samedi 20 mars 2010

Bibliofolie / LE MOINE ET LES VAMPIRES


Les vampires sont entrés dans la quatrième édition, celle de 1762, du Dictionnaire de l’Académie française, avec cette définition : « Nom qu'on donne en Allemagne à des êtres chimériques, à des cadavres qui, suivant la superstition populaire, sucent le sang des personnes qu'on voit tomber en phthisie (sic). » Ces êtres venus de l’au-delà avaient déjà été examinés par le frère bénédictin Dom Augustin Calmet (1672-1757). Après avoir séjourné dans plusieurs abbayes de son ordre, et de multiples recherches philosophiques et théologiques en bibliothèques, il fut élu abbé de Sénone, la capitale de la principauté de Salm dans les Vosges. C’est là qu’il écrivit la Dissertation sur les apparitions des anges, des démons et des esprits et sur les revenans, et vampires de Hongrie, de Bohême, de Moravie et de Silésie (Paris, de Bure, 1746, in-12). Voltaire, après lu cet ouvrage, s’écria : « Quoi ! C’est dans notre XVIIIe siècle qu’il y a eu des vampires ! C’est après le règne des Locke, des Shaftesbury, des Trenchard, des Collins ; c’est sous le règne des d’Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos qu’on a cru aux vampires, et que le RPD Augustin Calmet, prêtre, bénédictin de la congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hidulphe, abbé de Sénone, abbaye de cent mille livres de rente, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a imprimé et réimprimé l’Histoire des Vampires, avec l’approbation de la Sorbonne, signée Marcilli ! ». Tout rationaliste qu’il était Voltaire ne manqua pas d’examiner ce traité des vampires et de l’exploiter à sa façon. Bien plus tard, le libraire Dorbon, dans son catalogue, Bibliotheca Esoterica mettait l’accent sur d'assez curieux chapitres renfermés dans l’ouvrage : "Sentiment des anciens Grecs et Latins sur le retour des Ames et sur leurs évocations par la Magie ; Evocation des Ames des trépassés ; Apparitions des Spectres ou des Démons, et des Esprits Spectres ou Démons qui causent la tempête ; Feu de S. Elme ou de S. Germain ; Apparitions d'hommes vivans à d'autres hommes vivans et éloignés […]; Les Démons sont ils gardiens des trésors cachés […] ;Morts de Hongrie qui sucent le sang des vivans […] ; Les excommuniez pourrissent ils en terre […] ; Morts qui mâchent comme des porcs dans leurs tombeaux » , etc.
La « Dissertation », très vite épuisée, fut réimprimée en 1749 à Eindieseln. Si ce "Traité" connut un succès véritable, il provoqua quelques réactions, notamment celles dom Ildephonse Cathelinot, un ami de Calmet : « Je vous dirai franchement que cet ouvrage n’est point du goût de bien des gens, et je crains qu’il ne fasse quelque brèche à la haute réputation que vous vous êtes fait jusqu’ici dans la savante littérature. En effet, comment se persuader que tout ces vieux contes dont on nous a bercés dans notre enfonce sont des vérités ? » De son côté l’abbé Nicolas Lenglet-Dufresnoy (1674-1755), un érudit polémiste qui disait de lui-même : « Je veux être franc Gaulois dans mon style, comme dans mes actions », stigmatisa le manque d’authenticité et de certitude dans l’examen des faits soulevés par Calmet. Son Traité historique et dogmatique sur les apparitions, les visions et les révélations particulières, avec des observations sur les dissertations du R.P. dom Calmet,… (Avignon ; et Paris, J.-N. Leloup, 1751. 2 vol. in-12.) est pour le moins assez violent. En toute humilité, Calmet reprit son texte, tenant compte de tous les reproches qui lui avaient été faits et sortit une nouvelle version corrigée et augmentée, toujours chez de Bure, en 1751 en 2 volumes in-12, sous le nouveau titre : Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenans de Hongrie, de Moravie, & c. […] Avec une lettre de M. le marquis de Maffei sur la magie. Ce dernier, auteur italien né à Vérone (1675-1755) fut un esprit éclairé et un érudit célèbre dans toute l’Europe. Cette nouvelle édition fut traduite en allemand à Augsbourg dès 1752 et en italien à Venise en 1756. « Je n’écris que pour des esprits raisonnables, et non prévenus qui examinent les choses sérieusement et de sang-froid », écrivit dom Calmet dans sa nouvelle préface.


Vu à la librairie Villa Browna, à Paris, un exemplaire relié en plein veau, comportant l’ex-libris gravé de Germain Barré, curé de Mouville près de Rouen, et de Monsieur [Michel] Cousin, avocat du Roi au balliage de Caus, Dieppe, affiché 950 €. - http://www.villabrowna.blogspot.com/ - www.villabrowna.com

Le « Traité » a été réédité sous le titre Dissertation sur les vampires par les Ed. Jérôme Million, 1998

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