mardi 2 mars 2010

LETTRES DE LA JEANNE D'ARC VIII


- LE RETOUR -

Le pilote de l’hélico est particulièrement de bonne humeur ; tandis que l’engin s’incline et file, dans les airs, laissant en bas, sur la surface de l’eau, le bâtiment poursuivre sa route, il jubile. Sa voix transformée dans le casque, décrit à l’avance sa maison que nous allons survoler tout à l’heure. Il sera le premier de tous les membres de l’équipage de la Jeanne à apercevoir son toit. A-t-il prévenu sa famille ? Non, mais le simple bruit des rotors, devrait la faire sortir dans le jardin. Nous distinguons les côtes de plus en plus précises. L’écume bat les rochers, les bandes blanches s’opposent aux rocailles brunes qui cèdent la place aux champs verts cloisonnés de petites murailles grises. La Bretagne vibre sous nos pieds, comme si l’appareil demeurait immobile. « C’est là, à droite ! » entendons-nous hurler dans le casque. Une maison toute simple, ceinte d’une haie et d’un grillage. Un portique se dresse solitaire parmi les jouets oubliés. C’est l’heure de l’école, la maison est vide. Le pilote est déçu. Nous avec lui.
Au large, La Jeanne a poursuivi sa route, encore trente-six heures, elle accostera et se remettra de ses huit mois passés en mer. Nous allons à sa rencontre ; parvenue à son niveau au-dessus de la mer, la Gazelle se met en position stationnaire, le temps de prendre plusieurs photos.

Dans le téléobjectif, je vois soudain la proue prendre une taille inquiétante. Le bâtiment approche, tandis que nous sommes à l’arrêt. Un léger mouvement du manche et l’appareil s’élève au-dessus de la Jeanne qui, majestueuse, glisse en dessous de nous. Nous détaillons les moindres détails de ses structures, depuis ses quatre tourelles posées comme de gros insectes au dard vigilent, sa cheminée accotée au mât hérissé de branches, de fils et autres grillages qui sont des antennes de radar. Les « étuis à canote » tout blanc encadrent le pont d’envol et lui donnent un petit air apprêté. Les cinq cercles marqués d’un chiffre destinés à marquer la place des hélicos, font songer à un parcours de golf. Un signal, il est temps d’apponter. Le « chien jaune »* guide l’appareil à l’aide de ses gros gants blancs. Nous nous posons, l’homme croise les deux mains : c’est bon. Les hélices en profitent encore et tournent comme poussés par le vent.
Nous sentons un frémissement nouveau à bord. Le service se poursuit implacable avec ses appels dans le haut-parleur, ses alertes, ses courses dans les coursives, ses descentes ou montées dans les escaliers… Dans les postes de l’équipage, comme dans ceux des élèves-officiers, ceux qui ne sont pas de service bouclent leur sac, ajoutent des paquets. En huit mois d’absence et bon nombre d’escales, on a accumulé objets et souvenirs. Au carré des officiers subalternes, le président dudit carré pose devant lui les « attributs » de sa fonction : « la gaffe », le « brancard » et autres objets bizarres ; le plus jeune des midships se lève et lit le menu du jour – le dernier – en se conformant au cérémonial que l’on dit être immémorial, sans oublier les titres les plus ronflants, le nom du saint du jour, la fête à souhaiter le lendemain et de dire l’heure qui ne peut être que « midi, selon la montre en or massif du commandant ». Bref, le maître d’hôtel se précipite pour servir enfin, tandis que nous songeons devant la fresque qui orne la cloison, composée par Claude Schurr, peintre officiel de la marine (P.O.M) que la France n’est pas composée de superpositions colorées qui donnent un peu le tournis.
Les sacs des permissionnaires sont bouclés, les valises des élèves-officiers fermées. Les caissons ont été vidés. « Au poste de bande » ! La Jeanne doit être belle pour son retour à Brest. Les hommes et les femmes, casquette blanche et coiffe blanche sous le pompon rouge forment une longue chaîne le long de tout le bord. La musique de la flotte prend place sur le pont d’envol. La flamme de guerre claque au vent et file vers l’arrière. Le P.H.Jeanne d’Arc flanquée de sa conserve habillée dans la même tenue, franchit le Goulet et pénètre majestueuse dans la rade. Des dizaines de petits bateaux, toutes voiles dehors s’approchent pour l’escorter, les sirènes mugissent, les autres bâtiments saluent, les trilles des sifflets des boscos passent par-dessus les bords, la musique joue, quel est ce sonneur de cornemuse, le toubib ? De deux lourds canotes ont en entend des cris et l’on voit des femmes surtout et des enfants agiter les bras : les familles. Le dernier accostage de la campagne est terminé, les passerelles relient le bâtiment à la terre… (fin)



* nom donné à l‘apponteur, vêtu d’un casque et d’un chemise ou blouson jaune.

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