’elle », sa suivante Isabelle la Savante. Guillaume vit une fausse félicité, jusqu’à ce que le comte d’Antioche qui n’avait pas négocié de trêve, ne vienne mettre le siège devant Qalaat. Au cours des affrontements, l’Émir trouve la mort, laissant ainsi les deux jeunes gens, libres de vivre leur amour. Le récit ne s’achève pas de la sorte ; Guillaume et Oriante se perdent avant de se retrouver et être séparés à jamais. Un Jardin sur l’Oronte est une épopée à trois voix où l’on choisit l’enfer comme un délice, ou l’inverse. Des bras d’Isabelle à ceux d’Oriante, Guillaume, en goûte tous les délices et toutes les amertumes.
              Un Jardin sur l’Oronte a été publiée par Plon-Nourrit, le 17 mai 1922, (in-12). Le tirage de tête a été tiré à 50 exemplaire sur papier de Chine. Avec cet ouvrage, « Barrès, “vieux croisé sexagénaire” débouclait enfin son armure dont « il laisse tomber les pièces sur le gazon oriental des jardins de l’enchanteresque Oriante», notait André Fraigneau dans la préface qu’il donna à une réimpression dans la collection Alphée des Éditions du Rocher (1988). Ce roman, le dernier que Barrès ait écrit, car il mourut l’année suivante de la parution, ne plut pas à tout le monde. Il fut vilipendé par les néo-thomistes qui avaient vu, auparavant, en lui, l’un des chantres de la religion. Vallery-Radot publia dans La Croix, un article vengeur : « Ce qui nous cause un certain malaise dans la lecture de ce Jardin sur l’Oronte, c’est que hiérarchie classique des valeurs morales et religieuses se trouve bouleversée ». Barrès a confié à André Fraigneau qu’il était furieux de ces réactions. Mais quelle apothéose dans la “trahison” ! 
              En fait, Oriante ressemble à Anna de Noailles, née Brancovan, l’amour de sa vie. Les traits de “la musulmane courageuse” sont transparents. On ignore qu’ils s’étaient retrouvés et se revoyaient en secret depuis 1916. Comme tout bon écrivain - sincère - ils avaient conservé chacun le double de leurs lettres. Ils se mirent d’accord - preuve qu’ils se  rencontraient - pour que leur correspondance soit publiée en l’an 2000. Ce souhait n’a pas été respecté, elle a été publiée en 1994 (1). Entre temps, Un Jardin sur l’Oronte a bénéficié de trois éditions illustrées. La première chez Alexis Rieder à la librairie de la Revue Française par Hermine David par Hermine David (3/6 pointes sèches) ;  la deuxième en 1926,  aux Éditions G. Crès, par Othon Friesz avec 47 bois ; et la troisième aux  éditions Javal & Bourdeaux, par André Suréda. Celui-ci réalisa 17 aquarelles, gravées sur bois par Robert Dill. Il en a été tiré 490 exemplaires, dont 75 sur Japon impérial. On en rencontre contenant une suite des illustrations sur Japon impérial, la décomposition d'un hors-texte sur Chine et une suite des têtes de chapitre et des culs-de-lampe en noir et or sur Chine.  
              A Qalaat, en Syrie, un jardin conserve la fraîcheur de ses fleurs et des ses plantes. Des ruisseaux tirés de l’Oronte – dont le nom signifie en arabe, “rebelle” - le baigne sans cesse et murmure autour des buissons. On croit entendre parfois chanter une voix féminine : « Le bleu est sur Damas, sur Tripoli, sur  l’Europe, sur le désert, sur toute l’Asie, mais non ici. Dans tes bras, où que ce soit, je trouverai le bonheur, je trouverai l’univers. Mais toi, tu préfères nos souffrances et ta chaîne, à la liberté d’être tout l’un pour l’autre ».  
                                     
(1)   Anna de Noailles, Maurice Barrès : correspondance 1901-1923. Par Claude Mignot-Ogliastri, L’Inventaire, 1994.