PIM LA GOUTTE DE PLUIE
Le
train se traîne. Déjà une demi-heure en retard. Les nuages couleur anthracite
frôlent la cime des arbres. Les branches décharnées se déshabillent au passage
de la rame ; les derniers feuillages volent bousculés par le souffle qu’elle provoque, et choient de chaque côté
du ballast. Soudain, la pluie s’échappe des nuages et forme un rideau qui
accentue la pénombre. Aliénor se souvient de cette histoire qu’elle pensait
avoir vécue petite, tellement on la lui avait racontée. « Un après-midi
pluvieux, la petite Boon se sentait morose et contemplait les vitres mouillées
des fenêtres de sa chambre. Elle n’irait pas jouer dans le jardin tant que
l’ondée durerait.. » Aliénor se rappelle
cette après-midi pluvieuse qui, finalement, était devenue magique.
Le
train a pris de la vitesse. Ô pas trop ! mais il s’enfonce entre les collines
bordées de tant d’arbres dont les troncs sont si serrés qu’on n’en distingue
pas les sommets. La pluie cingle les vitres du compartiment. Le crépitement des
gouttes lorsqu’elles s’écrasent sur elles avant de glisser vers leur rebord,
devient familier. L’enfant tente de percer du regard cet étrange voilage fait
d’eau et d’ombres mouvantes. La tristesse du paysage le recouvre tout entier.
Si, au moins, le temps avait été plus froid, la neige aurait tout recouvert et
enchanté le regard. Demain, ce sera Noël, le train arrivera-t-il à temps pour
rejoindre la maison du Mesnil et y
retrouver ses parents et Léandre son grand-frère qui, du haut de ses dix ans
tout neufs, ne manquera pas de la taquiner, comme ses grands cousins et encore
sa tante Diane, la plus jeune, Bérénice, la grande, les autres oncles et
tantes, et Grand-père. Elle trépigne, demandant secrètement au train de rouler
plus vite.
Afin
de tromper son impatience, Aliénor suit le ballet involontaire formé par les
gouttes de pluie glissant désordonnée sur la surface de la vitre. Et, soudain,
elle entend une petite voix qui l’appelle : - Aliénor ! Aliénor !
- Qui
me parle ?, se demande la petite fille cherchant autour de son siège d’où vient
ce murmure.
– Ici, non, là, devant toi. Regarde
je suis celle qui tourbillonne. Je m’appelle Pim.
Aliénor pense rêver. Boon ! Pim ! la Gocce di pioggia comme la nommait Grand-père, avec les images
dessinées par son amie Monique, reviennent vers elle. (1)
-Pourquoi es-tu si triste ? lui demande la goutte de pluie.
–
Sais-tu que demain sera Noël. Avant la veillée, je veux dresser avec mon
frère et Diane , la crèche, sortir les santons de leur boîte, les disposer tout
autour de la grotte faite de papier, sans oublier le petit marin et surtout le
musicien qui rappelle mon cousin Christophe, et puis, le départ pour la messe
et puis la fête autour du sapin décoré et illuminé. C’est à moi, maintenant
dans les bras de mon Papa de poser l’étoile à son sommet. Puis, la veillée, les chants et les rires et les
nouvelles histoires que raconte toujours Grand-père ce soir-là…
Le
train ne roule pas assez vite. Aurait-il pris un autre chemin et se serait-il
perdu dans une immense forêt dont on ne sortirait jamais. Aliénor éclate en
sanglots. Grand-mère qui n’avait pas
remarqué l’émoi de sa petite-fille, la serre contre elle et la berce
pour la rassurer.
-
J’ai une idée, lance Pim pour, elle aussi, tentant de consoler Aliénor.
Tu vois toutes mes amies autour de moi, elles vont danser pour toi. Elles vont
d’abord s’habiller avec les reflets de couleurs qu’elles vont ramasser où elles
le peuvent ; pendant ce temps, je vais m’échapper en sautant sur l’une des
flèches d’eau qui longe la rame. Elle me portera jusqu’à la locomotive et plus
loin encore ; je verrai sans doute une lueur qui me fera comprendre que nous
arriverons bientôt. Je reviendrai te le dire.
L’enfant bat des mains, tandis que sa nouvelle
amie s’élance et que toutes ses sœurs glissent et virevoltent, formant des
figures les plus audacieuses, puisant dans chaque couleur de quoi émerveiller
leur spectatrice.
Pim
surgit et rompt l’ordonnance et la chorégraphie, en lançant à ses sœurs :
- Vite ! vite ! Nous allons pénétrer
dans une éclaircie, réfugions nous dans la rivière que nous allons longer,
sinon nous allons disparaître.
-
Non, Non, vous n’allez pas me quitter, s’écrie Aliénor.
- Tu arriveras bientôt dans la maison.
Rassure-toi, je suis revenue pour te le dire. Mais je ne t’abandonne pas, nous
nous reverrons…
Et elle disparaît.
xxx
Au
Mesnil, Grand-père est assis, un livre à
la main, devant l’âtre du salon. Sa
petite-fille se précipite dans ses bras et se juche sur ses genoux.
- Grand-père, Grand-père, j’ai
retrouvé Pim.
-Tu veux parler de l’amie de Boon ?
-Oui, elle m’a accompagnée tout au
long du voyage. Elle m’a promis que nous nous reverrons.
-J’en suis persuadé, lui répond son
grand-père. Sois bien attentive ».
xxx
L’enfant
contemple la crèche installée sur le large coffre, entre les deux
portes-fenêtres. Léandre a eu l’idée d’ajouter dans le paysage, un miroir d’eau
afin que les oies, les canards, les moutons et les autres animaux puissent s’y
abreuver. Les guirlandes sur le sapin clignotent jetant leur couleur par
intermittence sur le décor de la crèche. En se penchant pour mieux contempler
les santons, Aliénor bouscule légèrement le meuble provoquant une risée sur le
miroir. Elle entend alors la petite voix qu’elle reconnaît :
- Je t’avais bien dit que nous nous
reverrions.
Allusion à l’album Gocce di Pioggia illustré par
Monique Michel-Dansac, SEI (Società
Editrice Internazionale), Turin, 1972
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