L’impôt sur les grandes fortunes, l’ISF est exemplaire. Se souvient-on qu’il fût inventé par les socialistes qui avaient mis l’accent sur le terme solidarité ? Sait-on que ISF se traduit en réalité par Impôt de solidarité sur la fortune, ce qui, évidemment grammaticalement ne veut rien dire. En matière de politique, le respect de la langue française n’est pas une priorité. Quoiqu’il en soit cet impôt-là brandi comme un épouvantail a permis à bon nombre de Français qui auraient pu participer à l’élan économique de la France, de connaître les charmes des pays voisins qui ont compris depuis longtemps que la solidarité ne passait pas par la spoliation des uns pour théoriquement remplir les poches des autres. Le mythe de Robin des Bois et de Cartouche, perdure. Sur le papier, l’idée pouvait paraître bonne, ce fut une catastrophe. Tous les pays qui s’étaient laissés séduire par elle, ont abandonné cet impôt confiscatoire et anti-productif. La France finit par, elle aussi, le supprimer. Las, la droite au pouvoir perdit les élections et la gauche triomphante rétablit cet impôt en insistant encore sur l’idée selon laquelle en prenant aux riches on donnait aux pauvres. Nous connaissons le résultat de cette idéologie : Le trésor public perd chaque année une quinzaine de milliards de recettes par an pour un rapport ridicule d’ 1,5 milliard, soit moins que ses coûts de gestion. Du coup les gouvernements successifs aménagent comme ils le peuvent la fiscalité pour tenter d’endiguer l’hémorragie. Chaque initiative est saluée par l’opposition de gauche comme une atteinte à la solidarité.
Malgré toutes les études, une fois de plus les hommes politiques de droite ont renoncé à supprimer l’ISF, même s’il devrait être allégé. Non pas parce qu’ils veulent enrichir les pauvres et se donner les moyens de répartir les richesses, mais parce qu’ils ont peur de perdre les élections. Perdre les élections ! Ne plus être un élu, ne plus être au pouvoir ! Voilà le nœud de l’affaire. L’ISF est en effet exemplaire. Sa pérennité apporte la preuve que les hommes politiques quelles que soient leur idéologie ne sont nullement préoccupés par le bien public mais par le leur. Car si ces gens-là écoutaient les économistes, et même les citoyens, je veux dire ceux qui font fi des idéologies et qui contribuent à tous les niveaux, par leur travail à la bonne marche de l’économie française pour le bien de tous, il y a beau temps qu’ils auraient supprimé cet ISF.
Nous ne nous faisons pas d’illusion, les élections sont proches, l’ISF a en effet de beaux jours devant lui, avec ou sans bouclier.
13 avril 2011
* Je ne suis pas assujetti à cet impôt, je rêve simplement à une France dépourvue de mauvaise foi.
lundi 25 avril 2011
jeudi 21 avril 2011
TINTIN AVAIT UN GRAND ONCLE (II)
Tintin au Congo le deuxième album d’Hergé dont la bonhommie colonialiste a fait grincer quelques dents blanches, n’est pas raciste. La justice belge a tranché, il y a tout juste un mois. Il reste que pour les « droitlhommistes », cet ouvrage n’est pas politiquement correct et fait l’objet de leur vindicte. Les biens pensants vont pouvoir pousser des cris d’orfraie au prochain Salon International du livre ancien. Ses organisateurs, autrement dit le SLAM, le Syndicat de la librairie ancienne et moderne, ont choisi, cette année, comme thème à son exposition : le Politiquement correct ? Avec toutefois un point d’interrogation, car « le conformisme d’hier ne ressemble guère à celui d’aujourd’hui « (1). Nous espérons qu’un exemplaire de l’édition originale de Tintin au Congo sera présenté par l’un ou l’autre librairie. Ne serait-ce que pour le comparer avec les Aventure de Narcisse Nicaise au Congo (Paris, Charavay, Mantoux et Martin, librairie d'éducation de la jeunesse, s.d. [1890] 245 p. In-8) par Armand Dubarry, illustré par des pleines pages en noir de Kauffmann. Valentine del Moral de la librairie Villa Browna qui en proposera un exemplaire indique que lorsqu’on prend la peine de lire attentivement le mélange de narrations picaresques, de fourvoiements zoologiques, clichés impérialistes et gags pré-cinématographiques de cet ouvrage, la comparaison avec Tintin au Congo devient évidente.
« Énumérons, dit-elle : Narcisse et Pierrot tout comme Tintin et Milou partagent la même cabine de bateau. Le héros tire un coup de fusil à bout portant dans la gueule d’un crocodile comme le fera Tintin. Pierrot se jette dans la gueule d’un boa constrictor qui doit se chauffer du même bois que celui qui avale Milou en 1930. Ils en réchapperont tous les deux, Milou en créant le premier serpent à pattes de la Création. En deux coups de fusil de Narcisse, cinq oiseaux tombent ce qui visuellement, n’est pas sans rappeler le carnage des gazelles de Tintin. Nicaise et Tintin blessent chacun à leur tour un éléphant qui devenu forcené déclenche une cascade de rebondissements. Nicaise se retrouve à cheval sur le dos d’un rhinocéros. Tintin en même position, chevauche un buffle furibard. Pierrot est élevé avec son maître au rang de fétiche comme le sera Milou dans l’album, qui snobera le temps de quelques cases son maitre bien aimé. » Il est bien naturel que les auteurs s’inspirent d’autres écrits et nourrissent leur imaginaire. Quand bien même, des traits ne sont pas éloignés d’un livre à l’autre, ils sont tous les deux biens différents. « Ces ressemblances factuelles peuvent difficilement être contredites. On ne verrait d’ailleurs pas quel intérêt on aurait à le faire. Car enfin, c’est parfaitement touchant d’ajouter un livre à la bibliothèque du jeune Georges Rémi qui devenu Hergé confiait en mars 1957, à l’hebdomadaire Femmes d’aujourd’hui : « J’ai très peu voyagé, sinon dans les livres », dit encore Valentine del Moral.
Écrivain, littérateur et journaliste. Auteur de poésies, romans, contes, voyages etc. Armand Dubarry (1836-1910) a composé d’autres ouvrages consacrés à l’Afrique, notamment Les colons du Tanganîka (1884) défini comme un « roman d’aventures africaines » (2). Il publiera plus tard Le rachat de l'honneur. Aventures d'un soldat français au Soudan (Charavay-Mantoux-Martin. Librairie d'Education de la Jeunesse - Paris – s.d. [1900], grand in-4° de 239 pp., illustré de 30 compositions de Beuzon). Il semblerait qu’il ait effectué un premier séjour en Afrique à la fin des années 1870, car il en a rapporté un Voyage au Dahomey pour la Collection : Bibliothèque d'aventures et de voyages (1879, 282 p.) qui lui a permis de nourrir quelques uns de ses romans. Sa bibliographie est en effet d’importance, elle tourne presque autour du monde depuis Paris, avec des scènes de mœurs parisiennes, l’Allemagne, les baleiniers, le cirque, l’Inde encore. Le Journal des Voyages, aventures de terre et de mer, a inséré en feuilleton dans son numéro du 17 février 1889, une série intitulée L’éléphant blanc.
Hergé a eu entre les mains, comme peut-être les ouvrages de Louis Boussenard, auteur prolixe d’aventures et de voyages, ceux d’Armand Dubarry et s’est nourri de scènes qu’il décrivait comme s’il avait écouté son grand-oncle.
(1) Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008 PARIS du 29 avril au 1er mai 2011, ouv de 11 h à 20h – Entrée et catalogue : 8 € - www.salondulivreancienparis.fr – www.salondelestampeparis.fr
(2) réédité par l’Harmattan.
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TINTIN N’EST PAS POLITIQUEMENT CORRECT (I)

Le Salon International du livre ancien a choisi, cette année, comme thème à son exposition : le Politiquement correct ? « Cette notion à multiples facettes permet de décliner une infinité de thèmes sociaux, politiques et philosophiques : Dieu et/ou la morale, l’autorité et la justice, l’égalité des sexes et des races, etc. Et le point d’interrogation a son importance car le conformisme d’hier ne ressemble guère à celui d’aujourd’hui », constate Alain Nicolas, président du SLAM, le Syndicat de la librairie ancienne et moderne qui organise cette manifestation, en collaboration avec le salon international de l’Estampe et du dessin (1). Quoi de plus réjouissant que de mettre l’accent sur cette gangrène qui accable notre société depuis quelques années : le politiquement correct. Autrefois, on censurait, on condamnait, on brûlait, bref c’était brutal voire sanglant, mais non insidieux comme aujourd’hui où de simples mots sont soudain rejetés de notre langage de peur faire d’être voué aux gémonies. L’autodafé est désormais intérieure, privée en quelque sorte. L’emploi de ces mots ou images s’arrête au seuil de la parole ou de la plume, comme face à un barrage infranchissable. Emmanuel Pierrat, avocat de toutes les causes littéraires décrit « 100 Livres censurés » dans un album qui se veut être un « parcours érudit mais accessible, joyeux et tragique » (2). Tous ces titres, souvent des classiques incontournables ont chagriné et chagrinent encore les autorités quelles qu’elles soient. Galilée, Baudelaire, Flaubert, Beaumarchais, Bataille, Helvétius, Genet, Sade, Radiguet, Vian, Mirabeau pour ne citer que ceux-ci ont dérangé les politiques et les bonnes mœurs. Chaque époque a cru se défendre de ces agresseurs de la pensée, des découvertes et du style et a traîné leurs représentants devant les tribunaux.
Aujourd’hui, plus besoin de tribunaux, le doigt accusateur de quelques « droitlohmmistes » suffisent quitte à se faire tout de même aider par les dits tribunaux. Un journaliste pour avoir dit tout haut ce que tout le monde dit tout haut, a récemment été condamné par la Justice. Céline y a échappé, il est mort. Le personnage n’est pas sympathique, il est même odieux ; mais on porte aux nues ses livres et surtout son style. A notre sens, cela relève davantage d’une affaire de goût, plutôt que de politique. Ce qui n’est pas le cas de l’album d’Hergé, Tintin au Congo qui fait l’objet de la vindicte d’un étudiant congolais, soutenu par les adhérents de la confraternité « politiquement correcte ». Il a été débouté de ses demandes, le 18 mars 2011 par le tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en référé. Finalement « Tintin au Congo » n’est toujours pas raciste. Les albums ne seront donc pas classés ailleurs que dans les rayons de la littérature jeunesse et ne porteront pas de bandelette d’avertissement.
L’idée du sujet de Tin au Congo en revient à l'abbé Norbert Wallez, alors directeur du quotidien Vingtième siècle. « Pour le Congo tout comme pour Tintin au pays des Soviets, il se fait que j’étais nourri des préjugés du milieu dans lequel je vivais… C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : "Les nègres sont de grands enfants, heureusement que nous sommes là !", etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque en Belgique, » devait confier Hergé à Numa Sadoul (3). La composition de cet album, comme celui consacré aux Soviets, relève d’un contexte historique ; les mentalités ont changé. Examinons donc à la loupe toutes les BD de l’époque et les suivantes et prenons nos ciseaux. Il y aura du travail.
Aucun exemplaire de l’édition originale de cet album, deuxième de la série, ne semble être présenté par un libraire dans le Salon. Il est d’abord sorti dans les pages du Petit Vingtième, le supplément du journal du Vingtième siècle du 5 juin 1930 au 18 juin 1931. Il parut ensuite chez Casterman en 1937, en noir et blanc avec 4 hors texte couleurs. Un exemplaire a été adjugé 3.800 € par Artcurial ; le 17 octobre 2009. La première édition couleur date de 1946, toujours chez Casterman. Un exemplaire a été vendu 6.500 € à Drouot, le 9 mai 1910 par la svv Kahn-Dumousset. Mais Tintin avait un grand oncle qui s’appelait Narcisse Nicaise.
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mercredi 6 avril 2011
lundi 28 février 2011
LES SOIRÉES AMUSANTES DE HUVIER
« Par son esprit original et un peu caustique sans méchanceté, il étoit l'âme de nos réunions de famille et en faisoit tout l'agrément. Il avoit fait de bonnes études au collège de Juilly et joignoit, à beaucoup de facilité pour faire des vers, des connoissances en littérature », écrivit Antoine Fare Huvier, après le décès de son frère François Huvier des Fontenelles (1757-1823). Le défunt était alors maire de Mouroux, non loin de Coulommiers, en Seine et Marne. Avant d’être magistrat consulaire, l’homme était entré dans l’ordre des Oratoriens, ceux-là mêmes qui enseignaient à Juilly ; il n’y demeura pas longtemps. Il reprit l’habit laïque en 1780 et seconda son père alors bailli de Coulommiers, puis se consacra aux lettres, ce qui devait être plus amusant que de rendre la justice dans ce bailliage provincial. Il a laissé quelques ouvrages comme La targétude, tragédie un peu bourgeoise, parodie de l'Athalie de Racine (Paris, 1791). Cette pièce était dirigée contre Guy Target (1733-1806) , alors rapporteur du comité de révision de la constitution en 1791. Bien plus tard, il donna Les remontrances du parterre, etc. , par Bellemure, ci-devant commissaire de police, réfutées par M. H. D. , otage de Louis XVI (Paris, 1814). Notre homme, on l’aura deviné était profondément royaliste, il n’accepta aucune charge durant la révolution et l’empire. Nous savons qu’il était membre d’une loge, car il a laissé également des textes de chansons franc-maçonnes.
Sa production la plus intéressante, pour nous aujourd’hui, est une petit livre intitulé Les soirées amusantes, ou entretiens sur les jeux à gages et autres (Paris, Veuve Duchesne, rue S. Jacques, au Temple du Goût, 1788, in-12) orné par 3 planches hors-texte. Paru sans nom d’auteur, il a été identifié grâce à son frère et est mentionné dans le Dictionnaire des anonymes par Barbier. Nous pourrions croire qu’Agata Christie se serait inspirée de ces soirées pour composer ses Dix petits nègres enfermés dans une propriété dont les protagonistes ne pouvaient s’échapper. Huvier des Fontenelles avait lui aussi bien avant elle, enfermé ses amis, mais d’une autre manière, dans une charmante propriété. Ses invités étaient des enragés du jeu, et tant mieux pour eux. Pour mieux masquer leur travers, ils acceptèrent que le maître de maison, leur donnât des noms hautement bucoliques : Monsieur et Madame de la Rivière, Madame et Mademoiselle de la Haute Futaie, Madame du Bois et son fils, Mesdemoiselles du Ruisseau, du Gazon et Rose, sœurs de leur état, Madame du Ruisseau, Madame du Frêne et son fils, Mademoiselle du Bocage, Monsieur des Jardins, Monsieur de la Forêt, les abbés Printemps et des Agneaux, le chevalier Zéphir. « Or, loin d’être une bluette pastorale et bien que chacun y aille de sa promenade quotidienne, l’ouvrage qu’écrit Huvier est une mine de renseignements sur les jeux de cette seconde moitié de XVIIIe s. et une ébauche de psychologie du joueur », explique Valentine del Moral de la librairie Villa Browna qui présente un exemplaire de cet ouvrage (1). « Il s’appuie pour bien faire sur un certain séjour qu'il fit « dans la maison de campagne de M.B*** située à Montevrain (en actuelle Seine-et-Marne). Des jeunes gens y jouèrent à cinquante de ces petits jeux qui s’échappent de la mémoire, et dont on voudrait souvent se souvenir dans l’occasion. On ne peut pas toujours danser, faire de la musique et tenir des cartes ». C’est précisément pour se les rappeler et pour en donner les règles qu’Huvier livra son souvenir en un dialogue amusant qu’on jurerait avoir inspiré la comtesse de Ségur.
Dans cette maison vouée au jeu, l’ancien abbé contraignit ses amis à jouer à Berlurette ; à Combien vaut l’orge ; à J’aime mon amant par A. ; aux Ciseaux croisés ; Au jeu des paquets ; à l’anguille ; à l’esclave dépouillé. Des jeux dont nous découvrons les règles. Il n’était pas contre non plus pour une joyeuse partie de quilles, de volant ou de Cherche une épingle au son du violon, jeu trivialement nommé de nos jours Cache-tampon. Chacun y allait de son commentaire dans ce petit livre : « Tout le monde joue au loto, parce qu’il ne faut à ce jeu que du bonheur, & que tout le monde a des prétentions au bonheur » comme « tout le monde juge des ouvrages de littérature, les uns bien, les autres mal, parce que les uns ont de l’esprit & que les autres n’en ont pas ». Ce à quoi un des abbés ajouta avec malice qu’« on lit quelquefois des petits ouvrages de littérature [seulement dans l’idée de] se désennuyer »…
(1) Relié en plein veau marbré, dos lisse, Villa Browna, 27 avenue Rapp, 75007 Paris - http://villabrowna.free.fr/
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dimanche 20 février 2011
COMMENT PARLER AVEC UNE MARÉCHALE ?
COMMENT PARLER AVEC UNE MARÉCHALE ?
Ah que l’époque était douce ! On avait à traiter une quelconque affaire avec un duc. On se rendait de bon matin à son hôtel. Il était absent ; on se faisait annoncer à Mme la duchesse. Elle était à sa toilette ; on approchait un fauteuil, on s’installait et l’on causait. « C’est une femme charmante ; elle est belle et dévote comme un ange ; elle a la douceur peinte sur son visage ; et puis, un son de voix et une naïveté de discours tout à fait avenants à sa physionomie », note Diderot, car c’est de lui qu’il s’agit. De cette aimable causerie, il sortit l’Entretien d’un philosophe avec Mme la Maréchale de***. Une causerie sortie de son imagination bien sûr. Diderot s’était rendu, à l’invitation de Catherine II, en Russie en octobre 1773. Sur le chemin du retour en mars de l’année suivante, il s’arrêta, comme à l’aller, à La Haye chez les Galitzine. Il profita de cette halte pour travailler notamment à la refonte de l’Encyclopédie qui devait être imprimée en Russie et également à plusieurs autres textes « philosophiques » personnels dont les Principes de la politique des souverains, le Voyage en Hollande et notamment encore La réfutation d’Helvétius et aussi les Observations sur l’instruction.
Le personnage de la duchesse, « belle et dévote comme un ange », déjà mère de six enfants et en attendant un septième, demande au philosophe qui, pourtant ne vole, ne pille ni ne tue, de justifier son athéisme. « Dites-moi si un misanthrope s'était proposé de faire le malheur du genre humain, qu'aurait-il pu inventer de mieux que la croyance en un être incompréhensible, sur lequel les hommes n'auraient jamais pu s'entendre, et auquel ils auraient attaché plus d'importance qu'à leur vie ? Or est-il possible de séparer de la notion d'une divinité l'incompréhensibilité la plus profonde et l'importance la plus grande ? », demande la Dame. Ce petit texte d’une vingtaine de pages qui s’achève par une pirouette, figure dans Les œuvres philosophiques de Diderot qui viennent d’être réunies dans la collection de la Pléiade (1). Il a été diffusé pour la première fois dans les livraisons d’avril et de mai 1775 de la Correspondance littéraire. Diderot avait souhaité publier ces « Entretiens » en Hollande. Michel Delon qui a dirigé l’édition de La Pléiade rapporte que le chargé d'affaires français en Hollande, l'abbé Desnoyers, ancien jésuite, en informa aussitôt le comte de Vergennes, ministre des Affaires étrangères, le 26 août 1774 : « L’ouvrage qu'on prétend que le sieur Diderot a offert à un libraire hollande (sic) et que celui-ci a refusé, est un dialogue entre dialogue entre ce Philosophe et une maréchale en attendant l'honneur de dîner avec le maréchal. C'est le début du dialogue. On ajoute que le sieur Diderot, frappé de l'éloignement du libraire pour ce genre de métaphysique, a dit en serrant [rangeant] son manuscrit, qu'il ne lui laisserait point voir jour. » L'Entretien a risqué de rester dans un tiroir comme Le rêve de d’Alembert, également publié dans le volume de la Pléiade.
Diderot ne pouvait en rester là, il ajouta les Entretiens, avec un nouveau titre, à une édition bilingue, franco-italienne, des Pensées philosophiques, comme étant l’ouvrage posthume de Thomas Crudeli, « connu pour ses poèmes » : l’Entretien d’un philosophe avec Mme la duchesse de***. Un tiré à part (32 pages), sans doute unique, du moins en main privée, ([Londres (Amsterdam), 1777]. In-8, relié au XIXe siècle, en demi-maroquin brun, dos lisse, titre en long avec fleurons, a été adjugé 1.400 €, à Drouot, le 25 novembre 2008, par la svv Alde. Un avis au lecteur précise l'identité de l'interlocutrice : « Il y a toute apparence que la dame avec laquelle le poète s'entretient est la signora Paolina Contarini, Vénitienne à laquelle il a dédié quelques unes de ses odes. » Il semblerait, en fait, que la « maréchale » était inspirée par Louise Crozat de Thiers, duchesse de Broglie (1733-1813).
Et, selon Michel Delon, l’origine des tirés à part « reste floue ». Le destin de ce texte est en effet assez particulier. Après la mort de Diderot, il se répandra sous des formes différentes qui peu à peu de la badinerie philosophique, se transformera en essai libertin, voire érotique pour devenir sous la Révolution, un brûlot, et redevenir enfin philosophique. Il y aura donc en tout, trois versions. A nous de juger.
Ah que l’époque était douce ! On avait à traiter une quelconque affaire avec un duc. On se rendait de bon matin à son hôtel. Il était absent ; on se faisait annoncer à Mme la duchesse. Elle était à sa toilette ; on approchait un fauteuil, on s’installait et l’on causait. « C’est une femme charmante ; elle est belle et dévote comme un ange ; elle a la douceur peinte sur son visage ; et puis, un son de voix et une naïveté de discours tout à fait avenants à sa physionomie », note Diderot, car c’est de lui qu’il s’agit. De cette aimable causerie, il sortit l’Entretien d’un philosophe avec Mme la Maréchale de***. Une causerie sortie de son imagination bien sûr. Diderot s’était rendu, à l’invitation de Catherine II, en Russie en octobre 1773. Sur le chemin du retour en mars de l’année suivante, il s’arrêta, comme à l’aller, à La Haye chez les Galitzine. Il profita de cette halte pour travailler notamment à la refonte de l’Encyclopédie qui devait être imprimée en Russie et également à plusieurs autres textes « philosophiques » personnels dont les Principes de la politique des souverains, le Voyage en Hollande et notamment encore La réfutation d’Helvétius et aussi les Observations sur l’instruction.
Le personnage de la duchesse, « belle et dévote comme un ange », déjà mère de six enfants et en attendant un septième, demande au philosophe qui, pourtant ne vole, ne pille ni ne tue, de justifier son athéisme. « Dites-moi si un misanthrope s'était proposé de faire le malheur du genre humain, qu'aurait-il pu inventer de mieux que la croyance en un être incompréhensible, sur lequel les hommes n'auraient jamais pu s'entendre, et auquel ils auraient attaché plus d'importance qu'à leur vie ? Or est-il possible de séparer de la notion d'une divinité l'incompréhensibilité la plus profonde et l'importance la plus grande ? », demande la Dame. Ce petit texte d’une vingtaine de pages qui s’achève par une pirouette, figure dans Les œuvres philosophiques de Diderot qui viennent d’être réunies dans la collection de la Pléiade (1). Il a été diffusé pour la première fois dans les livraisons d’avril et de mai 1775 de la Correspondance littéraire. Diderot avait souhaité publier ces « Entretiens » en Hollande. Michel Delon qui a dirigé l’édition de La Pléiade rapporte que le chargé d'affaires français en Hollande, l'abbé Desnoyers, ancien jésuite, en informa aussitôt le comte de Vergennes, ministre des Affaires étrangères, le 26 août 1774 : « L’ouvrage qu'on prétend que le sieur Diderot a offert à un libraire hollande (sic) et que celui-ci a refusé, est un dialogue entre dialogue entre ce Philosophe et une maréchale en attendant l'honneur de dîner avec le maréchal. C'est le début du dialogue. On ajoute que le sieur Diderot, frappé de l'éloignement du libraire pour ce genre de métaphysique, a dit en serrant [rangeant] son manuscrit, qu'il ne lui laisserait point voir jour. » L'Entretien a risqué de rester dans un tiroir comme Le rêve de d’Alembert, également publié dans le volume de la Pléiade.
Diderot ne pouvait en rester là, il ajouta les Entretiens, avec un nouveau titre, à une édition bilingue, franco-italienne, des Pensées philosophiques, comme étant l’ouvrage posthume de Thomas Crudeli, « connu pour ses poèmes » : l’Entretien d’un philosophe avec Mme la duchesse de***. Un tiré à part (32 pages), sans doute unique, du moins en main privée, ([Londres (Amsterdam), 1777]. In-8, relié au XIXe siècle, en demi-maroquin brun, dos lisse, titre en long avec fleurons, a été adjugé 1.400 €, à Drouot, le 25 novembre 2008, par la svv Alde. Un avis au lecteur précise l'identité de l'interlocutrice : « Il y a toute apparence que la dame avec laquelle le poète s'entretient est la signora Paolina Contarini, Vénitienne à laquelle il a dédié quelques unes de ses odes. » Il semblerait, en fait, que la « maréchale » était inspirée par Louise Crozat de Thiers, duchesse de Broglie (1733-1813).
Et, selon Michel Delon, l’origine des tirés à part « reste floue ». Le destin de ce texte est en effet assez particulier. Après la mort de Diderot, il se répandra sous des formes différentes qui peu à peu de la badinerie philosophique, se transformera en essai libertin, voire érotique pour devenir sous la Révolution, un brûlot, et redevenir enfin philosophique. Il y aura donc en tout, trois versions. A nous de juger.
samedi 8 janvier 2011
LE COQ MARIN/ COURTE PERPÈT
Le français est l’une des langues dont les nombreuses nuances expriment la précision. Le vocabulaire juridique, par exemple qui semble à beaucoup, être un jargon incompréhensible, est ainsi formé qu’il ne permet aucune faille. La preuve en est, qu’un mot oublié ou modifié entraîne la cassation d’un jugement ou d’un arrêt. Les conséquences en sont parfois dramatiques lorsqu’un individu soupçonné d’un crime est ainsi remis en liberté.
Les termes judiciaires sont parfois modifiés, suivant une évolution de la société ou sous l’influence de quelque idéologie. Nous avons vu disparaître l’inculpation au profit de la « mise en examen », car l’on considéra à l’époque, en 1993, que la première désignation laissait croire à une culpabilité.
Un criminel récidiviste a été, récemment, « condamné à une peine de réclusion à perpétuité, avec 22 ans de période de sûreté », pour la tentative de viol et le meurtre d’une jeune femme dans une voiture d’un RER. L’individu ayant accompli 3 ans de détention en préventive, voit cette peine ramenée à 19 ans. Nous disons bien 19 ans, car, contrairement à une croyance populaire, la détention en préventive, ne « compte pas double ». Les magistrats ont appliqué la Loi et condamné ce criminel à la plus haute peine prévue par le code pénal.
Une partie du public se montre choqué par l’interprétation du mot perpétuité qui ne correspond plus à sa définition : « Durée sans interruption, sans discontinuation », selon le Dictionnaire de l’Académie française. Quoique le Robert y apporte une nuance : « Durée infinie ou indéfinie et par extension, très longue ».
En dehors de ces querelles de langages, c’est néanmoins le résultat de la chose jugée qui n’est pas perçu comme il devrait l’être. L’abolition de la peine de mort a contraint le législateur à mettre en place une peine de substitution, il a naturellement choisi la perpétuité. Or celle-là ne l’est pas en réalité, du moins ne semble pas être un remplacement de la peine capitale, d’autant plus que cette perpétuité est assortie de sûreté, ce qui signifie bien que cette peine n’est pas perpétuelle.
Quelle solution apporter à ce problème, me direz-vous ? Lorsque nous entendons que tel individu qui commis tel ou tel crime enquiert la perpétuité, nous haussons malheureusement les épaules. Comme le soulignait le père de la jeune femme assassinée, « la perpétuité, c’est nous qui la subissons ».
Autant nous sourions lorsque nous apprenons qu’un escroc, aux Etats-Unis, est condamné à 125 ans de prison, autant nous ressentons un certain abattement face à une peine d’à peine 20 pour un crime horrible.
Cette « perpet soldée » relève d’une idéologie qui a affadit notre vocabulaire. Ne pas dire ce qui pourrait fâcher. Dans ce cas, supprimons la peine de prison à perpétuité et que le code pénal affiche une grille précise.
Les termes judiciaires sont parfois modifiés, suivant une évolution de la société ou sous l’influence de quelque idéologie. Nous avons vu disparaître l’inculpation au profit de la « mise en examen », car l’on considéra à l’époque, en 1993, que la première désignation laissait croire à une culpabilité.
Un criminel récidiviste a été, récemment, « condamné à une peine de réclusion à perpétuité, avec 22 ans de période de sûreté », pour la tentative de viol et le meurtre d’une jeune femme dans une voiture d’un RER. L’individu ayant accompli 3 ans de détention en préventive, voit cette peine ramenée à 19 ans. Nous disons bien 19 ans, car, contrairement à une croyance populaire, la détention en préventive, ne « compte pas double ». Les magistrats ont appliqué la Loi et condamné ce criminel à la plus haute peine prévue par le code pénal.
Une partie du public se montre choqué par l’interprétation du mot perpétuité qui ne correspond plus à sa définition : « Durée sans interruption, sans discontinuation », selon le Dictionnaire de l’Académie française. Quoique le Robert y apporte une nuance : « Durée infinie ou indéfinie et par extension, très longue ».
En dehors de ces querelles de langages, c’est néanmoins le résultat de la chose jugée qui n’est pas perçu comme il devrait l’être. L’abolition de la peine de mort a contraint le législateur à mettre en place une peine de substitution, il a naturellement choisi la perpétuité. Or celle-là ne l’est pas en réalité, du moins ne semble pas être un remplacement de la peine capitale, d’autant plus que cette perpétuité est assortie de sûreté, ce qui signifie bien que cette peine n’est pas perpétuelle.
Quelle solution apporter à ce problème, me direz-vous ? Lorsque nous entendons que tel individu qui commis tel ou tel crime enquiert la perpétuité, nous haussons malheureusement les épaules. Comme le soulignait le père de la jeune femme assassinée, « la perpétuité, c’est nous qui la subissons ».
Autant nous sourions lorsque nous apprenons qu’un escroc, aux Etats-Unis, est condamné à 125 ans de prison, autant nous ressentons un certain abattement face à une peine d’à peine 20 pour un crime horrible.
Cette « perpet soldée » relève d’une idéologie qui a affadit notre vocabulaire. Ne pas dire ce qui pourrait fâcher. Dans ce cas, supprimons la peine de prison à perpétuité et que le code pénal affiche une grille précise.
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