mardi 23 décembre 2014



Conte de Noël
MON BATEAU PERDU

             Du Grand Bé, je m’imaginais à la proue d’un navire. Derrière moi, Saint-Malo s’éloignait et,  battu par un vent de terre, je devinais une grand voile se gonfler et voyais un foc se raidir comme si un souffle plus violent avait décidé de le maintenir ainsi. Je commandais à mon compagnon, le seul habitant de l’île qui réside ici depuis plus d’un siècle et demi, de m’aider à le border au plus serré. Je m’élançais vers le large, plein est. François-René • était le témoin de tous mes rêves et même de mes premiers émois amoureux. Je n’avais pas hésité à lui présenter Gwendoline, ainsi nommée parce que ce nom sonnait et rimait avec cristalline. J’appris plus tard qu’il signifiait « pur » ou « blanc » et « anneau ». De quoi enchanter l’adolescent que j’étais alors. C’était l’année où mes camarades ne cessaient d’évoquer la « mustang » pilotée par Jean-Louis Trintignant, en  chantonnant « chabada, bada » tout en mimant des essuie-glaces qui poursuivaient inlassablement leur course sur un pare-brise imaginaire. Moi, à l’ombre de la  croix de granit qui marque la tombe du poète, je croyais l’entendre déclamer : «  J'aime à créer des mondes enchantés /Baignés des eaux d'une mer inconnue. ».
             Réfugié, avec mon amie, dans ce qui peut passer pour une grotte, juste en dessous de la plate-forme de la tombe du grand homme, je récitais des petits vers de  ma composition dans lesquels je la chantais elle et la mer ; me penchant vers son visage, je lui demandais « Que voit-on dans ton regard ? De la mer, beaucoup de tempête que colore un peu d’or… » Elle souriait indulgente ou charmée et nous bondissions sur les rochers glissants que la marée commençait à recouvrir. Nous nous enfuyions frôlant à chaque fois l’abîme. Je lui disais qu’un jour je retrouverais mon bateau et que nous franchirions des mers si lointaines que nous aborderions des îles encore inconnues.
             Oui, j’avais perdu mon bateau. Ô ! un tout petit voilier à la coque couleur bleu tendre et à la quille peinte en rouge. Une minuscule barre permettait de faire pivoter le gouvernail. Le pont était lisse dépourvu de dunette. Il était bien rustre mon bateau. Nous l’avions lancé, non pas à la mer, mais dans le bassin du jardin du Luxembourg, avec Grand-père. Il l’avait façonné de ses mains. Cela, je l’ignorais, car j’avais découvert mon voilier, un matin, encore ensommeillé, mais émerveillé, sous le sapin de Noël. Ses branches clignotaient ; dans la crèche sur la cheminée du salon, l’Enfant Jésus que nous avions déposé, la veille, en rentrant de la messe de Minuit, mes sœurs et moi, semblait me sourire en me disant : « Tu le vois, ton vœu a été exaucé. Je t’ai apporté ton bateau ». J’ai vogué à son bord, tantôt en solitaire, tantôt accompagné de mousses que j’embarquais cérémonieusement pour des campagnes dans le bassin du Luxembourg, celui des Tuileries, et plus loin encore sur le Grand Canal du château de Versailles. Ces étendues d’eau parcourues par de faibles risées avaient la valeur de mers et d’océans. Marc, le meilleur courait gaffe à la main, tandis que Marie s’affairait avec son pinceau afin que l’on se souvienne, disait-elle, de nos expéditions. J’ai conservé l’un de ses dessins. Il m’a aidé à me rappeler les traits de mon bateau disparu. Il n’a pas sombré, je le sais. Il a, par un jour de grand vent, brisé son aussière, arraché l’ancre et s’en est allé seul, cette fois, vers ces mers inconnues avant d’échouer sur le rivage d’une île lointaine.
             Tandis que l’ Hanternoz, ce vent du Nord ou de minuit bouscule les branches et les massifs dans le jardin tout en frappant les vitres, je contemple la mer qui n’a pas encore accueilli la nuit. Derrière moi, les enfants, Léandre et Aliénor les petits,  tournoient autour du sapin et tendant à Diane, la grande, les boules rouges, dorées ou argent et les mille accessoires décoratifs qui vont le décorer. Pendant que je hisse la petite dernière à la hauteur de la pointe de l’arbre afin qu’elle y fixe l’étoile, je songe encore à mon bateau disparu. « Grand-père », lance le bonhomme qui s’est saisi d’une paire de jumelles et regarde vers le large. « Grand-père ! – oui, c’est moi maintenant – regarde, il y a un bateau qui s’approche. Il ressemble à ton dessin dans ton bureau ».  Il ne croit pas si bien dire, Léandre ; dans l’armoire,  parmi les autres, un gros paquet lui est destiné. Sous les papiers et les rubans, l’objet ressemble vraiment au dessin.
                                       
Chateaubriand a été inhumé en 1848 sur l’île du Grand Bé au pied des remparts de Saint-Malo. Inhabitée, l’île est accessible à pied lors des marées basses.



Conte de Noël
TU BÂTIRAS ICI UNE PETITE CHAPELLE


Là-bas, derrière les hautes haies, sur la petite colline, une fontaine a soudain jailli au bord du chemin. On lui a donné le nom de Saint-Martin, en souvenir de l’évêque de Tours qui, dit-on, passa par ici. Sans doute revenait-il d’une visite qu’il avait faite à son ami Hilaire, évêque de Poitiers ? La route ne devait pas être dans un bel état en ces temps anciens, on prétend que l’ancien circitor qui n’était désormais habillé que par la moitié de son manteau, après qu’il en eut donné l’autre partie à un pauvre hère, eut soif et fut guidé vers cette eau qui sortait de la terre. Si la légende perdure quant à son passage, elle tient davantage aux histoires que se racontaient les lavandières. Celles-ci profitant de cette eau coulant en abondance firent bâtir un lavoir. Et durant des années et des années, on entendit dès le printemps et jusqu’à la fin de l’été,  leurs rires et leurs saillies mélangés aux claques des battoirs s’abattre sur le linge humide. A l’exception d’un jour, où soudain, ces joyeuses ritournelles cessèrent d’un coup. Il y eut un grand silence, les oiseaux qui n’hésitaient pas à se mêler des folles conversations, s’étaient tus. Les bovins dans les prairies voisines avaient suspendu leurs meuglements, les chevaux eux-mêmes avaient arrêté leurs cavalcades. Le vent qui caressait doucement, en cette basse saison qui annonçait déjà l’automne, semblait s’être assoupi. Seule la clarté du jour s’était faite plus intense. Oh ! les bonnes femmes n’avaient pas été saisies de crainte, elles s’étaient figées, le cœur battant comme à l’annonce d’une heureuse nouvelle.
             Elles avaient vu surgir du chemin, marchant tranquillement dans les ornières encombrées de cailloux et d’herbes encore sèches, une jeune femme vêtue d’une simple robe blanche galonnée de bleu. Le châle qui la  couvrait était composé de la même étoffe tissée avec les fils les plus fins que l’on puisse connaître. La dame souriait tout en s’approchant des lavandières toujours à genoux dans leur carrosse duquel dépassait une bonne épaisseur de paille. Elles avaient toutes tourné la tête vers l’apparition. Elle s’arrêta, et avec une voix douce, leur demanda quelle était la direction de la petite chapelle d’Oroux. Les femmes se regardèrent les unes les autres et haussèrent les épaules en signe d’ignorance. La plus hardie se releva de sa caisse en bois rongée par les jets de cendre avec laquelle on frottait  le linge, et proposa à la dame de l’accompagner vers le château d’Oroux, tout en lui disant qu’elle y connaissait une grande chapelle attenante au logis principal, mais pas du tout de petite chapelle. La si belle visiteuse acquiesça, remercia la compagnie et suivit la paysanne qui lui dit se nommer Élisabeth. « Ah, comme ma cousine ! », lui dit la dame, d’un air amusé, avant de se désigner : « Je suis Marie ».
             A ce moment, un vol d’oiseaux de toutes les espèces tourbillonna au-dessus de la scène, ceux qui étaient demeurés sur les branches reprirent leurs chants, les animaux lancèrent à leur tour leurs cris, le vent en profita pour recommencer ses caresses dans les feuillages. Les chevaux hennirent et l’on entendit même braire un troupeau d’ânes parqué non loin de là. Les femmes n’osaient s’avouer qu’elles avaient reconnu la bonne Dame. Pendant ce temps, Celle-ci guidée par la jeune Anne descendait le chemin, suivant la rivière de l’Altrère. Elles aperçurent déjà les tours carrées de la maison. En chemin, Marie saisit les boutons d’un rosier blanc et les garda dans sa main.
                                               °                 °
             Raphaël, réfugié dans son bureau, entendait dans la grande salle, les enfants se chamailler. Ils avaient, ce matin, décoré le sapin, installé la crèche, convenu que ce serait la plus jeune qui déposerait cette nuit, l’Enfant-Jésus dans la mangeoire. Se retournant, il aperçut une curieuse lueur, de l’autre côté de l’étang. Il décida d’y aller voir. Il crut deviner les contours d’une petite bâtisse qui ne pouvait évidemment pas exister. Un rosier aux corolles blanc éclatant se dressait à la croisée du chemin et du ruisseau. Il entendit,  sans voir quiconque,  le rire d’un enfant et la voix douce d’une mère ;  puis une voix, cette fois s’adresser à lui : « Tu bâtiras ici, une petite chapelle, et tu Nous y accueilleras l'Enfant et moi,  au prochain Noël ».
                             

lundi 1 décembre 2014

La Semaine de MAGISTRO Au-delà des appareils et des discours dits de droite, dits de gauche ou d'ailleurs, 
 (www.magistro.fr/ )

Un impôt sur les vices

"La chasse aux recettes" est un jeu difficile et périodique. Tous les régimes au cours de toutes les époques ont cherché les moyens les plus inavouables pour tenter de boucler leur budget. L’impôt n’a jamais été populaire ; le sujet puis le citoyen, est conscient que sa cotisation est nécessaire au fonctionnement de la marche de l’État. À condition de ne pas voir sa participation être précipitée dans un trou sans fond, sans d’autre effet que d’exiger qu’il soit sans cesse alimenté. Il apparaît en effet que depuis quelques mois, ceux qui dirigent aujourd’hui la France n‘aient d’autre occupation que de ramasser ce que contient le porte-monnaie du Français. Que restera-t-il lorsque ces bourses seront définitivement aplaties ?

Comme je suis finalement un bon citoyen et que je suis navré de constater que nos efforts financiers sont toujours en situation d’échec, j’ai cherché une manière d’aider les fonctionnaires de Bercy, en leur donnant une idée pour découvrir de nouvelles sources de revenus. Pourquoi ne pas leur proposer une substitution ? Plutôt que de taxer les biens, pourquoi ne pas imposer les vices ?

Dans une chronique parue au XVIIIe siècle  sous le règne de Louis le Bien-aimé, un certain abbé Gabriel-François Coyer (1), affirmait avoir "découvert la  pierre philosophale". Selon lui le parjure, la médisance, le larcin, l’infidélité conjugale, les dettes, les petites maisons seraient des sources de revenus inépuisables.
"À 7 sols et 6 deniers, le parjure, est-ce trop ? Cent mille personnes y succombant chaque jour rapporteraient 35 000 livres, soit sur une année : 19 215 000  livres. À 3 sols la médisance pour un million par jour, le revenu s’élèverait à 54 900 000 livres l’an. Mais précisait l’abbé Coyer comme la médisance est naturelle au féminin, cette taxe risquerait de condamner les dames au silence perpétuel. Alors, réduisons la taxe de moitié, soit 27 450 000 livres. Les mentalités ayant évolué, la médisance est désormais habilement partagée entre les sexes, je suggère de ne pas la diviser de moitié.
A raison de cent mille vols par jour, taxés chacun de 20 sols, le compte se gonflerait de
36 600 000 livres par an. Quant aux infidélités l’abbé  les chiffrait à 50 000 par semaines afin de les taxer 1 livre et 10 sols, ce qui rapporterait la 3 900 000 de livres par an. "Pourquoi un chiffre si peu élevé ? Paris donnant l’exemple il est bon qu’elle ne soit pas gênée dans ses leçons, afin que le reste du royaume, en les pratiquant, rende davantage au trésor public."
Et l’abbé Coyer examinait les dettes. "Puisque cela est, en France, un titre de noblesse, taxons-les", affirmait-il. Reconnaissons que cela n’est pas toujours vrai, il était prêt à exempter les dettes de jeu et les sujets qui donneraient 10 000 livres par an aux pauvres. Les débiteurs taxés ne seraient plus ainsi que cent mille ; mais leur vice rapporterait, à raison de 10 sols le débit 18 300 000 livres par an.
Enfin, pour avoir une grande maison, il ne faut que 30 000 livres de rente. Les trains des petites maisons exigent en revanche 100 000 livres à bon marché, calculait-il. Il convient donc de les taxer. Ceci rapporterait 680 000 livres par an. Cela, les gens de Bercy n’ont pas attendu l’abbé Coyer, pour se jeter à la fois sur l’immobilier et sur, non pas le train, car cela ne se dit plus, mais sur les aides ménagères, maternelles, bref tout ce qui aide les familles.

La valeur de cette nouvelle pierre philosophale s’élèverait donc à 100 614 000 livres l’année ; somme non négligeable si l’on songe que le produit du "Dixième" rapportait à l’époque cent millions de livres. A la suite de ces différents calculs, l’abbé polémiste estimait que la taxe sur les vices pouvait tenir lieu de tout impôt (l’excèdent de 614 000 livres étant destiné à payer les employés de la nouvelle ferme). Et, ajoutait-il, "en taxant les vices au lieu des ces biens, il n’y aurait de taxés que ceux qui voudront bien l’être."  Le seul risque de cette imposition serait qu’il parvienne à corriger la nation et ainsi tarir les ressources des fonds publics. Aucun risque, affirmait le législateur fantaisiste, "cela n’arrivera jamais".

Ce système fait rêver. Voilé enfin la probité rendue gratuite. Qui donc pourrait l’obtenir aujourd’hui ? Le parjure, la médisance, le larcin, l’infidélité, les dettes ne sont-ils pas  monnaie courante ! Je n’ose pas ajouter, de peur d’être taxé pour avoir exprimé de l’antiparlementarisme (10 livres et 5 sols), davantage du côté des hémicycles. Quoi qu’il en soit les technocrates du quai de Bercy pourraient peut-être consulter l’abbé Coyer ?


(1) L'abbé franc-comtois Gabriel-François Coyer (1707-1782) entra dans la Compagnie de Jésus qu’il quitta au bout de huit ans. Il fut le précepteur du duc de Bouillon puis du prince de Turenne. Il se révéla comme écrivain en 1748 avec ses dissertations, réunies en 1754 sous le titre ''Bagatelles morales'' où il faisait avec humour le procès des mœurs de son temps et qui lui firent alors la réputation d'un auteur original et spirituel, mais quelque peu frivole‎. 

vendredi 13 juin 2014



RELIURES EN FLEURS POUR JEAN DÉRENS

Jean Dérens, conservateur général de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, disparu récemment, a fait rayonner la reliure de création en organisant de nombreuses expositions, en groupe ou particulière, qui ont attiré un public fidèle et toujours nombreux. Afin de perpétuer son action et de lui rendre hommage, l'Association pour la Promotion de la Reliure (APPAR) a organisé début juin 2014,  une exposition sur le thème des fleurs à la Mairie du 1er arrondissement de Paris. 80 reliures originales inspirées par ce thème peu exploité, rappelleront   l’affection particulière qu’avait Jean Dérens pour l'art floral. Le Prix Jean Dérens, remis par ses enfants, Laure et Hadrien, ont couronné une des reliures en fleurs. 
Nous nous souvenons de Jean Dérens qui aimait parler grec ou latin, évoquer autant un texte classique que parler de bonne chère et l’apprécier. Cet érudit gourmand en tout, esthète à sa manière savait témoigner de son amitié, après avoir dûment examiné l’impétrant. Il nous avait promis un plat composé de crêtes de coq, avant de citer Malherbe, Ronsard et Baudelaire et de caresser la peau travaillée d’une reliure.
                                                             BGF
Catalogue : Reliures en fleurs, Hommage à Jean Dérens, Introduction de Florent Rousseau, Annie Boige., Photographies couleur de Marc Paturange, Ed. Art et Métiers du livre, 100 ill. 100 p. 35 €.