lundi 8 mars 2010
CONFUCIUS, CE GÉANT
A l’occasion de la publication des Philosophies confucianistes, dans la collection de la Pléiade, nous nous sommes demandés, quand les occidentaux ont-ils eu accès à la pensée du sage chinois.
La pensée confucéenne se cristallisa au seuil de l’Empire, avant de connaître une véritable transmutation au XII° siècle, en réaction à la montée du bouddhisme et du taoïsme. Confucius (vers 551-vers 479) était le fils d’un noble Song, affirmant descendre de la dynastie royale Shang, et d’une jeune concubine. Son patronyme était Kong mais il fut familièrement appelé Qiu, ce qui signifie « colline » ; son nom social était Zhongni. Lorsqu’il commença à enseigner, on le désignait comme Kong zi (maître Kong) ; après sa mort, il devint Kong Fuzi (l’illustre maître Kong). C’est ce dernier nom, qui, latinisé par les Jésuites au XVII° siècle, a donné Confucius.
Il semblerait que fort pauvre, le jeune Kong Qiu n’ai pas fréquenté d’école, ni avoir eu de précepteur, quoique certains auteurs comme Eulalie Steens, assurent « qu’il put sans doute fréquenter une école réservée aux nobles, mais on ignore qui fut son directeur spirituel » (1). Toujours est-il que, particulièrement doué, il parvint à maîtriser les écris anciens et peu à peu à gravir les échelons de la vie publique, jusqu’à devenir ministre de la justice du duc Ding de Lu, non sans avoir été plusieurs fois envoyé en exil et avoir pérégriné dans les huit principautés de l’Empire. Pendant tout ce temps, ce géant – il aurait dépassé les deux mètres - formait des disciples et mettait au clair ces écrits anciens dont il s’était nourri, ses réflexions et ses enseignements. « Durant les deux millénaires que dura l’Empire, la vision de la fonction impériale, s’articula toujours dans un contexte confucéen », souligne encore Eulalie Steens. Il ne nous appartient pas ici de décrire, ni de résumer la pensée de Confucius. Sachons toutefois que le Lunyu, les « Entretiens », comme le soulignent Charles Le Blanc et Rémi Mathieu, traducteurs et préfaciers des Philosophes confucianistes dans la collection de La Pléiade (2), « façonna le cœur et l’esprit non seulement de la Chine, mais aussi de la Corée, du Japon et du Vietnam ». En réalité, six textes et cinq auteurs forment le socle sur lequel s’est bâti, au long des siècles, l’école de Confucius. Le Lunyu se complète par deux autres textes majeurs : le Meng zi et le Xun zi et par trois brefs traités, le Dagxue, « la grande étude », le Zhongyong, « la Pratique équilibrée », et le Xiaoking, « le Classique de la piété filiale ». Les auteurs de la collection de la Pléiade les ont traduits à partir des éditions parue à Pékin en 1954 et réimprimée à Taipei en 1972.
GRÂCE AUX JESUITES
La pensée de Confucius est parvenue en Occident grâce aux Jésuites installés en Chine dès le début du XVII° siècle. Le P. Prosper Intorcetta (1625-1696) qui, se conformant à l’usage de ses confrères avait pris le nom chinois de Yin-to-thse, et le surnom de Kiosse, fut d’abord l’éditeur de la traduction en latin par le jésuite portugais Ignace de Costa du Taï-hio, nom donné au premier livre de Confucius. Il a été imprimé à la chinoise, avec le texte original, à Kian-tchang-fou, dans la province de Kiang-si, en 1662. Le père Intorcetta publia ensuite Le Tchoung-young, traduit en latin sous le titre de Sinarum Scientia politico-moralis, qui imprimé moitié à Canton, moitié à Goa, (petit in-fol. 1669). Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832) décrit ces ouvrages, dans Les Nouveaux mélanges asiatiques (1829) : « Les douze premiers feuillets sont imprimés avec des planches de bois sur papier de Chine plié double. Les feuillets 13 à 26 sont sur papier d’Europe et en caractères mobiles, aussi bien que quatre feuillets non numérotés et ayant pour titre : Confucii vita. On voit sur la dernière page le sceau du P. Intorcetta, en anciens caractères chi¬nois, et ces mots : Goæ iterum recognitum, ac in lucem editum, et la date du 1er octobre 1669. Il semblerait qu’il existe une réimpression de Goa, faite en 1671, (in-8°). On n’en connaît aucun exemplaire. Il y en aurait une autre imprimée à Nankin en 1679. Toujours est-il que le seul exemplaire connu de l’édition de 1669, est conservé à la bibliothèque de Vienne.
La véritable première édition européenne des œuvres de Confucius est l’édition latine imprimée à Paris en 1687 pour Daniel Horthemers (in-folio) sous le titre complet : Confucius Sinarum philosophas, sive scientia sinensis latine exposita, studio et opéra PP. soc. Jesu (Prosp. Intorcetta, Christ Herdtrich, etc.) orné d’un portrait de Confucius et d’une carte gravée par François de Louvemont. Le dernier exemplaire que nous ayons vu passer en vente a été adjugé l’équivalent de 18.000 € en 1987. Cet ouvrage, largement diffusé en Europe, a eu une répercussion importante sur les intellectuels de l’époque et du siècle suivant. Presque aussitôt, l’année suivante sortait, sans nom d’auteur, la Morale de Confucius, philosophe de la Chine, à Amsterdam, chez Pierre Savouret. Cet essai n’est pas une traduction des œuvres de Confucius, mais un commentaire. Il est attribué à Jean de La Brune dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’il est l’auteur de La Vie de Charles V, duc de Lorraine et de Bar… (Amsterdam, J. Gand, 1691 ; in-12). Cette attribution est contestée par plusieurs bibliographes car La Brune était protestant et l’Avertissement qui précède le texte ne peut avoir été composé que par un catholique. On l’attribuerait de préférence au président Cousin (1627-1707) qui fut, de 1687 à 1701, le rédacteur du Journal des scavants… La Morale de Confucius est suivie par une Lettre sur la morale de Confucius par l’abbé Simon Foucher, datée du 23 janvier 1688. Ce titre a été réédité par Cazin à Paris et Valade à Londres, en 1783 (in-8) puis à Paris, à nouveau, chez Caille et Ravier en 1818.
UNE TRADUCTION INÉDITE
Il semble malaisé de définir quelle est la première traduction française des œuvres de Confucius. Il est toutefois certain que le Chou-King ou Shū Jīng, le premier des cinq livres sacrés chinois recueilli par Confucius a été traduit, revu et corrigé sur le texte chinois par le Père Antoine Gaubil, lui-même complété de l’histoire des princes omis dans le Chou-King par le M. de Guignes, plus un discours du Père de Prémare et autres annexes (Paris, N.M. Tilliard, 1770, in-4). Le Père Gaubil ne serait pourtant pas le premier à avoir interprété dans notre langue les textes du philosophe chinois. La bibliothèque de l’Arsenal conserve deux exemplaires manuscrits non signés contenant « les principes de la religion de la morale particulière et du gouvernement politique des anciens magistrats de la Chine abrégé et mis en français par M. Bernier, docteur en médecine de la Faculté de Montpellier » Selon José Frèches, auteur d’un article consacré à ce Bernier, dans la revue Persée, ses biographes ont, à tord, ignoré ces essais. François Bernier (1620-1688) un fils d’agriculteur, réussit à passer son doctorat en médecine en 1622 et voyagea dans de nombreux pays dont la Syrie, les Indes et le Cachemire. Il devint le médecin attitré du Grand Mogol, avec rang de vizir. Des intrigues de cour l’obligèrent à rentrer en France, et c’est là qu’il s’attela aux textes de Confucius, à partir de la version latine des pères jésuites : « J’ay cru que sans m’arrêter à dire tel interprète dit ceci, tel interprète dit cela, les colons ajoutent ceci et cela, ce qui rend la lecture ennuyante, principalement, principalement à nous qui demandons qu’on aille au fait et qu’on nus mène juste à ce qu’il y de bon et d’instructif », écrivait-il agacé, semble-t-il par les tours et détours des jésuites. Comme le souligne José Frèches, l’ignorance de Bernier de la langue chinoise, lui a enlevé tout scrupule et lui a permis de s’effacer devant Confucius. Est-ce pour cette raison que sa traduction n’a jamais vu le jour ? Il a tout de même publié une dizaine d’ouvrages, dont son Histoire de la dernière Révolution des Etats du Grand Mogol (Paris, 1670) et ses Lettres sur le café (Lyon, 1685) mais rien sur Confucius. Il n’appartenait pas à la Compagnie de Jésus.
Pendant ce temps, le Père François Noël (vers 1640- vers 1715) entreprenait une nouvelle traduction en latin des œuvres de Confucius, intitulée Libri classici sinensis imperii qui fut publiée à Prague en 1711. C’est à partir de cet ouvrage que l'abbé François-André-Adrien Pluquet, 1784, (Debure, 7 volumes in-18.) réalisa une traduction en français des ouvrages si chers à Confucius. Le bibliographe J-C Brunet cite David Clément auteur de la Bibliothèque curieuse, parue en 1759, selon lequel « ces pères [jésuites] ont tronqué d’une manière très sensible la traduction du philosophe chinois qu’ils ont publiée »
Après cela, nous entrâmes dans la « sphère » de Jean-Pierre Abel-Rémusat qui se pencha sur Confucius sans parti pris. Il donna le Zhōng Yóng en chinois, avec traduction latine et française, en 1817 (in-4). Ce fut ensuite le tour du Ta-hio, par Guillaume Pauthier (chinois, latin et français), en 1837 (in-8). Ce même auteur devait parachever les études sur les textes philosophiques avec la publication sous le titre complet : Confucius et Mencius, les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine traduits du Chinois (Paris, Charpentier, 1841, gr.in-8), édition qui sera reprise en 1858.
(1) Dictionnaire de la civilisation chinoise, Ed. du Rocher, 1996
(2) Philosophies confucianistes, collection de la Pléiade, Ed. Gallimard, 1536 p. 52,50 €.
Le RP Thierry Meynard (s.j) a donné au Collège de France, le 16 février 2010, une conférence sur « La première traduction des Entretiens de Confucius, en Europe »
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